Comme toute grande ville du monde (plus ou moins) libre, Paris a toujours eu une scène rock importante et (plus ou moins) intéressante. Même depuis une dizaine d’années où l’intérêt médiatique (si influent, spécialement dans la capitale...) s’est nettement déplacé vers d’autres types de musique, les caves parisiennes et les garages banlieusards subissent toujours les décibels d’une poignée d’allumés bien décidés à ne pas lâcher le flambeau transmis par Gene Vincent, les Pretty Things ou les Ramones. Ceci n’est pas destiné à être un guide touristique, mais un tour d’horizon de ces irréductibles souvent confrontés à de nombreux problèmes pour se faire entendre et connaître. Les lieux tout d’abord : bien sûr, certains peuvent prétendre ouvrir, dans de grandes salles, pour des célébrités étrangères en tournée, mais c’est très aléatoire. Les salles d’envergure moyenne (Boule Noire, Gibus, Divan du Monde...) fonctionnent sur un système de location aux tarifs qui annoncent d’emblée la vautre financière (Jostone Traffic en sait quelque chose). Restent les bars, et la formule adoptée il y a une quinzaine d’années par "Paris Bar Rock" devenus les "Barrocks", toujours actifs aujourd’hui) reste la meilleure pour voir vos groupes préférés, locaux ou non. Le fameux décret sur les nuisances sonores fait quand même des ravages et les limonadiers hésitent à se mouiller malgré la perspective de recettes intéressantes au comptoir, préférant privilégier la "DJ-mania" qui commence à polluer sérieusement la ville. Le public a également tendance à se restreindre et la moyenne d’âge à dépasser nettement la trentaine (où sont les sweet little sixteen, merde ?!?). Tous ces facteurs (je n’ose même pas parler des maisons de disques...) font que le "FLVM" ("Faites le vous-même", pas "Front de libération des vaches malades") est de rigueur en cette fin (ou serait-ce début, sais plus...) de siècle pour les groupes, et ils s’en tirent plutôt pas trop mal, en fait. Voici donc le panorama à peu près complet de la scène parisienne, certains groupes (Snails, Splash 4, No Talents) ont disparu ces derniers mois, mais beaucoup d’autres se sont créés dans la foulée, qui n’ont pas encore eu l’occasion de se produire au delà de la petite ceinture. N’hésitez pas à les découvrir...
On retrouve chez les Brain Eaters la rythmique des Snails. Quatuor R’n’R punky et crampsien, leur répertoire se compose presqu’entièrement d’originaux et six d’entre eux sont regroupés sur le CD Eat’ em or Die ! (Kosmic Brain Rds) à la luxueuse présentation. La grande force du groupe reste cependant la scène : Laurent (vociférations, sauts, strip-teases, roulés-boulés et autres enculages de grosse caisse) est un spectacle à lui tout seul (il s’était cassé la cheville lors de leur premier concert au Gambetta). Leur prestation en ouverture du Reverent Horton Heat au Divan du Monde en septembre aura convaincu les derniers profanes (ceux qu’on ne voit jamais aux concerts dans les bars...)
Anteenager MC est en fait la suite des aventures de Steve & the Jerks. Larry (batterie & chant, connu des lecteurs de Dig It ! sous le pseudonyme ridicule de Laurent Bigot...), Manu (guitare) et Junior (basse) se sont renforcés avec un transfert digne de celui d’Anelka en la personne de Micus (Warum Joe aussi dans les Terribles) en seconde guitare. Malgré le nouveau blaze (M.C, c’est pour "Music Club", au fait...) et un changement radical de répertoire, on retrouve avec plaisir le R’n’R speed et réjouissant qui a fait le succès (?) des Jerks, avec un son plus étoffé. Lors de leur première prestation en juin au Café Montmartre (avec les Diaboliks et Demolition Girl), ils ont été rejoints par Jon Von pour plusieurs titres des Rip Offs, avec bas sur la tête de rigueur. On attend la suite...
Le chanteur-guitariste des Hellboys, Nikola, bosse à Rock & Folk pour ceux qui s’étonneraient qu’un groupe "non-signé" ait pu assurer les premières parties de Joe Strummer (Elysées-Montmartre) ou Michelle Gun Elephant (Divan du Monde). Punk 77 mâtiné garage et power à la Undertones, ils ont désormais tendance à oublier leurs penchants clashiens (le côté reggae fort pénible, surtout). En progrès donc... Après un split très moyen avec les Turbo A.C's, un excellent single est sorti l'an dernier sur Hellcat (?). Ils sont passés en studio cet été sous la houlette de Bertrand "Tricatel" Burgalat.
Sonic Reducer, le groupe de Denis et Alexandra (qui me font beaucoup penser au couple Fred-Toody Cole...), désormais en trio, a eu les faveurs du dernier Dig It ! avec leur nouveau CD-EP et la cover de "Don't Fool With Fu Manchu". Influences Stones/Lyres revendiquées, concerts souvent chaotiques, Sonic Reducer est le type même du garage band rompu à toutes les galères. Dernièrement ils ont ouvert pour Sonny Vincent au Café Montmartre et sont partis jouer dans la capitale continentale de la beat-müsick, Hambourg, en septembre. Sinon, ils organisent régulièrement leurs propres concerts dans quelque bar louche, pour le plaisir de jouer, où ils ne chargent pas l'entrée pour ne rien devoir à personne. Kool...
A signaler aussi les Defenestrors (des p'tits gars qui en veulent auteurs d'un intéressant CD autoproduit Confession of a Psycho-cat) les Monroes (nés des cendres des Shitbones), sans parler des Gorgons et des Moonshiners (un EP commun sur Smegma il y a quelques années), qui semblent reprendre du service (ils ont joué ensemble le 19 novembre dernier avec également Bob Log III au programme, un concert "barrock").
Tendances, tendance : une poignée de garage-bands sont
apparus ces derniers temps, redécouvrant un patrimoine rock national
trop longtemps laissé en pâture à de pénibles
plagieurs, et s'expriment dans la langue de Moulière (Jacky). Gageons
que l'influence des compilations Ils Sont Fous Ces Gaulois ou Swinging
Mademoiselles y est pour beaucoup. Même un Californien émigré
dans la capitale se met de la partie...
Les Terribles : Rudie (chant, bassiste
chez les Dutronc), Micus et Fred (guitares), Iwan (basse, ex-No Talents
et boss de Born Bad Records), et Michel (batterie, également guitariste
des Wangs) forment ce groupe néo-60's, très en vue la saison
dernière dans les concerts rock parisiens. Affublés de perruques
"mop-top", les Terribles reprennent les Lionceaux, les Rockers, les Misérables,
Eileen ou Ronnie Bird avec une pêche communicative et un son plutôt
fidèle aux originaux. Pas de disques pour l'instant, mais ça
ne saurait tarder...
L'apparition de Cécilia et Ses Ennuis en même temps que les Terribles n'était pas concertée mais le parallèle s'impose ne serait-ce que par le type de répertoire (re)visité (même si les Ennuis composent et sont plus "pop") et la filiation No-Talents. Leur ancienne chanteuse joue également de l'orgue, tandis que ses "boys" Laurent, Nicolas et Alec (également dans les Men On The Moon, trio freakbeat assez peu régulier, tout comme leurs confrères de Bang !) assurent les fracas 60's d'usage. Le tout sonne parfois comme Stella accompagnée par les early Chesterfield Kings, et des titres comme "Les Filles, C'est Fait..." (Charlotte Leslie) ou "La Fille à la Moto" (de l'actrice-chanteuse Dani, avec paroles différentes) vont comme un gant de satin à la pétillante Cécilia. Trois EP's sont sortis simultanément (Telstar, Dionysus et Wild Wild) tandis que les Ennuis passaient au Wild Weekend anglais début novembre.
Les Sauvageons n'ont jamais été subventionnés par le ministère de l'intérieur mais taxent carrément dans le rock-twist des blousons noirs et de Jean-Pierre et ses Rebelles. Mickaël, chanteur-guitariste compose d'excellents morceaux dans l'esprit tandis que Vincent (également Bo Weavil) et Fabrice tiennent la rythmique. Un petit mot sur ce dernier, déjà un vétéran de la scène parisienne ayant débuté dans Almost Presley avec Martin Stone (Action, Mighty Baby, Pink Fairies, Red Hot Peppers...) avant de faire partie du Hitsville band de "Wreckless" Eric Goulden pendant plusieurs années. Fabrice Lombardo tient aujourd'hui un studio à Montreuil où ont enregistré les Splash 4 ou Don Cavalli notamment, et promène basse ou contrebasse dans des groupes aussi divers et talentueux que Jim Murple Memorial (R&B jamaïcain avec une chanteuse incroyable, deux CD's et un single chez Patate records), Da Grous Ket Ramblers (Western Swing/Cajun, un 25cm et demi sur le label suédois Tail), ou les Fantastic 3 (voir plus loin). Le côté balloche trop souvent associé à ceux qui reprennent la première génération de rockers français est inconnu aux Sauvageons, doués et sincères dans leur démarche et puis Mickaël se roule par terre comme Rocky Volcano. Sensass'...!
Jon Von (of the Rip Offs & Mr T. Experience fame, faut-il le rappeler ?), après avoir digéré sa vie d'Américain à Paris, s'est remis au bon bruit avec les Dragueurs où il tient la guitare, chante et compose, et en français, siouplaît ! L'autre chanteur-compositeur du trio, c'est Greg Garrigues (également bassiste, ex-Asphalt Jungle, Guépards ou Grégoire IV). Dans un style garage-punk basique, ils ont déjà joué avec les Caravans, et les Groovie Ghoulies en octobre, pour la sortie de leur premier single sur Wild Wild. La seule reprise de leur répertoire, c'est "Soapy" ("Sophie" en français, fallait y penser...) et Jon s'est pris de passion ici pour le cinéma de Mocky (son côté Américain à Paris, toujours), d'où le nom du groupe et des textes qui ne parlent que de gonzesses. Sacré Jon !
Après la disparition des Kogars, les Wangs se sont imposés comme le groupe instrumental parisien le plus en vue. Ils jouent régulièrement, ont ouvert pour Man Or Astroman ? (Gibus) ou Sir Bald Diddley (Café Montmartre), participé au festival Cosmic Trip 2 près de Bourges et dernièrement à la soirée Halloween rennaise avec les Monsters. Leur son propre, rappelant parfois l'indo-rock des débuts s'est durci avec un changement de batteur et les Wangs sont toujours capables de surprendre d'un concert à l'autre. Le trio vient de s'adjoindre un guitariste supplémentaire et après un split CD (avec les Vampires d'Allemagne, Kamikaze Rds), un split EP (avec le 50 Ft combo, Gas Oil Rds) et des titres sur diverses compilations, on attend un effort discographique rien qu'à eux.
Le Fantastic 3 est un "all-star power-surf trio" avec Denis (ancien batteur des Soucoupes Violentes), Fabrice (voir Sauvageons) et Michel (guitariste des Wampas, ex-Dogs). L'emploi du temps chargé de chacun fait qu'on ne les a vus que trop rarement sur scène mais ce fut à chaque fois une décharge d'adrénaline imparable ! Leur répertoire est à base de classiques, mais peu de groupes surf peuvent se targuer d'interpréter Link Wray ou Dick Dale avec autant de classe. On retrouve tout ça sur un LP/CD et un single distribués par Patate Rds. 14 Favorites popose également des incursions chez Haund Dog Taylor, Bo Diddley ou... les Modern Lovers !
Deux anciens Bratchmen (Bratch lui-même, toujours chez les Dum Dum Boys, et Serge) sont rejoints par Fred (batterie) puis plus récemment par Dimi Déro (ex-Chatterbox de Toulouse) en seconde guitare pour les Groovers, un groupe loin de se cantonner aux instrumentaux mais qui a bien sa place dans cette rubrique par son côté early-60's. Influences pop, classieux sur scène comme "au civil" (la touche niçoise !) les Groovers sont des fans de Lee Hazlewood, des productions Joe Meeks, du Bobby Fuller 4 ou d'Elvis, et ça s'entend ! Ils ont déjà partagé l'affiche avec les Waistcoats, les Hentchmen (Gambetta) et les Flaming Stars (grand moment au Café Montmartre !) et viennent d'enregistrer plusieurs de leurs compos. Citons aussi Garage Deluxe (Geoff "Snake", Juan Miguel et Phil, ex-Dirteez), responsable d'un bon CD Surf & Destroy au son plus rocker que véritablement surf.
Rubrique un peu fourre-tout, ok, mais où les plus anciens (ceux qui lisaient Nineteen avant Dig It !) vont retrouver quelques vieilles connaissances.
Les quatre membres de Blutt sont des gens à qui on ne la fait pas en matière de rock'n'roll (Rackham, pour ne citer que lui, jouait dans les Pasadenas avec Marc Police il y a quelques millénaires !). Difficile de cataloguer leur rock (punk ? pop ? garage ?) mais leur son nous ramène quand même pas mal 15/20 ans en arrière à une époque où la scène rock hexagonale était en pleine ébullition. On peut s'en donner une idée sur leurs deux CD's produits-maison, ainsi que sur leur premier EP 3 titres, où le chant en français fait penser aux gloires locales ou aux Snipers. Plusieurs passages avec les Barrocks ou au Café Montmartre leur ont mis le pied à l'étrier et ils aimeraient maintenant s'attaquer à la province, avis aux amateurs...
Les cinq de Holy Curse écument les scènes de Paris et (dès que possible) de province depuis plusieurs années et ont deux albums à leur crédit. Plus qu'influencés par le rock australien, ils sont toujours appréciés sur scène où leurs sets puissants font l'unanimité auprès d'un public malheureusement pas toujours très nombreux. Les Holy Curse ont semble-t-il bien choisi leur nom, victimes du circuit limité du rock à Paris, mais ne perdent pas espoir, envisageant même une tournée en terre promise, l'Australie, très bientôt. Les témoins de leurs passages, l'an dernier, avec Deniz Tek & Deep Reduction (Café Montmartre), puis Fifi & The Mach III (Olympic), savent qu'ils seront loin d'y être ridicules...
Malgré d'incessants problèmes de batteurs (oui je sais mais eux c'est pire...), les glam-rockers de Baby Strange sont toujours présents, entre les duels de guitare au sommet Thomas/Laurent et les poses Stiv Jagger (ou Mick Bators ?) d'Hervé. Leur CD 13 titres Lounge Offender tiendra au chaud les oreilles de ceux qu'Alice Cooper (band) ou les Hollywood Brats éclatent.
Mico le batteur fou de la Dêche dans Face a trouvé un nouvel acolyte, histoire de recommencer à détruire tout ce qui passe à portée de ses baguettes. Ça s'appelle Flytrap et ça ne serait pas bien éloigné du duo qu'il formait à Bordeaux avec Jérôme.
Les Teckels (composés de membres du Loud Muffler Car Club, la connection No Talents-Jerks, toujours) font dans le street-punk (un mot snob pour dire Oï) et ont déjà sorti un maxi et un single à la présentation magnifique. On parlera plutôt dans leur cas de "ouah-ouah musique", car ils ne se prennent pas au sérieux et injectent une bonne dose d'humour et de second degré dans un genre où on a rarement connu ça. De dangereux déviants donc... Egalement influencés par Social Distortion ou LSD (des débuts), avec une certaine dose de Détroit sound, les Bad Lieutenants se font plutôt rares sur scène après deux bons EP's.
Vieilles gloires spécial, avec Warum Joe (toujours prêts à jouer pourvu qu'ils trouvent des baby-sitters...), les Anciens Francs où l'on retrouve Gil Vilatte et "Sonic" Fred des légendaires Snipers (3 LP's chez New Rose dans les mid 80's et une tournée épique avec les Real Kids), ainsi que le rock punk légèrement acide de Wolfgang, nouveau groupe d'Hermann Schwarz, aussi incisif et percutant qu'ont pu l'être Métal Urbain et les Desperados en leur temps.
Citons aussi Spermicide (hard-punk à la Hellacopters/NashvillePussy), ou Garage Lopez et Salauds d'pauvres, dans une veine plus alternative (à quoi ?). Des nouvelles enfin de Freddy Lynxx qui devrait effectuer au début de l'année une tournée longtemps repoussée, en compagne de Kevin K. Voilà les fans de Jeannot Tonnerre prévenus...
Un mot pour finir sur la scène 50's, car on y retrouve deux éléments exceptionnels, reconnus au niveau international dans leurs styles respectifs qui ne souffrent pas la faute de goût. On est loin des revivalistes souvent lourdingues des 80's et nul besoin pour les apprécier d'arborer la panoplie de rigueur, être amateur de bonnes vibrations R'n'R suffit...
Bo Weavil est un blues band qui a peu d'égal actuellement. Le trio (Matt, chant + guitare + harmonica, Vincent, contrebasse ou batterie, et Stacker Lou, piano, ex-Kingsnakes) célèbre le blues d'Howlin' Wolf, Papa Lightfoot ou Sonny Boy Williamson de façon festive et imbibée. Un LP/CD ainsi qu'un EP sortis chez Lenox regorgent de pépites (toujours up-tempo) sentant bon les bouges de Chicago, voire de Memphis ou de la Louisiane d'après-guerre. Un second album devrait voir le jour en début d'année, en attendant, voilà un groupe à ne pas louper s'ils passent par chez vous lors de l'une de leurs nombreuses tournées aux quatre coins de l'Europe. Pour eux le diable pardonnera le blues-rock pénile et le blues-FM insupportable jetés en pâture ces derniers temps au gogo en quête de frissons "roots" (si des trous du cul comme Santana ou Clapton voulaient réellement payer leur tribut à des gens comme John Lee Hooker ou B.B King ils commenceraient par leur foute la paix artistiquement).
Don Cavalli donne dans le rockabilly le plus rural et primitif (souvent sans batterie) même si son immense talent de compositeur-interprète peut aller jusqu'au Bluegrass et au country-blues. La comparaison avec le grand Charlie Feathers est bien évidente, même si limitative. Toute une floppée de disques du Don est disponible, sur support 10" ou 7" only, et un single devrait sortir prochainement sur un label de Chambéry. De la grande musique américaine, par un petit gars d'Yerres, Essonne. Etonnant...
Un petit mot également sur Hot Rhythm & Booze et les Rock-A-Tones (plus rockabilly urbain, limite white-rock), les Celicates (néo/psycho moins en vue ces derniers temps), Betty & the Bops (à la Wanda Jackson/Janis Martin) et Little Victor (Delta Blues).
Dig It! avait dépêché une fois
encore un envoyé très spécial au cœur d'un des plus
chauds festivals de l'année, le Vegas Shakedown, premier du nom,
consacré à tout ce que les USA (et deux ou trois exceptions
étrangères) ont récemment pu produire en rock à
guitares, violent, ébouriffé, spectaculaire et excitant.
Notre homme faisait partie d'une petite troupe de sept personnes qui s'est
envolée pour les Etats-Unis deux semaines avant le fameux festival
et en a profité pour faire quelques étapes rock'n'roll avant
l'évènement. Ce compte-rendu a été réalisé
sous forme d'interview de notre espion, facile, il a suffi de laisser tourner
le magnéto, d'appuyer sur pause pendant les arrêts-tarpés
et de relancer la machine d'une habile (ben tiens !) question de temps
en temps. Evidemment ce n'est pas exhaustif, notre homme n'a pas poussé
l'abnégation et le sens du devoir jusqu'à assister à
chacun des 58 concerts du week-end (en fin d'article vous trouverez quelques
adresses de sites web qui proposent d'autres visions de l'évènement).
Voici donc comment Youn (que certains ont déjà croisé
quand il moulinait sur sa six-cordes avec les Shoo-Chain Brothers) a vécu
ce Vegas Shakedown et quelques autres libations chez l'oncle Sam. Action
! :
"Il y avait Norah de Sin City Six, Igor et sa femme (des Slovènes fans de rock), Angelita (bassiste des C'mon Babes) et une autre fille, Idoya de Madrid. Là-bas on a été rejoint par Pablo, ex Killer Dolls, un musicien argentin qui passe beaucoup de temps à Madrid. Avec moi, ça fait sept..."
"Uppercrust joue au Covered Wagon, pas loin du Paradise Lounge. C'est visiblement le quartier qui bouge à Frisco. Je crois que de tous les groupes que j'ai vus en trois semaines c'est Uppercrust qui m'a le plus marqué. J'avais usé leur 45t chez Safety Pin sur ma vieille platine en quelques semaines et je m'inquiétais de savoir si ça allait tenir la route sur scène. Mieux que ça, c'était génial ! Ils avaient plus un côté punk rentre-dedans qu'une filiation (qu'ils revendiquent parfois) avec AC/DC. Tant mieux. Ils sont fringués en courtisans/lords brittaniques de la bonne société bostonienne du 18ème siècle, avec les perruques et tout le toutim. Chaque membre a son propre gimmick, le bassiste (Count Basie !) arbore une perpétuelle moue de dédain et dialogue sur un ton très "prout ma chère" avec le chanteur, Lord Bendover, sur le thème "c'est dur d'être un riche aristocrate de nos jours". Entre les morceaux, le batteur (Jackie Kickassis, alias Jim Janota, ex-Bags et Lyres) sort un éventail et se donne un peu d'air en faisant lui aussi la moue. Très étudié. Comme un imbécile j'ai laissé passer l'occasion d'acheter leur double CD live. Je me suis méfié du côté "live" justement, et du son parfois rédhibitoire qui va avec... Quand j'ai appris plus tard que les quatre morceaux du 45t étaient extraits de ce CD, j'ai regretté amèrement de ne pas l'avoir pris...
Le lendemain j'ai vu Ted Nugent éclater sa guitare à l'arbalète ! Il l'accroche à un des côtés de la scène et s'éloigne de vingt bons mètres, tend son arbalète et schhlockk !, il transperce sa gratte (toujours branchée) dans un boucan d'apocalypse. Un vrai cinglé. Dehors y'a des manifestants anti-chasse qui protestent contre la venue du Nudge. L'homme est un fervent défenseur de la chasse depuis toujours. Nobody's perfect... C'était en première partie de Kiss, un concert où certains membres de notre petite troupe avaient réussi à entraîner les autres (260F la place !)... J'ai traîné les pieds mais finalement je n'ai rien regretté. Faut voir ça au moins une fois. Sûrement un des meilleurs shows du monde. Et même si je n'ai aimé qu'un faible pourcentage des morceaux (Paul Stanley fait trop de balades casse-burnes) je me suis rattrapé sur le spectacle. Ils ont une incroyable panoplie de guitares, dont une qui tire des roquettes et s'enflamme (!!!), il se passe toujours quelque chose, faut avoir l'œil partout. La batterie décolle comme une fusée, une bouche à feu crache des flammes vers le plafond ! C'était à Concorde dans la banlieue de Frisco ("Hey, Concorde, vous êtes le meilleur public qu'on ait eu sur la tournéé", ils doivent dire ça tous les soirs), au cœur d'un stade de base-ball couvert... Au moins quand on prend un ticket pour Kiss, on sait où va l'argent comme l'a fait remarquer Paul Stanley pendant le show entre deux rafales de lance-flammes. Et il ajoute : "Public chéri, Kiss vous adore et va vous le prouver en venant parmi vous". Là il s'accroche a un filin tendu au-dessus de la foule et atterrit sur une petite plate-forme pas loin de nous, en hauteur, et continue à jouer. Il a de somptueuses platform boots. Impressionnant !
Le lendemain on a vu Davie Allan dans un bar mexicain, là par contre, pas de restriction sur la fumée, d'ailleurs ça sentait bon l'herbe. Je crois bien que c'était Lee Joseph à la basse. Bon concert, Davie à l'âge qu'il a et ne bouge pas beaucoup mais c'est définitivement un excellent guitariste."
VEGAS SHAKEDOWN
"Las Vegas, le rêve américain ! Le Strip (l'avenue principale) et ses animations permanentes, ses casinos et ses montagnes russes, ses combats de bateaux pirates et tout le tremblement... On a essayé quelques trucs... Maintenant en route pour "3 Nights of punk, broken blues and primitive rawk" comme ils disent sur le programme officiel.
Vendredi 11 Août : On est arrivé au Gold Coast à 19h30, les Demonics avaient déjà joué. Dommage, c'était censé être pour moi le truc le plus important de la soirée, j'écoute leur deuxième album en boucle. A l'origine ils devaient passer à 23h mais y'a eu un changement... Eux aussi avaient les boules d'avoir été décalés, je leur ai acheté un single et discuté un peu avec le chanteur. Bon, c'était quand même de notre faute, on aurait dû passer aux nouvelles l'après-midi... Pour nous la soirée a donc débuté par les Street Walking Cheetahs, dans le Ballroom, la salle du haut, j'ai pas vraiment aimé, un peu bourrin... Ensuite y'a eu Wayne Kramer (avec les Cheetahs en backing band), pas grand-chose à dire, empâté et avec un son FM pas terrible. Même sur "Ramalama Fa Fa Fa" il a laissé passer l'occasion de faire décoller un peu le public, c'était plutôt triste, bref, on ne va pas s'étendre sur celui-là non plus...
On est ensuite passé au Showroom, la salle du bas, plus
petite, y'avait un son pourri, les amplis étaient branchés
directement sur la sono, pas idéal, et le sonorisateur s'est vite
avéré particulièrement antipathique. J'ai eu une bonne
surprise avec Throwrag, un mélange
bikers/50's avec planche à laver, ça dépote terrible.
Le chanteur assure le show, sort un drapeau, s'enroule dedans, fait tout
un tas de conneries avec divers accessoires, etc... Autre bonne surprise,
les Stitches, bon punk rock, ils ont tout,
le son, l'énergie, et y'avait du monde. Le chanteur est charismatique
mais pas pédant, il a l'air de savoir ce qu'il veut mais reste humble
malgré un intense degré d'excitation.
Ensuite je suis remonté pour voir les Fuzztones,
c'était un peu mou par rapport à la dernière fois,
il y a sept/huit ans. Rudi Protrudi a vieilli, normal, il fait le cador,
insulte tout le monde et balance des "fuck off" à volonté.
Il a l'air de plus en plus déjanté. Leur petite troupe était
la plus voyante du festival, impossible de ne pas les remarquer quand ils
débarquaient quelque part, les tables se renversaient sur leur passage,
même Texas Terri passait inaperçue quand les Fuzztones traînaient
dans le coin... Mou sur scène et un peu aigri donc. Y'avait Jake
Cavaliere, en rupture de Bomboras (RIP), à l'orgue, comme y'a dix
ans. Au pied de la scène on croisait entr'autres Eric des New Bomb
Turks et Texas Terri. Dans un coin de la salle, près du bar, les
Raunch Hands picolaient, ils n'ont pas décollé du comptoir
de la soirée. Protrudi a fait un petit hommage à Mike Chandler,
le chanteur des RH. Chandler est co-auteur des deux titres du premier single
des Fuzztones ("Bad News Travels Fast" et "Brand New Man"). J'suis parti
au milieu de leur set pour descendre (re)voir les Vice
Principals. J'ai vu les trois derniers morceaux, c'était
chaud. Le chanteur plonge dans le public, remue sans arrêt. L'ambiance
est surexcitée pendant leur version de "Showdown". Ça rappelle
évidemment les Humpers, en plus r'n'r basique et en moins New York
Dolls électrocutés. Ils font aussi une belle version de "Jack
The Ripper" (c'est le morceau qui ouvre leur album).
Après ça j'ai vu les Screws, un des groupes de Mick Collins. Pas tout à fait mon style habituel mais impressionnant tout de même, avec le côté bien primitif des Gories. Ils se plantent parfois mais c'est marrant. A un moment Mick change d'instrument et se fait remplacer au chant par Terry Wahl, la bassiste. Un look BCBG mais quelle voix ! Sur-aiguë et puissante ! Pas mal.
De toute évidence Nashville Pussy était très attendu. Je ne suis pas fan de leur côté seventies graisseux mais j'apprécie assez leur punk velu. Je préférais Blaine avec Nine Pound Hammer. Mais comme les groupes n'avaient droit qu'à une demi-heure, ils ont balancé un concert comme on balance une bombe, c'était intense, pas de concours de solos, même si Ruyter en a quand même fait un de cinq minutes à la fin, mais c'était tellement énergique que ça passait tout seul. Elle pissait l'adrénaline la bougresse ! Electrisée et électrisante ! Même Blaine avait l'air étonné. Peut-être qu'elle en fait plus pour compenser l'absence de Corey... Ouaip, la grande cracheuse de feu a quitté le groupe (Courtney Love a depuis essayé de la recruter pour Hole, Corey a décliné l'offre). Elle est remplacée par Tracy (ex-Wives et Helldorado), jolie brunette, également fan de Stetsons et de tatouages, un peu plus réservée (et plus petite) que Corey, mais très "vivante", elle harangue le public et tout. C'était bien parce que c'était court, y'avait une patate et un son incroyable. Ça a bien bougé. Ils ont fini leur concert et sont repartis dans la nuit pour Atlanta (où ils devaient jouer avec Lynyrd Skynyrd !), une sacrée trotte... C'est Jostone qui conduisait.
C'est au tour des Onyas, le bassiste pète une corde dès le premier morceau et visiblement personne ne se décide à faire quelque chose pour lui. Pourtant y'a un paquet de groupes dans la salle... Imperturbable, il fera tout le concert sur trois cordes. Avec leur dégaines d'Australiens allumés en jeans déchirés, les Onyas ne sont pas du genre à avoir une basse de rechange. Au troisième morceau le chanteur est en slip. Ils sont marrants et énergiques. J'suis parti un peu avant la fin pour passer à l'étage en dessous où les Weaklings ont déja commencé.
Et les Weaklings c'est la claque ! Le chanteur, Bradly, en sang se lave à la bière en speedant d'un bout à l'autre de la scène et plonge dans le public en proférant des insultes. Il disparaît noyé dans une marée humaine. PUNK ! Il finit par réapparaître, un spectateur lui rend le micro et c'est reparti pour un tour. Les bouteilles volent, il en ramasse et les éclate par terre ou dans le public. Ce garçon, ivre mort/défoncé, s'était fait jeter de l'hôtel plus tôt dans l'après-midi, avec interdiction de pénétrer dans la salle de concert ! Il a fallu une intervention spéciale et "haut-placée" pour qu'il soit autoriser à revenir... Le rappel est rageur, tout le monde est sidéré. Excellent ! Les gens qui arrivent petit à petit de la salle du haut sont cloués en entrant. Après le concert j'ai acheté un album du groupe, le chanteur m'en a offert un autre. Il avait toujours la pêche et filait des disques à tout le monde en les remerciant d'avoir assuré l'ambiance. On n'a pas vu le dernier groupe, Throttlefinger...
Samedi 12 Août : On est arrivés en retard, évidemment, parce qu'on logeait au Rio un autre hôtel-casino. Il n'était pourtant qu'à quatre cents mètres, mais le temps de descendre, de se taper doucement le trajet sous un soleil de plomb et notre petite équipe avait déjà raté quelques groupes. Ceux qui m'ont vraiment claqué ce soir-là, c'est les Super Bees, avec d'anciens Joneses (quand les Joneses ont splitté, deux membres ont rejoint les Super Bees et deux autres sont allés former les Vice Principals avec deux ex-Humpers). Un mélange Humpers/Thunders/Dead Boys, tous habillés en noir avec un chanteur guitariste qui ressemble à Ray Davies et un bassiste japonais hilare. Le batteur ressemble à un zombie, on dirait qu'il sort tout droit d'une pochette d'un Back From The Grave. Y'avait tout, le son (pourtant c'était dans la salle du bas), des grosses guitares, de l'énergie et du spectacle. Y z'ont même cramé un ampli. J'ai acheté leur single et un CD cinq titres édité à l'occasion du festival. Killer ! Du coup j'ai raté les Dragons qui jouaient en haut à la même heure. C'est de l'arnaque !
Ensuite, toujours en bas, y'a eu Texas Terri, le son n'était pas génial. J'ai jamais vu les Stooges sur scène, seulement en vidéo, mais Terri est incontestablement la version femelle d'Iggy Pop. Pourtant je n'ai pas vraiment retrouvé le côté que j'aime bien sur leur album, même mes morceaux préférés ne sonnaient pas terrible, ça venait sûrement de la sono... Ou alors de la claque balancée juste avant par les Super Bees... J'ai un peu discuté avec le guitariste après, il est complètement imprégné de culture française, Rimbaud, Artaud, etc... Terri avait ses habituels morceaux de scotch...
J'ai vu Dead Moon de loin parce qu'en arrivant dans la salle du haut Norah m'a présenté à Pat Todd, il était à l'entrée de la salle et on est resté bavarder un moment. Le nouvel album des Lazy Cowgirls ne devrait pas tarder et y'a une tournée européenne sur le feu, au début de l'année prochaine. Et Dead Moon de loin, ça avait l'air bien, c'était bien rempli devant. Ça n'a pas été le cas pour tous les groupes.
Y'a eu ensuite Andre Williams que j'avais déjà vu plusieurs fois, je suis donc redescendu pour voir ce que donnaient les Lords Of Altimont. Ils ont un petit côté early Fuzztones, sont tous en noirs, portent des croix de Malte et c'est Jake Cavaliere qu'on retrouve à l'orgue et au chant. On le croirait sorti d'un vieil exemplaire de Tales Fom The Crypt, tout maigre, l'air plus ou moins effrayant selon les éclairages, il fixe le public d'un air glacial et finit par foutre le feu à son orgue, une vieille habitude qu'il améliore régulièrement, il entretient l'incendie pendant cinq bonnes minutes tout en jouant. En fait y'a de l'essence dans du papier alu aux bords relevés pour que ça ne dégouline pas partout... Ça vire à la messe noire et ça sent le soufre. Je ne partagerais pas un appart' avec ces gars-là... Y'a aussi le chanteur de Throwrag à la batterie, il grimpe sur son kit et tend son corps, tête en avant. Incroyable, sa tête est plus avancée que la grosse caisse. En permanence. Il passe plus de temps à mater le public que son drum kit. Il maîtrise impeccable. Et je crois que le guitariste est aussi celui de Throwrag. Ces deux-là portent des casquettes de bikers et sont tatoués en rapport.
Ensuite c'est en haut que ça se passe. On assiste à la fin du concert d'Andre Williams. C'est un cas, hier il avait passé quelques heures dans notre piaule, il draguait Angelita, une des filles de notre bande, en s'envoyant des trucs dans le nez et en exhibant des liasses de billets.... Evidemment, dès qu'il nous a vus arriver devant la scène, il a salué chaleureusement Angelita qui n'a rien compris vu qu'elle ne parle qu'espagnol. Andre ressemble plus que jamais au loup de Tex Avery, il est en super forme. Il est accompagné par Flash Express, un groupe qui a déjà joué dans l'après-midi. Andre était ce soir-là le pape de Las Vegas. Je l'aurais bien vu avec les Fleshtones. Imaginez un peu, Dédé + les Fleshtones ! Sauf que les organisateurs ont refusé les Fleshtones pour cause de "non-professionnalisme" ! On croit rêver ! Je n'ai rencontré personne de l'organisation, je ne sais pas qui c'était, mais y'avait un service d'ordre assez rude... Je me souviens de ce mec qui s'est gourré et est entré dans la salle par l'endroit prévu pour la sortie. Y s'est mangé une grosse claque dans la gueule, j'le croyais pas. Pas des tendres... Au fait je vous ai parlé de cet escalier roulant qu'il fallait emprunter pour changer de salle ? Y'avait des punks partout et quelques petits vieux qui passaient timidement de la salle bandits-manchots à la salle loto. Quelques heures avant on y avait croisé André avec une jolie poupée, un peu rebondie, comme il a l'air de les aimer. Il était fier comme un pape et semblait parfaitement remis de la méga-teuf de la veille dans notre piaule. Pendant le concert il a fait monter cette fille sur scène pour "Bacon Fat", le public était hypnotisé. Larry Hardy, le boss de In The Red Rds, s'est installé à la guitare pour une excellente version de "Shake A Tailfeather" Au pied de la scène, un Mick Collins hilare n'en perdait pas une miette. Ils ont fini par "Ride Sally Ride" et tout le monde a repris le refrain en chœur. Ce morceau est l'hymne national US ou quoi ?
Après ça j'ai fait un break réparateur, j'ai
volontairement loupé les Donnas, j'aime pas leur côté
midinettes. Je préfère les Bobby Teens, plus trash, on en
reparlera. Il paraît que les Donnas ont fait un bon concert, les
fans étaient ravis. Pendant ce temps-là je me préparais
pour les Raunch Hands et j'en ai profité
pour prendre quelques notes histoire de ne pas tout oublier ce qui s'était
déjà passé ce soir-là. Un p'tit rail, un tarpé
et quarante minutes plus tard, j'étais de retour, prêt à
en découdre avec le répertoire de Chandler et Mariconda.
La formation est la même qu'en 94, lors de leur ultime tournée
européenne. Je crois que le fait que les Raunch Hands jouent ici
est une des deux ou trois raisons (avec les Demonics, raté, et Guitar
Wolf, annulé !) qui m'ont décidé à faire le
voyage. Y'avait pas grand monde au pied de la scène, on dirait qu'ils
ont été oubliés. Faut dire qu'ils se sont séparés
il y a six ou sept ans et qu'ils étaient plus souvent en tournées
européennes ou japonaise que sur les routes américaines.
En plus il est deux heures du mat', une partie du public est partie dormir,
overdosée par le nombre de groupes qui ont défilé
depuis l'après-midi... Mike Chandler, sixteen forever, éternel
ado, sautille, sémillant et blagueur. Mariconda est un peu plus
réservé mais d'une extraordinaire précision à
la guitare. George Sulley (basse) n'a plus son abondante chevelure, je
l'avais croisé la veille avec sa copine Jessica dans les couloirs
du Gold Coast et j'ai mis un (court) moment à le reconnaître.
Sharky (batterie) est un peu empâté, il a du mal à
suivre j'ai l'impression. Y'a un CD live du groupe qui vient de sortir
sur Crypt USA, enregistré au Coney Island High il y a deux ans.
La pochette est dessinée par Cliff Mott, comme à l'époque.
D'ailleurs Cliff était à la partie d'après-concert
(des kilomètres de lignes blanches et des hectolitres de Jim Beam
!), il jouait un peu le rôle de psychiatre personnel de Chanler,
ou de baby-sitter interprète. Un Chandler proclamant à qui
voulait l'entendre qu'il allait tuer son batteur. Ambiance ! Faut dire
qu'effectivement Sharky ralentit la machine scènique alors qu'avant
c'était plutôt le contraire. Il avait quand même l'air
content de lui et répétait sans arrêt : «I'm
successfull, I'm successfull !». Mariconda était tout fier
de m'annoncer qu'il venait de mettre la main sur une série de Scopitones
tout droit issus des French 60's.
4h du mat', faut y aller vu qu'à midi on doit être
viré de la chambre du Rio, va falloir s'installer au Gold Coast
pour la dernière ligne droite. Et comme on est sept dans la piaule
(200$ par nuit), ça va sûrement ressembler à un déménagement.
Bonne nuit.
Dimanche 13 Aôut : Finalement ils nous ont laissé dormir jusqu'à 13h. Pas question de rater le premier groupe aujourd'hui, je suis donc au pied de la scène à 17h quand les Zodiac Killers balancent les premiers riffs de la journée. C'est le dernier groupe de Greg Lowery (bassiste chez Supercharger, les Rip Offs, etc...), il a des lunettes noires et un grand manteau genre Jack The Ripper. La guitariste ressemble à Betty Page, elle porte une jupe blanche constellée de tâches de sang, de la peinture rouge en fait. C'était bien. Sur disque (le mini-LP sur Rip Off Rds) je trouve qu'ils jouent trop vite mais en scène ça passe bien. Un des bons groupes du festival.
Les Von Zippers c'était moyen. Pas de look spécial, un chanteur costaud velu et hurlant, un peu bourrin aussi (une constante dans la soirée, on le verra avec El. Frankenstein, les B-Movie Rats et quelques autres). Pas spécialement enthousiasmant.
Les Bobby Teens c'était bien, marrant, avec une imposante Tina "Boom-Boom" Lucchesi, en jupette, qui se donne à fond. Ça respire la bonne humeur trash, comme dans un film de John Waters avec Tina en Divine. Burlesque, loufoque et efficace.
A part le chanteur, les Electric Frankenstein ne remuent pas beaucoup. Heureusement ils ont un pote grimé en créature du Doc Frankenstein qui vient foutre le souk sur scène de temps en temps. Y'a de l'énergie, rien à dire, mais j'ai un peu de mal à accrocher.
C'est au tour des Lazy Cowgirls, un grand moment de la soirée, Lenny le bassiste se prend pour un derviche tourneur, Pat Todd, éternel sourire au bord des lèvres a un regard illuminé. Ça roule et ça swingue. Excellent concert.
La reformation des Real Kids sonne comme au bon vieux de temps de "All Kinds Of Girls", la nouvelle bassiste est toute jeunette. John Felice a la forme, il n'a pas trop vieilli et porte toujours les cheveux longs (et un peu plus gris), le groupe est impressionnant. Et comme il y a beaucoup de monde devant la scène, l'ambiance est survoltée.
Toujours en haut, mesdames-messieurs, les Dictators... The Dictators rule ! C'est Johnny Legend qui introduit le groupe. Le son est excellent, le volume plus fort que pour tous les autres groupes réunis, Ross The Boss fait fuser les riffs et le mélange Stratocaster/Les Paul/Gibson/Marshall fait des ravages. Handsome Dick est omniprésent, se moque du Las Vegas d'aujourd'hui, genre "C'était mieux quand la Mafia faisait la loi. A l'époque du Rat Pack (Dean Martin, Sammy Davis Jr et Sinatra) y'avait moins de blaireaux pendus aux machines à sous". Le service de sécurité du Gold Coast (différent de celui du festival) a moyennement apprécié. Le groupe a une sacrée présence et le public est en feu, les tubes pleuvent et les New Yorkais concluent ce Shakedown 2000 en apothéose.
On passe dans les loges, Norah doit mettre au point quelques détails avec Andy Shernoff qui vient à Madrid dans quelques jours pour produire l'album de Sin City Six. Des loges assez minables d'ailleurs, juste derrière la scène, confort minimum. Je n'y reste pas longtemps puisque, surprise, les concerts continuent dans la salle du bas. Je tombe sur Motorchrist, un mélange Motorhead/Ramones, je sais que j'ai bien aimé mais j'ai du mal à m'en souvenir... Le chanteur des Weaklings est monté avec eux sur scène. L'atmosphère est au maximum punk, genre "Ok c'était bien en haut, maintenant on va vous montrer qu'ici aussi c'est pas mal". Le mec des Weaklings est en sang, ça a l'air d'être une habitude, Texas Terri les rejoint, Frank Meyer des Streetwalkin' Cheetahs aussi, ça fait du monde sur scène. Ils balancent le "Tonight" des Ramones. Terri n'a pas de scotch sur les tétons ce soir...
Juste trois/quatre minutes de répit et un mec avec un chapeau de cow-boy arrive sur scène, cheveux longs bouclés, c'est un groupe de jeunes speedés qui envoient le bois. Ils me rappellent les Dogmatics en plus nerveux. Y'a plus grand monde. Je demande à mon voisin ce que c'est que ce groupe, il me répond "pure rubbish" (de la pure saloperie). J'ai mis trois secondes à comprendre que c'était le nom du groupe. Pure Rubbish, d'Austin... Donc une fin extrèmement punk et percutante pour les agités de la salle du bas.
Après ça Mike Chandler est passé dans notre piaule tater d'un produit absolument illégal, je l'ai accompagné jusqu'à quatre heures du mat' et j'ai fini par capituler. Les autres ont tenu jusqu'à sept heures et ont accompagné Mike à l'aéroport d'ou il s'est envolé pour New York (où il bosse désormais pour Rolling Stone Magazine). Rideau sur Vegas."
Selon des infos compilées par le site www.birdmansound.com/birdnest.htm,
le Gold Coast s'est opposé à la tenue d'une deuxième
édition du Shakedown. Il y a eu environ 15000$ de dégats
divers (toilettes bousillées, mobilier endommagé par des
gens qui ont pissé dessus, etc...), sans compter les participants
aux tournois de bowling qui ont menacé de ne plus mettre les pieds
au Gold Coast si le festival était reconduit, ou les quinze mecs
arrétés pour usage et possession de cocaïne, ou la crise
cardiaque qu'a failli avoir une grand-mère en tombant sur les ébats
amoureux d'un couple de punks sur l'escalier roulant. Et bien sûr
ne parlez plus jamais de Bradly, le chanteur des Weaklings, aux patrons
du Gold Coast, il a foutu du sang partout et bousillé des
miroirs de valeur... Pourtant le prochain Shakedown aura bien lieu à
Las Vegas, selon la volonté des organisateurs, va juste falloir
trouver un autre endroit. En plus ça devrait durer quatre jours
cette fois...
Ah ah, incroyable ! Marky, le batteur historique (sur onze albums !) des légendaires Ramones joue ce soir au Show B ! Un endroit où on n’a à lui proposer qu’un coin de cuisine graisseux en guise de loge royale et trois boîtes de conserves vides pour tout light-show, gasp ! Le gaillard, qui a toujours la coupe de ses vingt ans, n’a pas l’air perturbé pour autant, les Buckweeds l’ont visiblement prévenu que la tournée serait punk (prononcez : à la bonne franquette)... Et les Buckweeds s’y connaissent en tournées punk. En moins d’un an, Manny, bassiste et âme damnée du groupe est devenu un des organisateurs de tournées les plus efficaces du circuit punk/rock européen. En général les groupes dont il s’occupe sillonnent le continent pendant un bon mois, de Belgique en Espagne en passant par l’Italie, la France, l’Allemagne, la Hollande et quelques autres.
Les Buckweeds sont étonnants. Non seulement ils ont réussi à débaucher Marky Ramone pour tenir la batterie pendant un mois de tournée, mais en plus Lemmy (yep, THE Lemmy !) a prévu de venir jammer avec eux sur l’étape parisienne du tour (malheureusement une des rares dates annulées, arghh...). Sur le site internet de Motorhead, les Buckweeds sont cités en bonne place parmi les nouveaux combos recommandés par Lemmy et son gang.
Les Buckweeds sont poursuivis par le destin. Quelques jours avant leur passage à Toulouse, un spectateur est mort au pied de la scène pendant leur série de reprises des Ramones. C’était en Italie. Il y avait trop d’agitation, le mec était sous acide et son cœur a laché. Les quotidiens italiens locaux en ont fait leurs manchettes du lendemain... Vous en voulez encore ? Voilà ce qui s’est passé à Tulle quelques jours plus tard, c’est Manny qui raconte : "Y'a un dégénéré qui a sorti un bowie-knife, avec une lame d'au moins vingt centimètres, j'exagère pas, et qui a commencé à tailler dans le tas !!! Un mec s'est fait ouvrir. Résultat, plein de flics, ambulance, etc...". Some more ? Ok, sachez qu’au moment où vous lisez ces lignes, Manny se remet tout juste d’une triple fracture au bras, souvenir d’une altercation à l’extérieur d’un bar où jouaient les Hellsuckers et Jack Black. Un mec est tombé sur lui et il s’est mal reçu, tout bêtement. C’était à Toulouse début octobre... Résultat : Rapatriement sanitaire pour Manny et repos forcé pour les Buckweeds pendant quelque temps. D’où annulation d’une tournée (avec les Hookers) et d’une session studio (avec Marky). Ce qui commence à faire beaucoup pour un seul groupe. D’autant qu’ici on est unanime, on a rarement rencontré des mecs aussi fréquentables, marrants et éminemment sympathiques (désolé de vous casser le coup les gars...) que les deux têtes pensantes (et seuls membres d’origine) CQ Cooper (guit-chant, dans les 80’s il jouait avec le combo garage-sixties The Midnight Men) et Manny Montana (basse-chant). Un tantinet provos certes ("Tulle ? Quelle soirée génialement désaxée...") mais tout de même pas de quoi déclencher une hécatombe pareille. Quoi qu’en y repensant, on n’est pas passé loin des ennuis en collant leurs affiches sur les murs de la ville la semaine avant leur passage ici. Une forêt de majeurs insolemment dressés vers le ciel, ça doit agacer le blaireau....
Le nouvel album des Belges est sorti à la fin de l’été. Il s’intitule What’s Wrong With Attitude et c’est Fandango Rds, le label de Washington monté par Jake Starr, le leader du groupe Adam West, qui édite la bête. Warning : pensez à faire sérieusement insonoriser l’appart’ avant de glisser la rondelle dans le lecteur (pas de version vinyle pour l’instant) si vous souhaitez continuer à vivre en bonne intelligence avec les voisins. Imaginez une hilarante collision sonique entre Motorhead et Zeke avec un plein container de ”77 punk attitude” en prime. Moins Ramones/Queers que l’album précédent donc, mais beaucoup plus violent. Chaque titre est un hymne, vrai de vrai ! Le speedomètre est constamment dans le rouge, y’a du fun et des filles, des mélodies addictives et des tonnes de "fuck" au détour des refrains , plus un sketch pédagogique à hurler de rire sur les différentes utilisations possibles du mot "fuck" dans la langue de Shakespeare (ou de John Wayne), exemple "riche" : "Fuck the fucking fuckers". Ajoutez-y des titres porno-punk comme "Sittin’ On My Face" ("Comment veux-tu que je te dise que je t’aime si tu t’assois sur ma figure ?") ou des brûlots pied-au-plancher tel "Fuck Shit Up", bande son idéale pour une descente des Jourdain Brothers dans une boum de lycéennes, et vous aurez une idée à peu près conforme de l’ambiance qui règne ici.
Mhhh... Présenté comme ça j’imagine que ça va en effrayer quelques-uns, alors soyons clair, il vaut évidemment mieux être fan de heavy-punk (70% punk / 30% heavy) pour avoir une chance d’apprécier le traitement comme il convient. Au réveil ça vous garantit une journée pour le moins dynamique. L’amateur exclusif de power-pop ou de sixties sound peut passer son chemin. Tout comme le fan de hard-rock qui ne conçoit un bon disque que bardé de solos récités par un guitar-hero bavard. Il y en a bien quelques-uns des solos, de redoutables même, mais ils dépassent rarement la durée maximum autorisée par le Code Punk (éditions Fuck You, 1977), soit une dizaine de secondes. Ce qui n’empêche pas le groupe de reprendre avec humour et en chœur le célèbre slogan anti-punk des hardos à la fin des 70’s (jetez donc un œil au dos du deuxième album des Oblivians) : "Kill a punk for Rock’n’Roll". J'espère que le côté parodique de l'affaire n'échappera à personne... Et on sait que les meilleures parodies deviennent parfois des classiques du genre qu'ils parodient (remember Nazz Nomad ?).
En concert ça déboule à
fond, forcément. ça décoiffe et ça cloue au
mur. C’est précis comme un coucou suisse punk, les riffs claquent
au quart de poil et c’est Marky qui drive la machine. Pas d’arrêt
entre les morceaux, l’ex-batteur des Ramones enchaîne immédiatement,
1-2-3-4, Manny et CQ réagissent au millimètre, c’est rodé
et imparable. Faut dire que Marky s’est pointé en Europe une semaine
avant le début de la tournée et a exigé huit heures
de répèt par jour. Tous les jours ! Manny et CQ ont réussi
à transiger et à ramener ça à "quelques heures
par jour". Marky a pris son rôle très au sérieux et
posé ses conditions d’entrée : "Je vous mets une note après
chaque concert, de un à dix. Moins de huit c’est mauvais, moins
de cinq je rentre au pays". Les Buckweeds ont joué le jeu, amusés
et ayant un peu de mal à réaliser qu’ils grimpaient tous
les soirs sur scène avec une de leurs idoles d’adolescence. Ils
acceptaient même de se plier à l’enquête pince-sans-rire
de Marky tous les matins : "A quelle heure vous êtes rentrés
? Qu’est-ce que vous avez bu ?" (le Ramone rentrait se coucher immédiatement
après chaque concert)...
La soirée s’est terminée sur
une vigoureuse série de covers des Ramones. Marky était impressionnant
et spectaculaire derrière ses drums, plus que, par exemple, Scott
Asheton, autre légende cogneuse vue ici il y a quelques années.
Le lendemain le groupe jouait en Espagne. A la fin de la tournée
Marky est retourné au pays (y'a de la reformation des Ramones dans
l'air...), CQ continue à s’occuper du site des Buckweeds et Manny,
un bras dans le plâtre, organise toujours des tournées à
travers l’Europe (bientôt : les Speed Devils, American Heartbreak,
Sonny Vincent, etc...) et dès qu’il pourra de nouveau maltraiter
sa basse, les Buckweeds reprendront tournées et enregistrements.
Voilà d'ailleurs le planning du groupe pour 2001, c'est chargé
: En avril, plusieurs dates avec American Heartbreak en Belgique et Hollande;
en mai/juin, tournée au Japon et en Australie (Marky sera à
la batterie) avec Sheena and the Rockets et Firestarter (ex-Teengenerate);
en septembre, petite tournée du sud de l'europe (Grèce, Slovénie,
Italie, France et Espagne) et en automne une tounée en Amérique
du Sud. Entre temps le groupe aura finalement entregistré un album
avec Marky, à New York, dans le propre studio de Mr Ramone. Il va
encore les forcer à répéter tous les jours, sûr,
et les boucler tous les soirs pour éviter les gueules de bois du
matin. Faudra qu'il songe aussi à faire mettre des barreaux aux
fenêtres...
Extraits de l'interview parue dans Dig It! #21
[...]
D.I : Est-ce qu’on pourrait parler un peu de Dust ?
Marky : Dust... J’avais quatorze ou quinze ans, j’allais du collège
vers le lycée ("10th grade" ce qui correspond à la troisième
chez nous). C’était cet été où je quittais
le collège, et j’avais eu du temps pour répéter le
premier album. C’était moi, Kenny Aaronson, Richie Wise... Richie
était en seconde, il était plus vieux que Kenny et moi. On
a fait cet album, c’était la première fois que j’enregistrais,
je n’avais pas la plus foutue petite idée de ce que je faisais,
mais c’est finalement bien sorti sur le disque. On était managé
par un gars qui était très effrayé par le fait qu’on
était trop jeune pour tourner. Il nous a trouvé des premières
parties d’Alice Cooper, Uriah Heep, et tous ces groupes, et on aimait ça,
mais, tu vois, nos parents voulaient qu’on finisse l’école, c’était
soit répéter, soit faire les devoirs... Donc on s’est séparé
après deux albums, qui ont tous les deux été classés
dans les charts américains, ce qui était très surprenant.
Richie Wise, à l’âge de dix-neuf ans a produit les
deux premiers albums de Kiss. Il a eu un pourcentage sur les ventes. Kenny
Aaronson a fait "Brother Louie"... (il se met à chanter en
claquant des doigts) "Louie, Louie, Louie, Louie... She was back...
as the night !!!" Il jouait de la basse là-dessus, ça s’est
vendu à trois millions d’exemplaires durant l’été
73. (Kenny officiera plus tard avec Billy Idol, Joan Jett et Bob Dylan.)
J’ai fait un album avec Andrew Oldham, le producteur des Rolling Stones
après ça. Ça s’appelait Estus, mais personne ne sait
grand-chose là-dessus... (Il n’évoque pas l’album de "Mississipi
Delta Blues" enregistré avec le guitariste Johnny Shines.) Et
j’ai commencé à traîner à New York. J’ai joué
avec Wayne County à l’époque des Backstreet Boys,
je les ai quittés après le single Max’s Kansas City,
ou quel que soit le titre qu’il avait, puis Richard Hell m’a demandé
de rejoindre son groupe après qu’il ait quitté les Heartbreakers.
Puis les Ramones. J’ai aussi auditionné pour les New York Dolls
mais... Jerry a gagné (il sourit). Jerry était bon.
D.I : J’ai lu quelque part que Jerry Nolan et le batteur de
Kiss avait pris des cours de batterie ensemble avec Gene Krupa...
Marky : Ils ont eu le même prof, je crois, mais ce n’était
pas Gene Krupa. Ils avaient le même âge, mais euhh... Jerry
et Peter n’avaient pas le même style, tu vois ce que je veux dire,
Jerry était plus straight, et Peter plus Kiss, tu vois...
D.I : Un film sur Richard Hell est aussi en prévision,
non ?
Marky : Richard Hell ? C’est sorti. C’est un film qui a été
fait en 1977, ils le ressortent simplement maintenant en DVD. C’est un
film bizarre, Andy Warhol y apparaît, une James Bond Girl (Carole
Bouquet !), les Voidoids... On joue "Blank Generation" live, ce qui
est très cool, on joue deux ou trois morceaux live, et c’est un
vrai film, avec de magnifiques couleurs. Ca s’appelle Blank Generation,
à ne pas confondre avec cette compilation qui montre plusieurs groupes
en noir et blanc. Le titre "Blank Generation" est très utilisé
dans les références punk, pour des vidéos, des livres...
Mais, là, c’est le vrai truc.
D.I : On va parler un peu des Ramones. J’ai une question un
peu stupide : quel est ton album préféré des Ramones
?
Marky : Evidemment le premier, et Rocket To Russia, Road
To Ruin, j’aime beaucoup Mondo Bizarro... Les autres Ramones
à part Joey et moi ne l’apprécient pas, mais j’adore Pleasant
Dreams, vraiment. Je déteste Subterranean Jungle. Je
n’aime pas sa production, mais il y a de bons morceaux. J’aime les autres
aussi, mais voilà mes favoris.
D.I : Quels souvenirs tu as gardé des sessions de End
Of The Century, produites par Phil Spector ?
Marky : Des souvenirs très précis. Traînant
à cinq heures du matin, me saoulant la gueule avec lui, du vin rouge
bon marché... Je l’ai finalement poussé à boire du
bon vin parce qu’il pouvait se le payer, tu vois, alors on a commencé
à descendre du vin italien. On allait dans tous les clubs aux quatre
coins de L.A, le Whisky, le Roxy... et on se pointait au studio vers deux
heures de l’après-midi, pour commencer à enregistrer après
une nuit de fiesta... Mais on a fait notre boulot. C’était vraiment
très amusant d’entendre quelqu’un frapper à ma chambre d’hôtel
et de trouver Phil Spector sur le pas de la porte. Et il me racontait
des histoires à propos des Beatles, des Ronettes, des Righteous
Brothers... Et, tu vois, y’avait juste des trucs bizarres, il avait toujours
une arme sur lui, il avait ses deux gardes du corps, du fil de fer autour
de sa propriété, une clôture électrifiée...
Tu pouvais voir les cadavres des insectes qui avaient essayé de
se poser sur la clôture et qui avaient été grillés.
C’était assez bizarre. J’ai traîné avec Phil pendant
cinq semaines... de grands moments.
D.I : La légende dit qu’il a un jour pointé son
arme sur Dee-Dee, c’est vrai ?
Marky : Il était saoul, c’était une mauvaise chose.
Mais on l’a entrepris à ce sujet et il a laissé ses flingues
à la maison.
D.I : Il paraît aussi que lorsqu’il a mixé les
violons sur la reprise de "Baby, I Love You", vous avez quitté le
studio.
Marky : Right. C’est vrai. Dee-Dee ne voulait pas entendre parler
de cette partie du mix, Johnny est rentré chez lui... Joey et moi,
on est resté parce qu’on avait encore des choses à terminer.
D.I : Alors, y avait-il trop de violons sur cette version ?
Marky : Au bout du compte, c’était une chanson de Phil
Spector, on n’allait pas lui dire comment la produire. Mais l’album s’est
vendu à près de cinq cents mille exemplaires, ce qui était
très bon pour nous, surtout en Europe. En Europe on a été
numéro huit, aux Etats-Unis, numéro quarante-cinq, quarante-six.
C’est l’album qui s’est le plus vendu jusqu’à Ramones Mania. Celui-ci
s’est vendu à huit cents mille exemplaires. Il va être platine
bientôt. C’est notre album d’or. Mais End Of The Century était
une production Phil Spector, du début à la fin. C’est écrit
: "A Phil Spector Production"...
D.I : C’est même écrit plusieurs fois... Vous
aviez toujours eu un côté pop de toute façon.
Marky : Oui, absolument. J’aimais beaucoup cette musique sixties,
il n’y a rien et il n’y aura jamais rien d’équivalent. La scène
punk seventies a été le dernier vrai truc. Maintenant
ce sont juste des groupes punks de la deuxième ou troisième
génération qui imitent les Ramones, les Sex Pistols et les
Clash. Il y a beaucoup de bons groupes de nos jours, mais les sixties avaient
vraiment de grands morceaux, avec lesquels les kids ont grandi, ceux qui
avaient huit, neuf ou dix ans à l’époque, on entend encore
ces grands morceaux à la radio, ce sont ceux qui sont les plus diffusés,
vraiment, ça ne peut être que bon, il y a quelque chose en
eux qui est irrésistible, tu vois.
D.I : Quels morceaux te souviens-tu avoir écouté
quand tu étais gamin ?
Marky : Oh, "Psychotic Reaction", "Dirty Water" par les Standells,
"Be My Baby" par les Ronettes, "I Get Around" des Beach Boys, "Dead Man’s
Curve" de Jan & Dean, les Beatles : "Help", "Nowhere Man"... Qu’est-ce
qu’il y a de mieux que ça ? "My Generation" des Who, The Kinks "All
Day And All Of The Night"...
D.I : Pour en revenir aux albums des Ramones, j’ai toujours
été intrigué par la pochette de Subterranean Jungle.
Tu as quitté le groupe juste après ce disque ?
Marky : Right.
D.I : Et sur la pochette Joey, Dee-Dee et Johnny sont regroupés
à la porte d’une rame de métro tandis que tu es seul à
une fenêtre...
Marky : Right. C’était une bonne chose à faire.
Je quittais le groupe, et on l’a chorégraphié. C’était
entièrement planifié. Je suis parti parce que j’avais un
problème avec l’alcool. Et c’était juste que je parte, tu
vois. J’ai fait le bon choix. Je me suis tiré de là. Cela
montrait juste que je partais et que je ne faisais plus partie du groupe.
D.I : Sur le verso de Pendulum, l’album de Creedence, il y
a le même genre de photo avec Tom Fogerty, tout seul à une
fenêtre, et c’était juste avant qu’il ne parte. C’est une
coïncidence ?
Marky : Ah ouais ? C’est curieux. Je ne savais pas. Je ne suis
pas au courant. Je n’ai jamais trop aimé Creedence Clearwater, je
n’aimais pas trop ces influences country, tu vois ce que je veux dire,
mais ils étaient bons dans leur genre.
D.I : Tu as quitté les Ramones vers 1983...
Marky : Novembre 1983. Johnny et moi avons eu une petite discussion
et il était temps pour moi de foutre le camp.
D.I : Qu’est-ce que tu as fait avant de les rejoindre à
nouveau ?
Marky : J’ai été dans une institution psychiatrique,
pendant environ deux mois. Je voyais, tu sais... des animaux dingues, des
vers et des reptiles... Tu vois ? Ça s’appelle DT’s.
D.I : Delirium Tremens ?
Marky : Tu vois des choses quand tu bois. J’ai commencé
à voir des choses, et il a fallu me désintoxiquer. J’ai commencé
à aller mieux. Mais mon cerveau était totalement bousillé,
les œufs brouillés ont dû redevenir des œufs ordinaires, tu
vois ? Pour que je puisse penser à nouveau. Mes pensées étaient
OK après deux mois, alors je me suis tiré et j’ai formé
un groupe avec Richie des Plasmatics, pendant environ un an. On voulait
nous signer, mais j’ai eu un coup de fil de Monte, le road manager des
Ramones qui voulait que je revienne dans le groupe. Et j’ai dit d’accord.
Richie était un personnage étrange, moi et lui étions
les leaders du groupe, mais on a eu quelques engueulades au sujet d’une
signature sur Elektra. Je lui ai dit de le faire, il ne voulait pas, et
je connaissais le mec qui voulait nous signer, et je savais qu’il pousserait
le groupe et qu’il ferait ce qu’il y avait à faire. Mais Richie
n’a pas eu confiance. J’étais content qu’on me demande de revenir.
Mais ces années ont été dures, parce que j’ai arrêté
toute cette merde. Tu vois, quand tu es dans une chambre et que tu commences
à voir surgir des choses qui ne sont pas vraiment là... Tu
vois, c’est plutôt sauvage.
[...]
Quand notre complice de toujours Tommy Boy s'en va aux Etats-Unis,
c'est toujours pour son boulôt. Son boulôt c'est..., heu comment
dire... "savant fou en mathématiques", si ça peut vous évoquer
quelque chose... Et à ce titre notre homme hante parfois les universités
américaines et leurs campus, à la recherche des affiches
qui annoncent les bons concerts du coin, les endroits "où ça
se passe"... Et ouais, savant fou et fan de rock...
(GC)
The Dictators à Providence
Côté concerts, je viens de passer
une semaine plutôt occupée qui a commencé et fini au
Middle East (un des clubs les plus branchés de Cambridge, MA, avec
ses trois scènes et les multiples concerts qu'il organise également
en d'autres lieux) : samedi 14 octobre, Mary-Lou Lord et John Doe, dimanche
22 octobre, Robyn Hitchcock et Grant Lee Philips. Entre les deux, quelques
plaisirs pour vieux folkies (Victoria Williams le 15, et Richard Thompson
le 19), et surtout... les Dictators le 20 octobre, mais pas à Boston,
à Providence !
On serait en droit d'espérer de Providence,
Rhode Island, un quota d'angoisse brumeuse ou au moins une ration d'horreur
indicible. Peine perdue, le quartier universitaire nargue la cité
du haut d'une colline bohémienne et ensoleillée. Pauvre Lovecraft,
tu dois te retourner dans ta tombe : ils ont en prime décidé
de rénover un centre-ville sans doute déprimé, nous
ont fichu une promenade aux flambeaux le long de la rivière et...
laissé se développer, au rez-de-chaussée de vieux
gratte-ciels qui ont encore peine à trouver des compagnies capitalistes
comme locataires, une fournée de bars et boîtes de nuit qui
font du downtown un quartier presque chaud. En attendant les neiges de
l'hiver.
Si les Dictators étaient en tête
d'affiche au Café Met, le troquet était encore désert
à dix heures du soir, les deux groupes locaux chargés de
chauffer le plancher accomplissant leur mission avec des fortunes diverses.
Les C-60 de Boston pratiquent un métal mâtiné
de fusion hardcore, très lourd, joyeux à l'occasion, mais
pas assez pour me convertir. Mother
Jefferson, par contre, venus en voisin de Newport, Rhode Island,
m'ont vigoureusement réveillé : dans leurs meilleurs moments
ils font penser à des Aerosmith speedés, trois cents riffs
à la minute, sans jamais cesser de nous assassiner de guitares.
Du rock frit dans l'huile bouillante.
Quand les 'Tators se décident finalement
à cesser de traîner dans la salle sous leurs identités
secrètes et à monter sur scène, convenablement munis
des grattes et des couvre-chefs qui en font l'increvable groupe du vrai
rock new yorkais, la salle se remplit et s'anime. Ils attaquent épais,
avec des extraits de Manitoba's Wild Kingdom qui mettent les choses en
place : "New York New York" et "Haircut and Attitude" ("It don't take no
melody to make rock and roll history..."). Plus que jamais, Handsome Dick
Manitoba est leur arme secrète. Je ne l'aurais jamais reconnu sous
les traits de ce petit gringalet qui errait dans le club, mais sur scène
c'est devenu un grand prêtre. Avec ses traits nouvellement émaciés,
ses yeux siciliens, sa barbiche, son nez pointu et sa calotte tricotée,
il ferait un imam fondamentaliste du feu d'Allah ! Heureusement qu'il ne
fanatise les foules que pour le rock'n'roll, tout comme le révérend
Mojo Nixon qui a abandonné le petit commerce familial de bondieuseries
pour nous faire bénéficier de ses talents.
Alors, Handsome Dick a entrepris de nous expliquer
sa ville et son quartier natal. «Vous avez remarqué comme
New York est en train de changer ? C'est en train d'être envahi par
des... Américains ! De devenir comme partout ailleurs ! On est infesté
de ces nouveaux bars à café où on te vend une tasse
pour cinq dollars ! (Starbucks, visiblement) Quand j'étais gamin,
dans mon quartier on avait de la culture, de la bouffe, quelque chose à
faire 24 heures par jour... Give Me Back Avenue A !» L'avenue en
question, si je me souviens bien, est située dans le Lower East
Side, un quartier dont peu de gens se sont faits les hérauts. "Give
me back Avenue A" est un morceau inédit des Dictators qui, sans
être peut-être au niveau d'un tube comme "Who will save rock'n'roll
?" aurait, ma foi, le potentiel de devenir un hymne, entre Bowery et East
River tout au moins. Il sera sur le tant attendu prochain album du groupe.
Handsome
Dick s'est replongé dans les délices de ses souvenirs d'enfance,
quand il n'était que le petit Richard Blum, au milieu d'un autre
opus récent des Dictators, "I Am Right" : «Je me rappelle
d'un week-end chez ma grand-mère au fin fond de l'Etat de New York,
quand j'avais quinze ans. Elle faisait cuire les hamburgers sur le barbecue,
et je suis venu la voir en lui disant «Mamie, laisse-moi cuire les
burgers». «Non !». «Mamie, laisse-moi cuire les
burgers, tu les fais brûler et ils sont immangeables à chaque
fois, tout desséchés par le feu». «Non !»
Alors j'ai agrippé la spatule que tenait ma grand-mère et
on a commencé à se disputer comme des chiffonniers, chacun
tirant de son côté, et finalement ma grand-mère est
tombée en arrière et je me suis retrouvé avec la spatule
dans la main. Et alors que j'aurais dû, comme un bon petit-fils,
tendre la main à ma grand-mère pour l'aider a se relever,
qu'est-ce que j'ai fait ? Je lui ai dit, «Grand-mère, que
cela te serve de leçon. Tu crois avoir devant toi ton petit-fils
Richard. Tu te trompes ! Je suis Handsome Dick Manitoba, et J'AI RAISON,
J'AI TOUJOURS RAISON !». Et de relancer son gang sur le riff impitoyable
du morceau, histoire de donner une leçon au public, si jamais il
n'en était pas entièrement convaincu... Mais à ce
moment du concert, il l'était.
Car les Dictators, toujours sous la houlette
flegmatique d'Adny Shernoff, avaient déjà déroulé
bon nombre de leurs tubes, en évitant l'album semi-raté que
fut Manifest Destiny, mais en exploitant autant les machines de guerre
de Bloodbrothers ("Stay with me", "Baby let's twist", "Minnesota Strip",
"Faster and Louder") que les pépites du premier album ("Weekend",
"Master Race Rock" -oui, ils osent toujours- et un rappel avec "The Next
Big Thing" -plus amer qu'ironique aujourd'hui ?- enchaîné
sur "Two-Tub Man" via un solo totalement hard-rock d'un Ross the Boss narquois).
Ah, et n'oublions pas les amateurs de country, avec une reprise (la seule
du concert) de l'indicatif de "Rawhide", quelque part entre les Blues Brothers
et Blood on the Saddle...
«Quand est-ce qu'ils se décident
à sortir un nouvel album ?» que je hurle à la sympathique
tenancière de leur stand de T-shirts et 45 tours. «C'est ce
que je me tue à leur dire», qu'elle soupire. Mais pour le
moment, le groupe profite de la vie : avant un show de Noël à
côté du CBGB's (mais dans une salle plus grande, me précise-t-on),
ils partaient pour une brève virée en Espagne, trois concerts
la semaine suivante (du 26 au 28 octobre, de Barcelone à Madrid).