"Tout nu et tout bronzé, la la la la..." On s'est regardé d'un air consterné en entendant ça sur la sono du Rex Club de Toulouse où on venait d'entrer pour assister au concert de Texas Terri ! On a eu beau essayer de nous expliquer que c'était "conceptuel" et que "plus c'est ringard mieux c'est", rien à faire. Et quand le DJ a enfilé Indochine juste derrière (n'y voyez rien de sexuel, enfin je crois) on a failli sortir les grenades. Faut dire que la soirée est "spéciale", c'était censé être une sorte de mini-festival ska/chanson française/reggae/java/discomobile (on a dû tomber sur la partie "discomobile") à quatre ou cinq groupes, jusqu'à ce que Xavier des TV Killers (tourneur occasionel et efficace, la preuve...) réussisse à caser Texas Terri au programme en dernière minute. Le groupe avait une date libre entre France et Espagne. Du coup voila notre américaine (+ ses Stiff Ones + le groupe de filles qui les accompagne sur la tournée, The Fabulous Disaster) propulsée au rang de grande prêtresse rock chargée d'établir un pont entre garage punkers et ska/java kids toulousains. Va y avoir du spectacle...
Les quatre filles des Fabulous Disaster
(de San Francisco, elles existent depuis deux ans et un album est récemment
sorti sur Evil Eye Rds) entament les hostilités pied au plancher
(y'a déjà eu trois groupes avant, pas vu), la batteuse est
incroyable, d'une puissance rarement observée chez une fille (no
offense), la guitariste porte un tee-shirt B-Movie Rats et la chanteuse
ressemble à Blackie des Hard-Ons ! C'est violent et coloré
(ces cheveux !), à mi chemin entre grunge et punk, c'est mélodique
et déterminé, un peu rrriot-girl et hardcore mais pas trop,
et on s'accorde vite sur le fait que le résultat final évoque
un malin croisement Go-Go's/L7/Lunachicks. Rock'n'Roll anyway...
"You guys kick ass !", la chanteuse (Laura Litter) a l'air ravie
de l'accueil reçu par les premiers morceaux, ça bouge dans
la salle et ça crie entre les morceaux, le dj manque en laisser
tomber le 45t de Joe Dassin qu'il préparait pour l'entr'acte...
La bassiste n'est pas tatouée, c'est bien la seule, elle n'est là
que pour la tournée vu que la bassiste habituelle (qui a aussi joué
avec Angel Corpus Christi et une tripotée d'autres groupes) n'a
pas pû se libérer cette fois. D'ailleurs, les Fabulous Disaster
sont normalement cinq (dont trois ex-Pistons), il en manque une (la deuxième
guitariste). Derrière moi, j'entends un commentaire épaté
: "Putain elle est dopée à l'EPO la batteuse ou quoi ?" J'vous
l'avais dit... Elle cogne tellement fort que la cymbale à tendance
à vouloir gicler de son support à chaque coup de baguette.
Ça finit d'ailleurs par arriver et c'est Lo' Spider qui monte arranger
ça avec de grosses bandes de chatterton, à la guerre punk
comme à la guerre punk. Après une demi-heure de ce traitement
"fast, loud and mélodic" pas désagréable du tout,
les Fabulous Disaster tirent leur révérence et annoncent
l'attraction de la soirée : "And now, Texas Terri& The Stiff
Ones ! And they rock !"
Et effectivement ! Dès le deuxième morceau (une cover mordante du "Shake Appeal" des Stooges) Terri balance son tee-shirt aux orties et se retrouve torse nu, avec les habituelles bandes de scotch sur les tétons. Les ska kids semblent apprécier. Au troisième morceau ("Cave Woman") elle saute dans le public et provoque une belle agitation dans les premiers rangs. Elle aussi arbore de magnifiques tattoos dont une toile d'araignée qui lui enveloppe totalement le sein gauche. Elle saute partout, secoue ses cheveux rouges dans tous les sens et esquisse des poses à la Iggy, d'ailleurs tout dans son personnage évoque l'Iguane early 70's et il y aura carrément trois covers des Stooges pendant le concert. Terri enchaine sur "Situation", aidée aux chœurs par un Lo' Spider déchainé au premier rang, roule une pelle au hasard à un mec du public, se vide une bouteille d'eau sur la tête et devient quasiment effrayante quand le maquillage se mélange à la flotte qui dégouline. A la fin du morceau un membre du staff du Rex vient glisser quelque chose à l'oreille de Terri. A qui ça ne plait que modérement : "What ? 10 minutes ? Qui fait les règles ici ? 10 minutes !!!" Faut dire que le concert a démarré il y a moins d'une demi-heure et que Terri a bien l'air décidée à rester sur scène encore un moment. Finalement ils feront vingt minutes de plus. Le groupe propulse d'abord violemment "Down On The Street", le guitariste fait glisser sa bouteille de bière sur les cordes en un long solo puis s'accroupit, Terri en profite pour s'asseoir sur ses genoux en continuant à chanter, l'ambiance est déchirée de vibrations électriques et le dj finit de casser sa collection de singles dégottés à La Foir'fouille. Le morceau s'achève, le batteur a l'air épuisé, le public est en transes et le groupe quitte la scène. Faut qu'ils reviennent sinon c'est l'émeute ! Ils reviendront et la soirée se terminera par un "Your Pretty Face Is Going To Hell" (toujours les Stooges) allumé, spectaculaire et coloré qui verra Terri baisser deux ou trois fois son pantalon histoire de nous laisser entrevoir son irréprochable plastique fessière. Et ressurgit cette impression de voir une des célèbres photos d'Iggy en 72 s'animer et prendre vie sous nos yeux bluffés. Impressionant de mimétisme. Le temps de remercier le public et d'annoncer qu'Adam West joue au Show B trois jours plus tard et Terri rejoint les backstages. Mâtin ! Bonjour l'ouragan ! On en a des étoiles plein les yeux et les oreilles qui bourdonnent. On laisse sur place un espion chargé d'infiltrer les réjouissances d'après-concert et de poser quelques questions à la Cave Woman et à ses troupes. Ça s'est terminé tard...
Bon sang, quelques jours après la tornade
Texas Terri, voilà que débarquait en ville une bande de brutes,
présentées par Manny le Belge comme des outlaws allumés
et paillards. Un gang de Washington DC, qui bien qu’ayant pêché
son nom dans une série télé culte des années
soixante, maniait le punk tendance gros riffs et headbanging. Ajoutez au
tableau un screamer à gros poumons et forte personnalité,
qui racontait tranquillement dans une interview qu’il aimait bien de temps
en temps sortir ses disques préférés de leur pochette,
et leur chier dessus. Gasp ! Et on devait loger une partie du groupe !
Après avoir envisagé des mesures de protection, on se décidait
à voir venir et à gérer dignement tout accès
de GGAllinisme.
Eh, eh, rassurez-vous, nos quatre lascars bien qu’ayant l’air
déterminés et capables de tout, se comportèrent comme
de parfaits gentlemen, ce que la carrure imposante du chanteur et le look
Hell’s Angels du bassiste ne laissaient pas forcément présager.
Légèrement altérés par quelques excès
lors des premiers concerts de la tournée, on les retrouvait en train
de pioncer dans le van, avant de les guider vers la terrasse du Show B,
procéder au ravitaillement, et s’installer pour une interview d’avant
concert, joyeusement bordélique.
...
D.I : Washington est célèbre pour sa scène
hard-core, vous avez des relations avec cette scène ?
Jake : Non, nous sommes totalement et absolument éloignés
de la scène Dischord. Ils ne nous aiment pas beaucoup, ils n’aiment
pas le rock’n’roll, le rock’n’roll est "uncool" à Washington DC.
Steve : On est des parias...
Jake : On fait tache à Washington...
Steve : Et on aime ça !
Jake : Ce sont des gens qui n’admettent pas qu’on ait un disque
de Black Sabbath...
Tom : Ils en ont eux-mêmes !
Jake : ...qui n’admettent pas qu’on puisse aimer Jimi Hendrix,
parce que c’est tellement "uncool", tu vois, et ils peuvent tous aller
se faire foutre !
Steve : Yeah...
D.I : Vous avez bien quelques bons groupes, quelques potes
à recommander ?
Jake : Quelques uns... J’en ai sorti un ou deux sur mon label
Fandango. Un groupe appelé BST Payback, c’est un peu Jesus Lizard
meets The Stooges, une grande énergie, je les adore. Il y a un autre
groupe, The Meat Joy, un presque girl band, qui sonne comme Blondie ou
X-Ray Spex, je les aime beaucoup, très cool. Mais ces groupes sont
nos amis, et on est tous exclus. Un groupe comme les Make-Up est très
populaire à Washington. Personnellement je pense qu’ils sont
nuls. Ils font de bons shows, mais je pense que leur musique n’est que
de la merde.
Steve : Il ne se passe rien...
Jake : Non, pour nous en tout cas.
D.I : On sait que "Adam West" est le nom d’un acteur de la
série télé Batman, mais lequel ?
Jake : Oh, c’est celui qui joue Batman.
(A noter les citations quasi-subliminales du "Batman Theme" dans
leur dernier album)
D.I : Alors, est-ce qu’Adam West est un fan d’Adam West ?
Jake : Hein ?
Steve : Ah, il est au courant en tout cas...
Jake : Ah oui, il nous connaît. On avait un ami qui bossait
pour une émission de radio - on devait exister depuis un an environ
- et ils ont organisé un "Batman Reunion Show" et Adam West était
là. Alors notre ami est allé le voir et lui a dit "Eh, tu
sais, des potes à moi de Washington DC ont appelé leur groupe
Adam West !" et il a répondu "Wow, c’est un super nom !". Il nous
a souhaité bonne chance, il a été cool sur ce coup
là, au lieu de demander un truc du genre "Quel est le nom de leur
avocat ?".
D.I : Tu sais s’il vous a déjà entendus ?
Jake : Oh, je sais qu’il est allé sur notre website, ça
j’en suis sûr.
Steve : Sa fille vit à Washington.
Jake : Et son vrai nom n’est pas Adam West, c’est un pseudo.
En 1994, il a sorti son auto-biographie, ça s’ap-pelait Back To
The Batcave, et il devait faire une tournée de signatures. Il devait
passer à New York, Philadelphie et Wa-shington. Le Washington Post,
qui est le grand journal de la ville, m’a appelé et ils m’ont dit
: "Adam West vient signer son bouquin au Hard Rock Café, est-ce
que vous voulez jouer ?". Et on était tous là : "Ouaih !
Fucking cool ! Bien sûr qu’on va jouer !!!". Mais en fait, il n’est
allé qu’à New-York et il a annulé les autres dates.
D.I : Et James West alors ?
Jake : James de Wild Wild West ? Ah, on m’a déjà
demandé ça dans une interview à Nancy. On m’a aussi
interrogé sur Mae West, j’ai répondu qu’elle avait une superbe
poitrine ; sur Wild Wild West... Et je crois qu’il y avait un autre West,
je me rappelle plus... (Leslie je parie)
...
D.I : On a une question rituelle pour les groupes qui ont ce
genre d’influences, quelle est pour vous l’explication de ce revival du
hard-rock seventies ?
Steve : Je pense que l’explication c’est que les gens en ont
eu marre d’écouter de la merde.
Jake : On nous a déjà posé ce genre de question.
En fait, depuis le tout début du rock dans les fifties, certains
ont toujours affirmé que le rock’n’roll était mort, que le
rock’n’roll ne durerait jamais, bla bla bla, et je pense que même
si le hard rock n’a pas été populaire pendant quelques années,
il finit toujours par revenir, parce que les gens finissent par être
dégoûté de la pop merdique, ils finissent par être
dégoûté de Britney Spears, de Whitney Houston et toute
cette merde...
D.I : Il y a en plus le fait que vous avez grandi en écoutant
du hard...
Steve : On finit toujours par revenir aux racines...
Jake : Mais aux Etats-Unis, le rock’n’roll n’a pas encore fait
son grand retour en force. Tu vois, des groupes comme Iron Maiden jouent
des shows gigantesques ici en Europe, mais aux Etats-Unis ils se retrouvent
devant cent cinquante personnes.
Steve : S’ils ont de la chance...
Tom : C’est le marketing des grosses compagnies qui bloque tout,
MTV, et les labels de disques... Tout tourne autour de l’argent. Ils veulent
que les jeunes teenagers filles et garçons achètent leurs
CD. Et ils ont tous ces groupes pour teenagers... ça remplit sûrement
un vide mais ce n’est sûrement pas du rock’n’roll, tout se passe
underground.
Steve : Dans l’industrie de la musique, on en arrive toujours
à un point, comme dans les années quatre-vingt, où
la musique devient vrai-ment mauvaise... c’en était même louche,
c’était si horrible, d’accord ? mais pourtant populaire... et soudain,
au début des nineties, le grunge est devenu énorme, avec
la musique alternative. Ça a été comme une grande
claque dans la gueule pour cette industrie. Et c’est redevenu tellement
mauvais que dans une paire d’an-nées le rock’n’roll sera de retour.
Espérons...
Jake : Ce qui me fait chier en Amérique, c’est que MTV
accorde de l'importance à des groupes comme Korn, Limp Bizkit, Blink
182, Kid Rock... Ils considèrent que c’est du rock’n’roll, tu vois
? Alors que c’est des conneries, c’est franchement pas rock’n’roll...
Steve : Ouais, mais il faut dire que c’est encore meilleur que
beaucoup de merdes qui passent à la radio...
Jake : Ouais, j’aime autant entendre Kid Rock ou les Backstreet
Boys, mais je préférerais Monster Magnet ou Nashville Pussy...
Il y a aussi des groupes rock sur des majors que nous aimons, mais tu ne
les vois jamais sur MTV, tu ne les entends jamais à la radio.
Tom : Il n’y a plus de musique du tout sur MTV... Bullshit !
Jake : OK, What’s next ?
...
D.I : Une question chiante... est-ce que vous avez un boulot
?
Jake : Oui, on a tous un boulot, c’est très dur d’être
une rock star aux Etats-Unis ! En Suède, tous mes potes, mê-me
dans des grands groupes, vivent tous des allocs, mais ils ont un bon système
social en Suède, ils peuvent survivre, ils peuvent boire un coup
tous les soirs, prendre des drogues et jouer du rock sans bosser. Aux Etats-Unis,
tu dois bosser, ou tu vis comme un clodo.
D.I : C’est comment de vivre à Washington DC ?
Jake : C’est une ville très bizarre. C’est aussi très
cher, les loyers augmentent sans cesse, c’est au niveau de New York et
de San Francisco maintenant, et ça continue à monter. C’est
une ville très étrange parce qu’elle est très animée
la journée, mais à partir de cinq heures, la machine gouvernementale
s’arrête et tout le monde file vers les banlieues. Beaucoup de gens
dépensent leur fric dans la journée mais...
Steve : Ils veulent rentrer tôt à la maison.
D.I : Les rues ne sont pas sûres la nuit ?
Jake : Il y a quatre grands arrondissements dans la ville, et
il n’y en a qu’un qui soit vraiment tranquille. Il y a des zones très
risquées. 75% de Washington ne sont pas sûrs pour une promenade
à pied.
Tom : Et c’est la capitale de Etats-Unis !
D.I : C’est tranquille autour de la Maison Blanche ?
Jake : Hmmm, pas vraiment.
Tom : Et les meilleurs clubs de la ville sont dans un des coins
les plus craignos.
Jake : Hey, quelle heure il est ? Is it time to rock !?
...
Lo’ Spider rechausse alors
ses lunettes noires et va se planter derrière la sono minimaliste
mais efficace qu’il mène de main de maître. Nos quatre héros
investissent la scène d’un Show B honnêtement rempli pour
une fin de mois de juin et se lancent dans un set bouillonnant, explosif
et musclé. Dès le deuxième morceau, Jake se jette
dans le public, vient hurler à la tronche des premiers rangs, et
poursuit son rodéo dans tout le troquet. Une bête de scène,
pas de doute ! Il finira même par assurer le spectacle pour les gens
qui laissaient passer l’orage à l’extérieur, se déhanchant
comme un dératé sur le trottoir devant un drapeau américain
en flammes, dont il se parait ironiquement quelques minutes plus tôt,
et qu’un spectateur a décidé d’immoler aux Dieux de la bière.
Les trois autres ne s’en laissent pas conter, la rythmique est
plombée mais groove comme il faut et le guitar hero s’en sort avec
les honneurs. Il frôle même l’électrocution lorsque
Jake se met en tête de transformer son micro en médiator.
"Yeah ! J’ai fait jaillir la foudre ce soir !" pavoisera ce dernier un
peu plus tard. Ils concluent par les trois reprises promises, et se retirent
sous les acclamations d’un public en sueur. Une bonne claque à la
sauce punk metal rock’n’roll...
Quelques bières et mégots plus tard, en pleine
discussion, Steve finit par croquer un verre, heureusement en plastique.
Ils nous racontent le diffficile passage de la frontière autrichienne
(un pays que Jake connaît bien puisqu’il y a été étudiant),
et la connerie des douaniers locaux. On évoque aussi l’excellent
et très informatif site web du groupe (http://fandangorecs.com/adamwest/),
tenu par Jake himself. Celui-ci nous balance quelques histoires salées
sur ses potes les sauvages Candy Snatchers (il leur a créé
un site web, et hésite quelque peu à venir les materner sur
une éventuelle tournée européenne), ou encore sur
la scène scandinave (baston récente dans un bar norvégien
entre Happy Tom et Cpt Poon, les fans s’y reconnaîtront).
Encore plus tard, Gildas téléphone, et la voix
tremblante d’émotion me prie de les féliciter chaudement
pour leur version du “Vehicle” de The Idle Race, un des tubes qui ont rythmé
ses exploits en auto-tampon, et qu’il vient de découvrir sur un
45t de 1993, à l’é-poque où Jake ressemblait à
Jim Dandy. Le lendemain, quelque peu hagards, on les regarde plier leur
matos en un éclair, nous balancer quelques claques chaleureuses
dans le dos et filer tels Batman aux trousses d’un malfrat vers de nouvelles
aventures en Espagne.