Ma Chevrolet s'engage sur la rampe d'accès à l'Highway
55. Je conduis du bout des doigts, sans la brusquer, incluant dans mon
champ de vision aussi bien ce qu'avale le lourd capot que ce qui se déroule
dans les rétros. Un coup d'avertisseur derrière moi, j'ai
vaguement le temps d'apercevoir un furieux percé en divers endroits
du visage dans son pick-up noir -rétro intérieur- alors que
vient rugir un V8 en rogne à ma DROITE et VROOM !!! Ce fils de pute
de surfer (autocollants No Fear à chaque coin du pare-brise arrière)
me double en me faisant un doigt. Pas assez rapide, la Chevrolet matinale.
...
C'est international un beauf. Sauf peut-être que celui-ci
est plus défoncé au crack que les nôtres, va savoir.
Dans le doute, je laisse toute velleïté Mad Maxienne au vestiaire
et je lève le pied. J'ai pris l'embranchement à Fullerton,
CA. Pas à Beverly Hills. Fullerton, c'est la Californie de tous
les jours, comme Stanton, Huntington Beach ou encore Santa Ana. Des quartiers
découpant un désert désormais souterrain autour d'un
centre-ville fantôme qui ressemble plus à un décor
pour téléfilm qu'à une ville. Il n'y a pas de patine,
pas d'évident signe de vie. L'implacable leitmotiv Summer Fun collé
sur chaque instant de la vie courante semble souligner l'infernal quotidien
d'un futur s'annonçant inévitablement gauchi, mensonger et
sans guère d'échappatoire. Sans guère d'humanité...
Quoiqu'il en soit, j'aime à m'y promener. Le barrio mexicain
me ravit, il y a même par là une Highland Avenue, avec une
maison aux volets bouchés. J'en fredonne la chanson du Gun Club
quand je passe devant. Deux ou trois boutiques indés mettent un
peu de couleurs dans ce centre ville immuablement figé. Leo Fender
s'était installé dans cette bourgade au début des
années 40. Il y a créé ces vénérables
amplis que nous aimons tant, frères et soeurs, ainsi que les guitares
féroces et difficilement destructibles qui ont contribué
à écrire notre histoire contemporaine. Le musée municipal
retrace un peu son histoire -Summer Fun, ne l'oublions pas- et un coin
de l'édifice est réservé à la démonstration
par l'exemple de ce que furent sa-vie-son-oeuvre. On pourrait entrer en
transe à la vue de la première Telecaster, ou d'une Strat'
vintage, mais l'ambiance est tellement peu rock'n'roll qu'on n'y fait que
passer un moment tiédasse. Tu crois qu'ils auraient affiché
un single de Gene Vincent ou mentionné l'infernal Chris Gallup ?
Qu'hommâge eut été rendu au gentil Buddy Holly, pour
ne parler que des débuts ? Rien du tout. Ne parlons pas non plus
du Gun Club, ni même de Springsteen... Une vidéo tourne en
boucle sur un mini-écran, on peut écouter la bande-son, au
casque (!), en rêvant d'y voir Jimi pulvériser le "Star Spangled
Banner". Mais de toute évidence c'est un putain de film d'entreprise
qui se déroule là, pas l'histoire de la musique contemporaine.
Leo Fender était un homme d'affaires à succès ; les
guitares Fender se vendent (à CBS puis à Sony) dans tous
les coins du monde, les enfants mexicains et coréens les fabriquent
pour des salaires de misère... Non, ce qu'on peut retenir de la
vie de Fender, c'est qu'il n'a jamais joué de guitare ! Rien ici,
pas une photo, pas une anecdote, qui le montre en train de faire sonner
une de ses créations ! Il était ingénieur, il avait
commencé à faire des postes de radio, puis s'est mis aux
amplis et finalement aux guitares. Il payait des consultants pour venir
essayer ses modèles. Edifiant !
Un sale clin d'oeil rouge en face de moi, soudain : l'autre bourrin
interrompt mon ébauche de réflexion en plantant un coup de
patin devant la Chevrolet, histoire de me filer une petite sueur froide.
J'avais un peu prévu le coup. Je les pratique aussi sur nos autoroutes
à péage, les assassins à quatre roues, 4-wheels motherfuckers,
comme on dit ici... Ok... C'est parti pour un remake de Duel. Je pousse
le volume du poste à donf' ; ma botte droite soudain en plomb enclenche
le kickdown et la Chevrolet s'arrache à la pesanteur matinale en
feulant. Un coup de volant à gauche, je passe le pick-up, limite
accrochage, bien sûr, puisque l'andouille à anneaux tente
le coup de volant meurtrier pour m'envoyer valser dans le rail de sécurité.
Ma tire s'enfile vingt-cinq litres de sauce pour l'occasion et laisse le
pick-up sur place. Salut et à jamais !
Je continue une paire de miles sur ma lancée, puis comme
je ne distingue pas de mauvais signe dans le rétro, lève
le pied. Une batterie roulant derrière une Telecaster ranchy, et
voici l'habitacle envahi par une chanson de circonstance ! J'en souris...
"I fought the law..." chante Mike Ness "...and the law won !". Faut pas
l'oublier ! C'est étrange comme cette chanson a le mérite
de s'entourer de bonnes âmes au fil des ans, du Clash à Mike
Ness, en passant par les Stray Cats et la Mano (ou les Dead K, Jello avait
changé le refrain : "...and I won", hmmm... vraiment ?). Et combien
d'autres ? J'aime bien la voir passer comme ça, surgir au gré
de productions amies. Ça crée des liens. En tout cas,
ça m'aide à me préparer à l'entrevue à
laquelle je suis convié, à Santa Ana, où je me rends
dans la bagnole sans assurance de mon pote Chris. Je m'allume une Lucky
sans filtre. Eehhh oui ... "And the law won", faut faire gaffe !
Social Distortion, user's manual.
Mike Ness est originaire de Fullerton, Californie. Comme par hasard,
c'est là aussi que j'ai mes quartiers, dans le barrio mex. Il y
a fondé Social Distortion en 79, avec son pote de lycée Dennis
Danell, récemment disparu. Chacun derrière une gratte et
abonnés chez Gibson (Gretsch parfois), ils se sont attaqués
à la scène locale, au sud de Los Angeles dans le comté
d'Orange, en même temps qu'X, Black Flag et le Gun Club, par exemple.
Enfance douloureuse, adolescence sur le fil du rasoir, espoirs
de lendemain soumis à caution ou remis à la loterie des trois
accords primaires, avec passage quasi-obligé dans les limbes chimiques
des substances illicites composant pour le tiers la trop galvaudée
trilogie S+D+R'n'R, Mike et Social D ont fini tout de même par accoucher
d'un petit paquet de disques et surtout d'une solide réputation
d'intégrité et de sincérité. "Charmed Life".
C'est pas moi qui le dit, c'est Mike. Ecoutez ce titre sur l'album solo
#1 de l'homme, Cheating At Solitaire, et vous SENTIREZ mieux ce qu'il en
est. Hmmmmm... Goûtez aux plongées de la Gretsch Silverjet
de Billy Zoom dans "Dope Fiend ?? Blues", appuyées sur la rythmique
implacable de la Gibson de Mike, ECOUTEZ les paroles de l'homme qui a vendu
son âme au diable et qui la lui a volée ensuite. Laissez-vous
entraîner...
Brian Setzer et Bruce Springsteen ne s'y sont pas trompés
qui eux aussi ont prêté leur concours SPONTANEMENT à
l'édification de cet album. Avec respect, nous le verrrons plus
tard. Ce disque est indubitablement le plus sensible, le plus personnel
et le plus mûr qu'ait jamais composé Mike Ness. Le premier
jet d'une production présentée comme uniquement personnelle
où s'expriment ses influences profondes, dans un format plus vaste
que celui sous lequel est reconnu habituellement Social Distortion.
Si vous aimez retrouver l'influence du Clash aux USA (ou l'inverse)
période Give 'em Enough Rope (album formaté US sorti en '78),
prêtez une oreille attentive au dernier album studio de Social Distortion,
également le plus lourd, White Light, White Heat, White Trash. Vous
y retrouverez certainement un état d'esprit frère, un son
épais et une voix chaleureuse, rauque et généreuse.
N'hésitez pas à aller tout de suite vous repaître de
leur savoureuse ré-appropriation de "Under My Thumb". Enfilez ensuite
le perfecto du soir pour un "When The Angels Sing" ou mieux, "Don't Drag
Me Down" également disponible sur le Live At The Roxy. Celui-ci
offre, outre un survol de toutes les époques de Social D sans user
du souvent bêtifiant vocable Best Of, la possibilité de capter
l'attitude du frontman sur SA scène. Généreux, caustique
et parfois à ras le bitume ("Hey you got nine more of those fingers
? Take out 10 of 'em & stick'em up yer ass ! ... " pendant l'intro
de "Ring of Fire", de l'Homme en Noir), Mike enchaîne ses compos
punky-country avec une énergie constante, revigorante et un bonheur
au moins égal sinon croissant. Inusable.
Si finalement cette invitation au voyage en pays punky au sud
de la Californie américaine vous tente, augmentez votre collection
de l'album Under The Influences, sélection de reprises country,
dont "I Fought The Law" justement, mise en boîte en dix jours, ou
bien encore Between Heaven & Hell de Social Distortion. Probablement
mis en boîte en cinq, celui-là. Au-delà, on risque
de tomber dans l'anecdotique, car n'oublions pas qu'il(s) vien(nen)t d'un
monde et d'une époque où un groupe se faisait d'abord sur
scène, ce qui induit quasi-forcément quelques maladresses
sur vinyle, tant au niveau du son que de la pertinence du message. Pour
l'instant, profitons d'un matin qui somme toute s'annonce clément.
"Funnel of Love" bloqué dans le lecteur, la Chevy tranquillement
calée à 95 km/h, filons à notre rendez-vous de la
journée, retrouver Mike chez lui.
Santa Ana (for your eyes only)
La copie de la nouvelle adresse de Mike, précédée
de la mention "for you eyes only", reçue hier par e-mail, trône
sur le tableau de bord, ainsi que l'itinéraire savamment étudié.
Malgré deux erreurs successives d'embranchement, je trouve vite
la maison indiquée et me gare au bord du trottoir. Sur la pelouse,
des ouvriers gâchent le plâtre et en enduisent la façade.
Je n'essaie même pas l'anglais pour leur demander si je suis bien
à la bonne adresse."Con permiso, señores, estamos en el numero
* de la calle ** ?". "Si señor, ya esta". Bien. C'est là.
Vu que je suis un rien en avance, je m'arrêterais bien cinq minutes
pour discuter avec eux. J'aime bien les Mexicains, c'est une inclination
perso, une histoire à la fin perpétuellement ouverte et remise
à plus tard. Mais il ne faut pas que je me disperse. Je les remercie
pour l'info et tourne au coin de la rue où je suis censé
trouver l'entrée. Mike Ness est là, en train de passer un
coup de fil.
Il est de ceux qui écrivent l'histoire de leur vie sur
leur corps. Tatoué grave, en d'autres termes... Il m'aperçoit,
fait une pause dans sa conversation et me salue de la main, m'invitant
à approcher. J'y vais, "Salut Mike !" Il raccroche, me serre la
pogne, "Salut Laurent... J'écorche pas trop ton prénom ?"
et me prie d'entrer, s'excusant au passage du foutoir dans lequel il m'entraîne,
car il est entrain d'emménager. "Ici, c'est tranquille. Enfin à
peu près aussi sûr qu'on puisse l'être d'après
les standards de Californie du Sud, tu sais. T'as trouvé sans trop
de problèmes ?"
Heureusement, sa pièce -celle où il compose et
réfléchit- est finie, et c'est là qu'il m'emmène.
Je remarque au passage que sa maison est en dur, ce n'est pas si courant.
Ouais, précise-t-il, car elle date de 1923 et il la restaure dans
l'esprit, et autant que possible avec goût. Murs vert pastel, canapé
aux angles arrondis 50's recouverts de tissus à motif jungle (!),
deux Gretsch vintage accrochées au-dessus... "C'est là que
je compose. Assieds-toi, fais comme chez toi".
Je constate, tout en faisant un tour d'horizon (deux juke-box
truffés de collectors, présentoirs à revues de hot-rod
50's, globes publicitaires d'époque accrochés au mur) que
mon compteur de trac est tombé nettement en dessous de la zone rouge.
Je me sens vraiment à l'aise. Je m'octroie le fauteuil, lui le canapé
et on continue à discuter. Comme promis à Strummer la dernière
fois (Dig It ! 24), je lui fais part de ses amitiés. Il me répond
que le Clash a énormément compté pour lui (ainsi que
la ribambelle d'autres allumés de l'époque bien entendu),
qu'il les a vus en 79 à L.A. Ce fut la claque de sa vie de teenager
au pays de l'aseptisation musicale (déjà !). Il connaissait
de réputation, il avait écouté le(s) disque(s). Mais
les voir sur scène, fiers et électriques, généreux
et bordéliques, lui a donné envie de monter un groupe avec
son pote Dennis. Prendre la scène ne devenait plus quelque chose
d'irréalisable, bien au contraire.
Comme Mike l'avait honnêtement (ingénument ?) déclaré
avant d'attaquer "I Fought The Law" en concert l'an passé, sans
Strum', pas de Ness. Et donc pas de Social Distortion ni d'albums solos.
Rien. Combien d'autres dans la foulée, des Fabulosos Cadillacs à
la Mano Negra en passant par U2 (hélas... oui, faut bien le reconnaître)
ou Green Day ? Ce n'est même pas l'album Tribute to the Clash qui
peut en donner une idée. Un album auquel Mike a d'ailleurs participé
en tant "qu'homme derrière la console" pour "Janie Jones".
Je le regarde parler, non que ce qu'il dise ne m'intéresse
pas, au contraire, mais je me... décale... pour profiter de l'instant
: Mike Ness m'a invité chez lui à discuter ! Il faut que
je fixe cela dans ma mémoire, afin de pouvoir m'en souvenir dans
le moindre détail plus tard, quand la vie sera redevenue noire et
blanche, pluvieuse et humide.
Il parle à un rythme détaché, très
intelligible, ponctué de "You know" appuyés et de sourires
discrets. Le cadre qu'il a choisi pour l'entrevue évite toute forme
de distanciation. C'est un premier parti pris d'honnêteté,
tout comme le fait de quitter ses Wayfarer à partir du moment où
nous nous sommes retrouvés face à face.
Je le remercie pour l'invitation. Je n'en espérais pas
tant, à vrai dire. Il me répond que c'est la moindre des
choses, qu'entre la tournée de Social D et son déménagement
il m'a trop fait poireauter et s'en excuse. Tout comme de ne rien avoir
à boire...
-"C'est pas grave. On branche le magnéto ?"
-"D'accord. J'envoie Shane te chercher quelque chose à boire.
Qu'est-ce que tu veux ?"
Hey ! Voilà Shane, il faut que je parle de Shane Trulin
sous peine d'être injuste. En quelques mots, Shane est employé,
entre autres, aux relations publiques chez Rebel Waltz (appréciez
le clin d'oeil), l'agence de management de Mike. Il a vingt-quatre ans
et a commencé il y a 5-6 ans à bosser pour eux en vendant
des T-shirts aux concerts. Il m'a d'ailleurs confié que le pays
d'Europe où Social D avait le plus de succès était
l'Allemagne, au vu du nombre de ventes de T-shirt par correspondance dans
cette partie de la communauté (il faisait les paquets !). Il est
fan de Social Distortion depuis toujours et s'est vraiment décarcassé
pour que je puisse rencontrer son héros. Merci Shane. Lors de notre
première rencontre, dans un diner 50's près du QG de Rebel
Waltz, il m'a rapporté l'anecdote suivante : en 1994, MTV invite
le Tout-Los-Angeles + deux ou trois satellites du monde libre à
un raout inter-genres dans son quartier général de Burbanks
à l'occasion des Awards de l'année. Mike Ness est de la fiesta,
bien que pas nominé et pas vraiment heureux d'être obligé
de se mêler au gotha de la musique populaire contemporaine. Il traîne
donc près du buffet quand deux hommes en noir s'approchent de lui
et le prient poliment de les suivre. Intrigué, il leur emboîte
le pas vers une porte préservant un rien d'intimité pour...
Bruce Springsteen & familia ! Ouch... C'est carrément La Cène
autour de cette grande tablée où trône un Boss souriant
et bienveillant, désirant personnellement féliciter Mike
Ness pour sa production et lui assurer qu'il est un fan absolu possédant
toute la collection des enregistrements de Social Distortion à la
maison ! Devant les caméras, un peu plus tard, le même Bruce
Springsteen brandira White Light, White Heat, White Trash en clamant :
"Eux méritent un Award, pas moi".
Shane arrive en souriant. J'en profite pour sortir mon magnéto
et nous voilà partis pour un moment.
THE WILD ONE
Dig It ! : Guitares vintages, juke-boxes de même époque
et revues Kustom/Hot-Rod des 50's ! Voilà donc d'où vient
ton influence, ou au moins une partie ?
Mike Ness : Ah ça ce sont des trucs qu'on ne trouve
plus. Les juke-boxes sont en état de marche et c'est heureux car
il n'y a quasiment plus personne pour les entretenir et les réparer.
Comme les vieux mécanos. Il faut apprendre d'eux dès qu'on
en a l'occasion, c'est un savoir-faire qui disparaît. Quant aux revues,
ce sont toutes des collectors. Elles sont introuvables de nos jours...
Je hante les marchés aux puces, tu sais... C'est de là que
vient ma Chevrolet '54, et de ces époques passées que vient
l'inspiration, la filiation. Tu connais l'origine du mot Custom ?
D.I : ?
M.N : A l'époque, il y a un mec, en Californie,
qui est venu voir les frangins Barris. Il a dit : "j'aime bien ce qui se
fait à Détroit, mais je me demande ce qu'on peut faire pour
l'amener un peu plus loin, pousser ça au-delà des limites...".
Et effectivement, à partir du moment où tu rabaisses une
caisse, toute l'attitude s'en trouve modifiée ! Ce qui était
une bagnole de beauf' devient une (il claque des doigts) méchante
créature... Une création un rien plus élégante
que Détroit l'a voulue, en somme. (Sourire)
D.I : Et donc Custom vient de Customer (client, en français)...
M.N : C'est ça. C'est une question d'individualité.
Tu connais le proverbe : "Ce que le client veut...". Les carrossiers du
genre de Barris faisaient ce que voulait le client. Ils PERSONNALISAIENT
les autos. Et après c'est devenu un style, les customisateurs changeaient
tout, à leur goût. Les phares, les pare-chocs... Tout. Tu
comprends, au feu rouge, personne ne te dit : "Quelle jolie voiture vous
avez là". Oh putain non ! C'est une sale méchante tire que
tu conduis. C'est pas la peine de demander quoique ce soit, tout est dit.
C'est là, sous tes yeux et on revient à ce qu'on disait tout-à-l'heure
: c'est essentiel d'avoir une voiture en Californie, et d'affirmer ta personnalité
avec.
D.I : D'autant que personne ne se déplace en marchant...
M.N : Ouais, si tu marches en Californie, tu te fais arrêter
pour vagabondage ! C'est dingue. Moi, je me suis branché Kustom
parce que c'est une extension de l'expression personnelle.
D.I : Tu as entièrement construit cette voiture ?
M.N : Le plus que j'ai pu ! (il se marre). J'éprouve
beaucoup de satisfaction à prendre quelque chose d'apparemment foutu
et le ramener littéralement à la vie. Cette bagnole était
morte ! Elle était sur une remorque. Un tas de rouille ! Tout comme
ma maison, tu sais, et le Coupé 34 qui attend dans le garage que
j'aie le temps de lui concocter un traitement de choc. Ah... La seule chose
que je n'achète pas à l'état d'épave, c'est
les guitares...
D.I : Gretsch, pin-ups, juke-box, hot rods... C'est toute l'iconographie
rebelle des années 50's qu'on retrouve là, autour de toi.
Comment ça se fait ? Tu viens pourtant du punk rock...
M.N : Beaucoup de gens ne font pas le lien entre cette
époque et le punk rock, mais j'en ai toujours eu la conviction.
Chaque groupe... ethnique... devrait le dire s'ils veulent rester en contact
avec leurs racines. Ecoute... J'ai toujours considéré le
punk comme une musique de classe, l'expression d'une classe populaire si
tu préfères. C'était la même chose dans les
années 20 et 30, à l'heure de la folk music : Woody Guthrie,
Billie Holyday ou même Howling Wolf. Comment ne peut-on pas voir
cette connection, ressentir cette honnêteté dans la réaction
? C'est comme le jazz original, le jazz noir. Il a cristallisé autour
de lui cette attitude contre la société, la haute société.
Il a généré un mouvement, une forme d'expression,
une nouvelle musique. C'est un excellent moyen de ne pas se satisfaire
d'un quelconque statu quo. On peut tracer la musique noire, du jazz au
rap, avant que le rap ne soit devenu une copie de rap qui lui même
devient une copie de la copie...
SOCIAL DISTORTION
(good vibrations !)
D.I : La rebellion est devenue de fait quelque chose de "global"
cinquante ans environ avant que ce mot ne passe dans le langage courant
(mondialisation se dit globalisation en anglais -nda-)... L'Angleterre
avait essayé de résister en interdisant L'équipée
Sauvage pendant dix ans, par exemple...
M.N : Tu parles, c'est même sûrement pire.
Interdire la culture rock pendant dix ans a dû certainement faire
plus de dégât... Les gars ont dû être plus radicaux,
plus sauvages... On leur fournissait une raison sur un plateau, non ? On
a tous le droit de s'y mettre, de copier. D'utiliser le canevas existant
et d'exprimer pourquoi on n'est pas d'accord, librement (pensif). Librement...
D.I : On parlait tout-à-l'heure d'honnêteté...
Ce sentiment se moque des frontières, linguistiques ou géographiques.
M.N : L'honnêteté que l'on peut ressentir
dans la contre-culture US a positivement influencé le reste du monde.
Je le crois.
D.I : On parle presque de révolution, là ?
M.N : Une révolution... Hmm... Le punk rock était
une révolution, c'est presque sûr. Mais de nos jours, appeler
ça une révolution... C'est difficile à dire. Parfois
j'essaie de dire... wow... d'accord je pige. Ça me prend la tête
de me demander si j'aime ces nouveaux groupes qui vendent des millions
de disques, alors qu'à l'époque et... Bon écoute,
c'est plus simple de dire que la seule différence entre autrefois
et maintenant c'est qu'à l'époque la musique était
plus porteuse de SENS parce qu'elle se VOULAIT révolutionnaire.
Maintenant, on ne peut plus parler de musique de GENRE.
D.I : Récupération ?
M.N : Il y en a une tapée que je crois faux. Ceux
que les grosses boîtes essayent de promouvoir comme "alternatif",
pour ne pas dire "underground" comme c'était d'usage dans les 60's
c'est comme... (il s'énerve) Putain c'est même pas un fils
adoptif, même pas un cousin au troisième degré de là
d'où nous venons tous ! C'est pour ça que je presse les gens
de regarder sous la surface, de sortir, de lire les flyers... Regarde,
à l'inverse, Greenday est un putain de bon groupe. Je me suis longtemps
demandé, puis je suis allé les voir et franchement c'est
un bon groupe, tu peux suivre la filiation, les comprendre comme un produit
de la vague punk suivante. Un excellent relais, en fait. Mais j'ai tant
de mal à croire aux... boys bands, tous ces trucs qui sont l'extrême
opposée du punk (moue dégouttée).
D.I : Comment ça a démarré pour le jeune
Mike Ness ?
M.N : L'un de mes modèles était mon oncle
Pete. Il construisait des trikes Harley dans les sixties. Tu sais ces trucs
aux fourches démesurées, avec deux roues à l'arrière...
et il nous emmenait balader à Lakewoods ou Bellflowers. Lui et ses
potes n'étaient pas dans un moto-club ou quoique ce soit qui ait
à voir avec les gangs. Tu sais à l'époque il y avait
tant de brassage politique autour de ça, et ce "fais ce que tu veux
faire" dans l'air... et entre les deux les flics (lire à ce sujet
la réédition du Hells Angels de Hunter S. Thomson chez Laffont
-nda-). Les potes de mon oncle étaient un peu dans le truc hippie,
mais sans les cheveux archi-longs. Seigneur ! (sourires). Quoiqu'il en
soit il fallait se méfier des flics, ça c'était sûr.
Un de leurs potes s'était fait dessouder d'une balle dans le dos
par un condé... C'était pas si différent de maintenant,
l'histoire de "fais ce que tu veux". La société n'était
pas plus permissive. Je me souviens de ça, j'en bavais des ronds
de flan. Ces mecs, cette attitude ! C'était mon intronisation. That's
what I always associated 'cool' with.
D.I : Ça c'est pour l'attitude, d'accord, mais pour
la musique ?
M.N : Mon oncle m'avait offert un disque des Stones quand
j'étais en sixième. Ma première fugue, mon premier
refuge fut donc la chaîne stéréo où je passais
mes disques. Quelques-uns de mes potes étaient là-dedans
aussi car ils avaient des grands frères qui faisaient de même
(que mon oncle) mais le reste des gosses à l'école n'avait
pas idée de ce qui était en train de se passer. A treize
ans j'écoutais Transformer de Lou Reed, ouais ! Tous les autres
écoutaient Good Buddy (?!) et traitaient David Bowie de pédale
en écoutant Elton John ! Même à l'époque leur
ignorance était confondante !
D.I : Et vint Social Distortion... Pourquoi ce nom ? Un reflet
du monde tel que tu le voyais à l'époque ou juste le besoin
d'électrifier un peu ce qui t'entourait ?
M.N : Ah c'était seulement comment je me sentais
quand j'avais dix-sept ans. Il y avait beaucoup de justesse dans ce nom...
Je dénonçais beaucoup, c'est vrai... Mais c'est parfois facile
de blamer la société pour des choses qui te mettent dans
une situation difficile... Quelquefois avec raison, quelquefois non. Mais
n'empêche qu'il y a quelque chose... quelque chose d'immuable. Nous
avons un trou du cul pour président (il murmure)... Social Distortion...
D.I : C'est vrai que votre président a une mauvaise
image à l'étranger.
M.N : Oh ouais je sais, j'ai lu des trucs. C'est extrêmement
gênant. De fait l'Amérique a une sale image. Dites vous bien
que ce mec n'est préocuppé que par son nombril, qu'il ne
pense qu'en termes "d'Etats Unis d'Amérique"... Il ne pense pas
pour le reste du monde, pas comme si l'Amérique faisait partie du
monde. Il n'y a qu'à regarder sa ridicule position lors du meeting
sur le contrôle de la pollution mondiale. Il n'a absolument pas voulu
coopérer... Franchement pourquoi ce trou du cul a-t-il eu besoin
de se pointer là-bas si ce n'était pas pour coopérer
? Pour afficher son mépris ? Salopard (pause)... (Il redevient courtois).
Je suis désolé. Je m'excuse, écris-le aux Français
(murmure)... Il n'a pas eu mon vote, de toutes façons.
D.I :L'Amérique se trouve embarquée dans TOUTES
les guerres post-45 ! C'est un mode de fonctionnement, dirait-on. Qu'en
penses-tu ?
M.N : J'ai pu voir les effets secondaires de la guerre
sur une certaine période. Un de mes amis est mort d'un cancer résultant
probablement d'une exposition à l'Agent Orange. J'allais souvent
le voir à l'hôpital des anciens combattants... Crois-moi là-bas
c'est la fin du monde. Ces gens sont des hommes qui ont risqué leur
vie en se battant pour leur pays... Certains d'entre eux sont rentrés
tellement abîmés qu'ils... qu'ils ne peuvent même plus
avoir de fonction dans la société... Ils sont du fait traité
comme des citoyens de seconde zone. Quelle honte. Je ne suis pas un auteur
politique, mais cela ne veut pas dire que je ne veux pas l'être.
J'avais écrit cette chanson, "1945", dont beaucoup pensaient que
c'était une chanson pro-guerre ! Mais non, c'est une réaction
contre la propagande, quelque chose comme (appuyé) "mais putain
qu'est-ce-qu'on fout là-bas ?". Un manifeste anti-guerre. "Dites-nous
quel est le business planqué là-derrière", ayez au
moins cette franchise là. Quand il y a une guerre, qu'on dise pourquoi,
vraiment pourquoi. Qu'on ne se cache pas derrière ce foutu patriotisme
!
Une voix féminine se fait entendre dans le corridor, interrompant
la conversation. Deux secondes plus tard, Mme Ness entre dans la pièce.
Un courant d'air blond, tout droit sortie d'une courbure de l'espace-temps,
fraîche comme en 1954. "Ooops désolée, je ne savais
pas qu'il y avait quelqu'un".
"Y a pas de mal", bredouillé-je en Technicolor. Elle me
tend la main tandis que son mari fait les présentations. "Oh c'est
toi qui est venu de France... Tu as finalement eu ton interview ! Bienvenue
à la maison " me lance-t-elle, comme un charme. "Je suis désolée
de vous avoir interrompus, mais franchement je ne savais pas que vous étiez
en train de travailler !". Tu parles qu'on travaille ! On discute, on s'enfonce
doucettement dans des glauqueries, tu veux dire. "Shane told me you're
expecting a baby for the end of the month ?" Oui, c'est exact, une autre
petite âme à venir dans ce grand chantier... "Come over there
with your family anytime you can. We have kids too, you know". Ils me scient
en deux, les époux Ness. A la limite, on décrocherait une
Gretsch du mur histoire de se cogner une ou deux reprises avec le Mike,
je dis pas. Mais là... je suis estomaqué. "Bien entendu",
m'entends-je répondre, "je vous prends au mot et soyez sûre
que nous viendrons vous rendre visite en famille". Puis elle disparaît,
nous laissant à nos considérations d'hommes...
FRIENDLY SOUL
D.I : Et le punk-rock dans tout ça ? Tu fais référence
à l'époque où la société n'était
pas prête pour ce type de musique, sur l'album live. L'est-elle plus
maintenant ?
M.N : Ah... Ça va, ça vient. Quand quelque
chose de cool est découvert, ça peut rapidement dégénérer
en "uncool". Mais d'autre part... Hmm... On récupère toujours
des interprétations détournées, des versions diluées
de ce qu'on est en droit d'attendre. Comme le rap ! Mais bon, d'accord
le "Punk Rock" est accepté dans le format mainstream maintenant.
S'il y a un avantage à cela, c'est au moins qu'il y a plus de gens
qui écouteront ce que nous avons à dire. Et... tu sais il
aura fallu vingt ans mais, sous toutes réserves... vraiment sous
toutes réserves..., la société s'est ouverte, ne serait-ce
qu'un peu. Nous avons contribué à faire changer les choses.
Vraiment (pensif et très sérieux).
D.I : Ce n'était pas inscrit à l'ordre du jour,
au départ. Le mot d'ordre était plutôt No Future !
M.N : C'est une responsabilité énorme pour
un groupe d'oser penser avoir l'énergie suffisante pour remuer le
futur ("shake the future" !) Si tu as de l'impact sur le présent,
ça laissera une trace dans le public, ça le... préparera
au futur en quelque sorte. De toutes façons, je crois qu'on ne peut
être que responsable que de soi, de ce que fait le groupe.
D.I : A un moment on a ré-entendu "Brand New Cadillac"
et c'est là que s'est fait la connection avec le background 50's.
Ce n'était plus très punk d'être rock...
M.N : Je crois que pas mal de gens oublient que quand
Joe Strummer a joué cette chanson, et aussi les Ramones, les Dead
Boys, les Pistols et Gen X qui faisaient référence à
ces époques passées, il ne faut pas l'oublier que les mecs
étaient dans leur trentaine à l'époque. Ça
veut dire qu'ils étaient nés à la fin des années
50. Ils ont grandi avec cette musique, avec le rock des 50's ! Quand tu
écoutes le punk du début, ce n'est ni plus ni moins qu'une
interprétation énervée d'une base blues-rock ! Et
c'est ça qui me manque aujourd'hui. La première vague punk
était assez traditionnelle, et en quelque sorte rendait hommage,
mais... whoa... ils ont un peu abatardi les standards, ouais mon pote !
Quand tu écoutes Steve Jones jouer de la guitare, c'est directement
lié à Chuck Berry. Il a grandi avec ça, c'est indéniable
(pause)... Ça me réchauffe le coeur de croiser des mômes
de quinze ans qui portent des T-shirts des Ramones. Je me dis qu'ils sont
sur la voie, ils vont à la source.
D.I : Social Distortion met un certain temps avant de se décider
à parler bagnoles sur les disques...
M.N : Il y avait une Cadillac 55 dans la chanson "I Want
What I Want" sur l'album Prison Bound. Mais de toutes façons à
l'époque je n'avais pas de caisse (sa première fut une Pontiac
'56 noire, visible sur Ball & Chain -nda-). J'avais racheté
la 750 Triumph de Dennis (il soupire)...
D.I : "I Sit and I Pray in my 54 Chevrolet" est extrait de
"Ball & Chain" (une de mes favorites, tous disques confondus !). Punk
rock, car culture et ésotérisme en une phrase, Social D devient-il
mystique où touche-t-on là une vérité profonde
?
M.N : De là d'où je viens, respirer et apprécier
conduire c'est... Je pense, au volant de ma '54 : "Merci mon Dieu, je suis
vivant aujourd'hui, et j'ai construit cette putain de luge" ("this fucking
rageous sled"). Je ne suis pas religieux mais je me considère comme
"spirituel". Tu vois j'ai Jésus sur sa croix ici sur le mur, mais
ça ne veut pas nécessairement dire que je lis la Bible ou
que je vais à l'église. Non. Mais je suis un croyant, et
je sens qu'on doit avoir une connection, un feeling... J'ai coupé
les ponts avec les dogmes. J'ai besoin de ça. Il y a trop d'interprétations
autour de ça, qui est juste, qui ne l'est pas. Catholiques, Bouddhistes,
Musulmans, tous ont leur propre foi, leur propre interprétation
de quelque chose de plus grand, et avoir cette prescience est un plus dans
la vie de tous les jours.
D.I : Nous parlons de filiation depuis le début de cet
entretien... Peux tu citer quelques exemples de formations amies, héritières
de cette tradition ?
M.N : X était un très bon exemple de cette
continuation de la culture country. Exene (Cervenka, la chanteuse) était
l'incarnation de la folk-music des 80's. Tout le monde s'accordait à
dire qu'elle était l'héritière des harmonies du genre
de la Carson Family, dans les 20's. Typique hillbily. Eh ! La folk music
n'a pas à s'incarner dans les heureux Peter, Paul and Mary (insupportables
ménestrels babas) ou une merde de ce genre... La musique folk est
une musique de classe, je le répète, et X était le
meilleur exemple qu'on puisse trouver de cette sincérité,
de cette honnêteté héritée des luttes passées
(pause)... Johnny Thunders, aussi, parlait toujours des musiciens noirs
qui l'avaient inspiré et... de nos jours, je vois bien le Reverend
Horton Heat. Il arrive à combiner l'esprit punk et les racines de
la musique populaire américaine. Et Johnny Cash, pour sa contribution
et sa persistance. Et Brian Setzer, indéniablement.
D.I : Tiens tiens ! Comment s'est-il retrouvé sur ton
disque celui-là ?
M.N : Nous avons des amis communs et à l'évidence
des centres d'intéret communs aussi : vieilles autos, guitares,
fringues et tatouages. Musique... C'était quasi inévitable
que nous nous rencontrions à un moment ou à un autre.
C'était bien... Il s'est pointé aux sessions avec un hook.
Tu sais ce que c'est qu'un hook ? C'est la partie accrocheuse d'une chanson
que tu colles dessus. On se marrait, "eh mon pote, tu t'es ramené
avec un hook, hein, c'est ça ?!" C'était cool ! Et juste
de le regarder commencer à le jouer, et soudain ça sonne...
whoa... dément ! Oh que j'aimerais jouer de la guitare comme ça
! Il est très inspirant, et très généreux,
il est venu comme ça, il voulait en être avant même
d'avoir entendu une chanson. Il a gagné mon estime sur ce coup-là.
C'est un vrai musicien, en ce sens qu'il n'a pas cette sale tendance à
te marcher dessus, comme certains. Il écoute d'abord. Ça
se sent sur la chanson je trouve, il ne se laisse aller à une touche
personelle que sur la fin.
D.I : Et Springsteen ?
M.N : C'est un fan total de Social D ! Il est arrivé
un peu comme Brian, sans même connaître une chanson. Il a entendu
parler du projet et il a voulu en faire partie, c'est tout... Dis, Laurent
tu veux prendre quelques photos ?
HIGHWAY 5, REVISITED.
(California got soul)
Il était temps d'arrêter. Shane a fait un geste discret,
et nous avons soldé l'entrevue par une mini-séance photo,
histoire de faciliter la transition vers l'autoroute à nouveau et
le chemin du retour. L'histoire continue avec la sortie du prochain disque,
de nouvelles dates avec le nouveau line-up, sans Dennis et avec le batteur
qui avait officié lors des concerts solos et sur l'album Under the
Influence, Charlie Quintana, ou bien pour les vacances. Ce dernier chapitre
me fait sourire d'aise ! Tout comme les derniers mots que nous avons échangés,
sur le trottoir, après qu'il m'ait confié bien aimer jouer
à Tijuana. "Tu sais, la Chevrolet, je veux en faire une bête
de concours. Pas un truc qui va en remorque à la concentre, non,
mais un truc qui me ramène une putain de coupe à quinze dollars.
Tu vois ce que je veux dire ?" Un peu que je vois, Marlon !
La radio bave ses conneries sur le Summer Fun, le niveau de pollution
bat de nouveaux records, Enron vient de foutre en l'air la distribution
d'électricité en Californie (s'ensuivra un scandale financier
sans précédent), Bush est en vacances (et l'avenir jugera
finalement qu'il en avait bien besoin, avant de s'atteler à la lourde
tâche de faire régresser une région du monde à
l'âge de pierre à coups de bombes), et NYC est encore intègre.
Et la vie est belle... Tant qu'il y aura des hommes de bien, professant l'intégrité à six cordes, ça ira. Ça débouchera bien sur quelque chose de meilleur, un jour... Comme l'a humblement énoncé Mike, il aura fallu vingt ans pour qu'on sente un léger mieux. Vingt ans de sa vie d'ailleurs... Merci et à un de ces quatre.
Laurent Bagnard
Mike Ness
* Under The Influence. 1999. Time Bomb Rds
* Cheating at Solitaire.1999. Time Bomb Rds
Social Distortion
* Live at the Roxy. 1998. Time Bomb Rds
* White Light, White Heat, White Trash. 1996. Epic Rds
* Somewhere Between Heaven and Hell. 1992. Epic Rds
* Prison Bound. 1988. Time Bomb Rds
* Mainliner. Time Bomb Rds
Liste complète (pirates inclus) + infos sur : www.socialdistortion.com
D.I : Pourquoi es-tu parti habiter en Suède ? Comment
est la vie là-bas ?
Mike : J'y suis allé parce que j’ai rencontré
une Suédoise. J’étais allé voir Flux of Pink Indians
au squat d’Ambulance Station dans la Old Kent Road à Londres en
janvier 84, quand j’ai remarqué cette fille qui se collait à
moi. J’ai fait ce qu’un gars normal aurait fait, je l’ai amenée
dehors et j’ai commencé à la tripoter un peu partout en essayant
de la persuader de venir chez moi. Elle avait un copain qui était
extrêmement chiant et essayait de la faire rentrer avec lui, tout
comme ce black que j’ai été obligé d’effrayer. Puis
j’ai senti qu’il se passait un truc... Je me suis retourné et j’ai
vu un policier avec la femme. Le policier était en sueur et il me
dit “C’est dégoûtant !”. J’ai répondu “Vous êtes
un pervers ou quoi ? Depuis quand c’est illégal de se montrer un
peu d’affection ?”. Sa réponse fut : “Ok, on te fout en taule”.
Ils me jetèrent dans un camion et tout un groupe de ces porcs entra
avec moi prêts à me massacrer. Mais la fille suédoise
agitait son passeport et les porcs jugèrent que ça n’était
pas vraiment bon de montrer à un étranger comment ils frappaient
leurs congénères. Ils nous ont embarqués tous les
deux dans un autre van. Ils ne l’ont retenue que quelques heures et elle
put prendre l’avion qui la ramenait chez elle. Moi je suis resté
dans une cellule toute la nuit (mais j’avais l’habitude). J’ai gagné
le procès qui a eu lieu par la suite et la Suédoise est venue
habiter avec moi en 85... Jusqu’à ce que son père lui dise,
en janvier 86, de rentrer parce qu’il n’appréciait pas le fait qu’elle
vive de mes allocations. Elle a pris son propre appart’ à Solna
et je me suis installé là-bas en août 86 (après
avoir bossé quelque temps pour que tout soit clair).
La vie ici est extrêmement ennuyeuse, à moins d’être
branché. L’état ne te laisse jamais tranquille. Si tu es
pauvre, ils te harcèlent jusqu’à ce que tu deviennes maboule,
ce qui arrive souvent ! “La qualité de vie est largement moindre
qu’en France ou en Hollande”, disait Wes en 92.
D.I : Tu joues en “one-man-band” aujourd’hui. C'est parce que
tu n’arrives pas à trouver quelqu’un qui pourrait jouer avec toi,
comme Hasil Hadkins ?
Mike : On pourrait dire ça. L’idée d’enregistrer
dans ma cuisine m’est venue après avoir lu un article sur Joe Meek
qui disait avoir un studio dans son appart’ - Et combien de trucs fabuleux
il a produit ! - Bien sûr, mes morceaux ne sonnent pas comme les
siens, mais ce n’est pas ce que je recherche. L’idée de base m’a
inspiré. Un truc que je fais différemment de Meek, c’est
que j’enregistre toujours à poil, à moins que j’aie un invité.
J’ai réalisé que si je comptais sur d’autres musiciens pour
m’aider à mettre en place mes propres compos, ça n’arriverait
sans doute jamais. Quelquefois il faut prendre le taureau par les cornes.
Tommy m’a aidé pour Mad Cow Disease. Sa vie de famille a ralenti
considérablement le processus... ça et le fait qu’il voulait
toujours changer les arrangements. Très rapidement après
Mad Cow, j’étais prêt à enregistrer le nouvel album.
Mais Tommy n’a pas repris contact avant six mois, et à cette époque
je travaillais déjà sur le troisième disque. J'ai
perdu patience avec Tommy et j'ai acheté une caisse claire d’occase...
Ça suffirait pour le deuxième album ! Je suis assez content
du résultat et le fait de travailler ainsi me laisse plus de temps
pour ma famille.
(...)
D.I : Comment tu enregistres tes morceaux ?
Mike : Je commence toujours par la guitare. Souvent plusieurs
prises, parce que le timing est important. Tu devines souvent le moment
où tu as joué la bonne prise. Je bosse avec un studio portable
[“porta studio”] quatre pistes. J’utilisais un Tascam quatre pistes mais
il en a perdu deux, maintenant j’ai un Fostex quatre pistes d’occase. Donc
on peut dire que j’en ai six... L’étape suivante est souvent la
basse ou une seconde guitare. Ensuite la troisième piste est réservée
au beat, que ce soit une caisse claire, des percus turques ou des bassines
en plastique (avec des effets). Si le beat ne colle pas, je dois quelquefois
tout recommencer depuis le début. Parfois quand les quatre pistes
ont été utilisées, je les compresse en deux pistes
s’il faut la stéréo, ou en une seule si ça sonne bien
en mono. Généralement je n’ai pas de plan précis.
Je construis petit à petit. Parfois il arrive que que je choppe
tout le concept avant de commencer. Tout est dû au hasard. Ces derniers
temps je fais un premier mix du morceau instrumental et j’y colle les vocaux.
Parfois ça marche, parfois non. En de rares occasions, j’ai des
paroles qui traînent qui vont coller avec un nouveau morceau mais
la plupart du temps, les paroles arrivent en dernier. Donc je ne sais jamais
ce qui va sortir de la boîte.
Parfois j’ai l’impression que des forces invisibles me guident.
Si j’ai descendu un morceau et qu’il me reste une ou deux pistes, j’ajoute
des percussions ou des handclaps. Je suis du genre influencé par
les vieux disques de rock’n’roll, comme Eddie Cochran qui utilisait des
“cardboard boxes” pour le beat avec des handclaps. J’aime ce genre de choses.
Le solo (s’il doit y en avoir un) se retrouve presque toujours sur la piste
des vocaux. C’est généralement mieux de faire le solo d’abord
comme ça tu peux arrêter la piste avant de l’écraser,
mais il faut être foutrement rapide. Il est arrivé que je
détruise des solos supers parce que je n’avais pas été
assez rapide. Je pense que travailler de cette façon te rend très
discipliné. Ne pas avoir beaucoup de pistes t’oblige à être
carré du premier coup. C’est juste une question de volonté.
Si tu es déterminé, tu t’obligeras à être carré.
Parfois ça t’aide à hurler et à effrayer les voisins
quand les choses tournent mal (en fait ça les rend très calmes
souvent !). Le mixage est le moment que je hais le plus. Quand j’ai commencé
c’était généralement très rapide mais maintenant
que j’expérimente de plus en plus avec différents sons et
différents effets, ça prend beaucoup plus de temps que je
le voudrais. Je laisse souvent ma femme choisir le mix final pour m’extraire
à la fin du processus et me rapprocher de ce que le pékin
moyen dans la rue pourrait trouver cool. Je teste aussi sur un petit magnéto
cassette pour entendre comment ça pourrait sonner à la radio.
Je cherche des nouvelles idées tout le temps et souvent ça
tourne en un hommage à un son ou à un disque que j’ai aimé
juste pour prouver que je peux faire pareil et voir le même feeling.
Le feeling est l’ingrédient essentiel. Tu n’as pas besoin d’être
un grand musicien, et je n’en suis certainement pas un, mais si tu n’as
pas le feeling et le rythme naturel, oublie ça. Mes héros
travaillent avec quatre pistes ou deux pistes. Je n’ai pas des bandes de
la même taille que les leurs mais j’essaie d’être aussi proche
d’eux que possible. Je n’ai pas les moyens de le faire d’une autre façon.
D.I : Tu as un sacré paquet d’influences, du delta blues
au punk, du garage cryptique au rockabilly. On pense à Billy Childish,
Dr Ross, les Kinks ou les Cramps... Comment définirais-tu la musique
de The Rat Hole Sheik ?
Mike : Oh, je pense avoir un esprit tout à fait
ouvert. Je suis toujours réceptif à une nouvelle musique
mais je tourne en rond bien souvent pour revenir aux solides fondations
du rock’n’roll. De Charlie Patton à Louis Armstrong, de Howlin’
Wolf à Captain Beefheart ou Tom Waits, ils sont tous similaires
dans le sens où ils ont une racine commune mais ils ont apposé
leurs individualités sur le style. Je suis encore différent.
Je n’ai pas peur d’avoir un point de vue politique et je n’ai pas peur
de transformer la vulgarité en une forme d’art, ou bien de mélanger
les deux. L’humour est important bien que tu prennes un risque concernant
l’évolution de son impact le temps passant. Parfois la musique est
comme le vin, elle doit vieillir pour bien sonner. Ou parfois ça
peut vite sonner ringard ! Ça dépend aussi de ton humeur,
de ton état d’esprit, du moment où tu l’écoutes. A
un moment ça peut paraître génial, et une minute plus
tard foutrement horrible, tout juste comme une idée politique. A
la base je suis toujours juste en train d’asperger un canevas humain de
bruit guitaristique !
Je pense que peut-être mes trucs peuvent bien marcher en
France parce que la France a une histoire culturelle qui a toujours nourri
et accueilli les nouvelles formes d’art. J’aime penser que sur mes cd’s
il y a quelque chose pour chacun. On a commencé à me dire
qu’il y avait des gens qui étaient influencés par ce que
je fais. Ils ont volé le concept basique des variations sur différents
styles rock mais ont nettoyé les paroles et présenté
le paquet avec une image de tocard pour être consommé par
les fans de MTV et être vendu comme un business pour le grand public.
J’aime penser que je suis le “Little Richard” de ces “Pat Boone”. Alors
les amis achetez le vrai truc ! Pas un putain d’emballage à la mode
rendu acceptable pour le marché américain ! De toute façon,
le rock’n’roll est la clé avec laquelle nous tous ouvrons les portes,
et on ne peut parler de tout ça que de façon abstraite. J’espère
aussi que les gens se marrent bien avec ça !
D.I : Parle-nous des labels sur lesquels tu as sorti des dis-ques
: Subway Star, Silly Moo, Hell On Wheels...
Mike : Silly Moo est juste un label que j’ai monté
et baptisé à partir des paroles de Alf Garnett dans la comédie
sixties Till Death Do Us Part, et ça collait bien avec le titre
du cd, Mad Cow Disease.
Subway Star est tenu par Kalle Jansson de Nyköping.
Il a sorti à peu près une dizaine de 45t jusqu’à présent
avec des gens comme Lightning Beatman ou Roy And The Devil’s Motorcycle.
La plupart sont très bons surtout le premier single de The Hollywoods.
Il va sortir bientôt un split avec The Pricks et son propre gang
punk trash The Local Oafs. Le EP Dirty Rotten Sadist du R. H. S. a été
sa première sortie. Je pense qu’il lui en reste encore quelques
copies alors commandez-le maintenant, tant qu'il y en a en stock.
Hell On Wheels est drivé par Sloggy au Luxembourg.
Il a beaucoup de projets pour cette année, un 25cm de sa nouvelle
cuvée garage avec Viv aux vocaux, et c’est lui qui a sorti la compilation
EP Motormadness avec des garage punks de toute l’Europe, y compris
le “Rock’n’Rolls Royce” du R.H.S. Ça se vend comme des petits pains
en Italie ! Alors vous feriez mieux de commander... Il reste aussi des
exemplaires du cd Mad Cow Disease que vous pouvez me commander directement
au prix incroyablement bas de 100 Couronnes suédoises ou 10 Livres
(en cash bien dissimulé s’il vous plaît) port compris. Magnez-vous
!
D.I : Est-ce que tu te produis sur scène en tant
que The Rat Hole Sheikh ?
Mike : Non, au début quand il y avait Martin (Savage)
à la basse et Tommy (Siikasaari) à la batterie, l’idée
était d’amener cette musique sur une scène mais ces gars
m’ont laissé tomber. Donc maintenant je suis seul et c’est devenu
un combat de prouver mon existence au monde. Je suis un guitariste avant
tout et j’utilise le R.H.S. pour me faire de la pub en tant que guitariste
disponible. Ça a été très frustrant d’être
snobé par la scène musicale suédoise. Ils pensent
que s’ils m’ignorent suffisamment radicalement je finirai par m’en aller,
et s’ils me parlent c’est pour dire “Hey Mike, quand est-ce que tu retournes
en Angletterre ?”. La radio ici ignore mes trucs. Dans le passé,
le principal DJ Hakan Persson a joué des trucs non représentatifs
comme “Syphilis Song” qui est très court. Il ne jouerait jamais
quelque chose qui pourrait distraire les auditeurs de la scène garage
“uniquement suédoise”. La façon dont je suis traité
est franchement typique pour les étrangers en Suède. Je suis
venu ici avec beaucoup à offrir et j’ai été surtout
ignoré. C’est leur problème pas le mien. Malheureusement
j’ai réalisé relativement tard que je devrais me projeter
en dehors des confins de la Suède afin de prouver mon existence.
Les faits m’ont donné raison et cela a abouti à une collaboration
avec Sloggy au Luxembourg avec un single sur lequel je montre que je peux
contribuer à la guitare à la musique d’autres personnes.
Ça m’a botté le cul. Ce serait bien de jouer live à
nouveau. J’ai des chroniques de concerts des Cannibals dont la plupart
des groupes ne peuvent que rêver. Elles sont la preuve que je pouvais
le faire sur scène. J’ai vu que Mike Spenser faisait une tournée
unplugged avec l’allumé Clive à la basse. Ils ont peut-être
besoin d’une guitare. J’en suis au point où je pourrais considérer
que ce serait cool de jouer de la guitare à nouveau avec Mike, et
Clive a toujours été mon Cannibal préféré.
C’est génial qu’il soit revenu avec Mike. Vu la façon dont
il consommait les tablettes et les champignons, je suis agréablement
surpris de voir qu’il a survécu. On n’a jamais joué ensemble,
mais qui sait, ça pourrait arriver un jour. Certains des morceaux
de Mad Cow comme la première prise de “Shadale” ont été
enregistrés live (batterie et guitare) dans une salle de répét
avec de la basse et une seconde guitare ajoutées plus tard. J’étais
très content de cette prise ! L’envie de jouer live m’amène
parfois à demander à des étrangers que je vois dans
le train avec des instruments s’ils veulent jouer de la musique avec moi
mais jusqu’à présent il n’y a pas eu de volontaires ! C’est
ridicule ! En Angleterre j’aurais juste à rentrer dans le pub le
plus proche et j’en ressortirais avec un groupe.
D.I : Qu’est-ce que tu penses alors de la scène rock
suédoise ?
Mike : Je ne connais aucun groupe de rock’n’ roll authentique
en Suède, à part Phil Trigwell’s Band et ce sont tous des
Britanni-ques exilés, mais si tu inclues le garage et le punk, et
bien je pense qu’ils sont tous surestimés. Si tu t’embarques sur
les clones des Hellacopters et des Backyard Babies, tu te retrou-ves avec
une toute petite clique de poseurs qui sont juste des businessmen à
l’esprit étroit. Quand j’étais dans les Cannibals, il y avait
ce groupe appelé The Stomach Mouths qui ont essayé de surfer
sur la dernière vague de la mode garage 80’s. Et aussitôt
que j’ai commencé The Rat Hole Sheikh j’ai entendu parler des Maggots
qui sont la même bande de musiciens pro essayant de surfer sur la
vague à nouveau ! Et pour les Hives j’ai vu un film de leur prestation
au Hultsfred’s Festival l’année dernière. Le chanteur s’est
pointé comme un Mick Jagger gay aux poignets désarticulés,
alors que son groupe ressemblait plutôt à un tas de gros videurs.
Le chanteur gaspillait beaucoup trop de temps à parler entre les
morceaux et leurs guitares sonnaient comme si elles sortaient d’un vieux
transistor. J’aime l’attitude Ramones du 1-2-3-4 direct avant le morceau
suivant, tout le monde se fout de ce que tu penses sur scène de
toute façon ! Ils ont montré les Nomads aussi au Hultsfred.
J’ai lu un jour que Nix Nomad détestait les “guitar wank bands”.
Alors pourquoi il est dans l’un d’entre eux ? Et son style personnel d’imitateur
de Lux Interior devient ennuyeux. Vous pourriez aussi bien acheter les
Cramps à la place, leur style a plus d’originalité. Les Nomads
n’ont été un groupe garage que durant les deux premières
années de leur carrière. Depuis ils ont été
un groupe de hard rock et il n’y a pas beaucoup de différences entre
eux et les Hellacopters qui sont devenus un truc mainstream MTV chiant.
Je dois dire que Ed le premier batteur des Nomads pouvait swinguer alors
que le batteur actuel ne peut pas. Ils ont perdu la direction sans Ed,
Tony et Frank. Les autres gars à la basse et à la batterie
viennent de groupes heavy metal et ça se voit. Et Hasse a une allure
de nain de jardin à la guitare ! Ensuite vous avez les “Backyard
Abortions”. Ce Dregen croit qu’il est le nouveau Johnnny Thunders mais
Johnny Thunders a toujours eu un look cool alors que Dregen ressemble plus
à un Marilyn Manson du pauvre. Le maquillage a toujours été
plus agréable à voir sur une fille. Pour moi le seul maquillage
de bon goût était celui qu’Elvis avait sous les yeux et les
mecs au look le plus cool ont toujours été Gene Vincent et
peut-être Vince Taylor. Tu peux laisser tomber tout ce truc à
la Kiss. Un jour j’ai eu besoin d’un bassiste à Londres. On a trouvé
un mec qui était bon mais il nous a demandé si ça
ne nous dérangerait pas de porter des maquillages sur scène,
et ensuite on a trouvé des albums de Kiss dans sa chambre. Ça
a été la fin pour ce mec “uncool”. Le mauvais goût
est un facteur assez commun en Suède et les styles ont toujours
été volés aux Etats-Unis ou au Royaume-Uni. Les niveaux
techniques des musiciens suédois sont souvent d’un standard très
élevé, mais ils manquent de feeling, ce qui est beaucoup
plus important et ils sont trop souvent obsédés par ce qui
est à la mode. Il faut toujours jouer avec son coeur et être
soi-même. Je voyais souvent ce gars Dregen et le bassiste des Hellacopters
toujours en train de traîner dans le métro à Stockholm.
Ils étaient tellement tellement désespérés
à l’idée que personne ne les remarque. On ne les voit plus
maintenant. Non, je me fous des groupes à image. La pire image que
j’aie vue en Suède est cet énorme éléphant
qui vient de Soundtrack Of Our Lives. Il ressemble à un croisement
entre Mama Cass et Demis Roussos sur scène. Je pense qu’il arrive
un temps où beaucoup de musiciens blancs développent ce qu’on
appelle en Suède des “Radio Faces”. En d’autre termes, ils sont
à cet âge où leur apparence et leur visage ne passent
plus bien à la télé. Ça n’arrive pas aussi
souvent avec les noirs, ils vieillissent mieux et même ils ont un
meilleur look quand ils ont quatre-vingt ans et qu’ils balancent encore
le blues, et le plus souvent c’est pour leur musique que j’ai le plus de
respect et c’est généralement leur musique qui me donne envie
de faire la “Chicken Dance” tout autour de la pièce quand je suis
bourré. Je suis d’accord avec GG Allin quand il a dit “Est-ce que
ces groupes “à coupe de cheveux” ne vous donnent pas juste envie
de gerber ?”
(...)
D.I : Qu’est-ce que tu fais d’autre à part jouer de
la musique ? Est-ce que tu as un job ?
Mike : Je suis un père actif avec deux jeunes bonhommes
de quatre et cinq ans. L’aîné est déjà aussi
bon en art que je le suis en musique. Je vis, je bouffe et je chie de la
musique vingt-quatre heures sur vingt-quatre. Pour moi c’est un style de
vie. J’aime autant écouter que jouer de la musique. Je suis un junky
du vinyle. Tout le fric que je mets de côté va dans les disques.
Je me promène en guenilles parce que si j’ai le choix entre des
disques ou une nouvelle paire de jeans, les disques l’emportent toujours.
Avant j’achetais n’importe quel vieux truc mais ces derniers temps je commence
à me spécialiser dans les trucs sixties britanniques. Stockholm
est une mine d’or pour ce genre de choses si tu sais où chercher.
Je ne pense pas qu’il y ait beaucoup de petites boutiques de disques ou
de brocantes que je n’aie pas encore découvertes. J’ai pensé
à écrire un guide à un moment (j’ai même commencé)
mais j’ai laissé tomber en réalisant qu’il n’y avait rien
que j’aimais moins que de voir un fumier me piquer sous le nez une rareté
sixties.
Je suis tellement accro que j’ai arrêté de fumer,
je ne bois plus tellement, et je vais rarement aux concerts de façon
a avoir plus d’argent pour les disques. Je veux arrêter mais ma femme
me dit que je suis autorisé à avoir au moins un vice. J’espère
que mes gamins apprécieront ma collection quand je serai mort. Parfois
je me considère un peu comme un pirate des temps modernes qui prend
sa revanche sur ce que les Vikings nous ont fait il y a mille ans. Je rachète
tous leurs trésors vinyliques. On ne trouverait jamais la même
quantité et la même qualité à Portobello Road,
même des yankees se pointent juste pour le vinyle ! Tu peux oublier
tout ce truc sur les femmes folles de sexe parce que c’est juste un mythe
! Mais le vinyle c’est pour de bon mec !
J’ai écrit pour un fanzine pendant deux numéros. La plupart des gens aimaient mon style mais certains non et le nombre d’ennemis qui pouvaient affecter l’influence de ma musique a commencé à croître. Donc je me suis retrouvé face à un choix, ne voulant pas compromettre mon style d’écriture tout en réalisant que la musique était spirituellement et intellectuellement plus importante pour moi. J’ai beaucoup de temps pour l’art aussi mais surtout dans le respect et l’appréciation des autres. Les artistes sont les seu-les personnes que je consi-dère au même niveau que les musiciens. Je considère ce que je fais comme un art. La guitare est la structure et les autres instruments et les vocaux les couleurs qui la remplissent.
Pour ce qui est du travail, j’ai toujours détesté
les boulots classiques. Tous les jobs que j’ai eus se sont révélés
problématiques. Je ne peux et je n’accepterai jamais l’autorité
sous aucune forme. Donc je me faisais toujours vider ou ça se terminait
en bagarre avec les patrons. Peut-être que je suis un leader naturel
à part entière.
Le dernier vrai job que j’ai eu en Suède était
de collecter du sang et du plasma pour un hôpital. Je dois admettre
que j’ai apprécié l’idée d’avoir contribué
à sauver des vies. Ils ne me payaient que l’équivalent du
salaire de ceux qui apportent la bouffe aux patients ce qui n’était
pas ce que je faisais. J’aurais dû avoir le même salaire qu’une
infirmière mais à cause de la collusion entre le boss et
le syndicat, j’ai eu beaucoup moins. Ça a été un choc
de découvrir à quel point les syndicats étaient corrompus
en Suède. Cela aurait dû être le paradis d’être
le seul type straight au milieu d’un tas de femmes, mais c’était
comme mettre “un chat dans le poulailler”, les femmes ont été
totalement vaches avec moi. Elles étaient toutes comme l’infirmière
Ratched de Vol Au Dessus D’un Nid De Coucous. Je ne recommanderais pas
à un mec de bosser dans une corporation dominée par les femmes.
Le syndicat corrompu et le management m’ont finalement foutu dehors sous
de faux prétextes. Ils m’ont mis sur la liste de ceux qui bossaient
là depuis trois mois seulement alors que j’étais là
depuis six ans. La règle c’est “les derniers arrivés sont
les premiers dehors” quand il y a des licenciements. Je n’ai eu aucune
aide de la part du syndicat, ils étaient du côté du
boss. Toujours selon les règles tout le monde a droit à une
aide légale du syndicat. J’ai pris un avocat et j’ai gagné
au tribunal. J’ai eu trois ans de salaire et des indemnités, et
l’obligation de rester silencieux sur l’affaire pendant trois ans (je suis
toujours sous contrat). Ensuite ça a été le chômage
et les travaux forcés de nettoyage de l’environnement. Puis un centre
pour les Somaliens et les Erythréens. Je n’avais aucun problème
avec eux mais la patronne était une maniaque de l’église
et nous faisait constamment des sermons. Je lui ai dit que je ne versais
pas dans les conneries religieuses. Puis un jour elle a pissé sur
le sol des toilettes et m’a demandé de nettoyer. Je lui ai balancé
les clés et je me suis barré. Ensuite j’ai été
obligé de travailler pour la croix rouge qui était dirigée
par une richarde teigneuse de cinquante ans appelée Ingrid. Ingrid
était passionnée par le fait d’envoyer du ravitaillement
en Afrique pour empêcher les Africains de venir ici. Elle aimait
me dire combien elle adorait l’Allemagne, “mais vous les Britanniques,
avec tous ces Noirs !”. Elle avait l’habitude de fixer intensément
mon nez. J’ai un nez typiquement juif. La famille descend des juifs de
East End de très très loin du côté de ma mère.
C’est de là que vient mon nez. La haine exsudée par Ingrid
à propos de mon nez m’a interpellé et j’ai réalisé
ce que ça devait être d’habiter en Suède ou en Allemagne
dans les années trente. Je suis parti et je suis allé voir
un psychiatre pour découvrir si c’était moi ou le reste du
monde qui était fou. Après deux années de tests on
m’a donné le même statut qu’à Hermann Goering avant
moi. J’ai été déclaré fou à lier et
incapable de travailler. La situation n’est pas permanente et ils peuvent
me renvoyer dans les rues. Hermann Goering, ils auraient dû l’enfermer
mais moi on m’a laissé la liberté de poursuivre mes intérêts
musicaux à plein temps avec juste assez d’argent pour survivre.
C’est OK pour moi, je n’en veux pas trop, juste de quoi me payer la prochaine
rareté sixties que je trouverai !
Je vis à Tensta qui est dans la banlieue de Spanga qui
fait partie de la région de Stockholm. Je ne vis pas dans la vieille
ville de Spanga qui est pleine de vieux comme Ingrid et de Finlandais qui
ont des problèmes avec l’alcool. Tensta, où j’habite, et
une section qui lui ressemble comme une soeur, Rinkaby, sont les deux zones
qui comptent le plus d’immigrés en Suède. Il y a des gens
de Turquie (des Kurdes), Iraq, Iran, Somalie, Erythrée, Chili et
des Finlandais bourrés. Il n’y a quasiment pas de Suédois,
tu ne vois que ceux qui viennent d’autres coins de Stockholm jusqu’à
l’université locale. Le système essaie de les encourager
à venir étudier à Tensta pour tenter de donner vie
à leur soi-disante politique multiculturelle. Il n’y en a pas tant
qui le font, et les politiciens qui l’ouvrent le plus au sujet de la société
multiculturelle ne voudraient jamais habiter à Tensta ou à
Rinkaby. La vérité est que ces zones ont le taux de criminalité
le plus élevé de Suède. Des innocents se sont faits
descendre par des gangsters à un arrêt de bus et à
la station de métro locale. Les seules choses que semblent faire
les gens dans le coin c’est s’entraîner à boxer au gymnase
local, élever des rottweilers et arroser la place de graffittis.
Ok, la boxe c’est typique dans les zones pauvres d’immigration. Tous les
états encouragent ça. J’essaie de m’occuper de mes oignons.
Je ne veux pas avoir de problème avec quiconque mais bien sûr
les problèmes viennent à moi. J’ai perdu le compte du nombre
de fois où on a essayé de m’écraser sur les passages
cloutés. La police dit que les gens du coin veulent éliminer
toute trace d’Européens, c’est peut-être vrai. L’atmosphère
est hostile et c’est vraiment très dangereux de se trimballer tard
surtout si tu as une femme suédoise. Le nombre de viols collectifs
est élevé dans le coin.
Tout ça est bien dommage parce que lorsqu’on a construit
Tensta en 1969, ça a été prévu pour encourager
les jeunes Suédois à venir s’y installer pour fonder leurs
familles. Le quartier avait été dessiné de telle façon
qu’avec un landau tu n’avais pas à te mêler au traffic sur
le chemin des magasins, de l’arrêt de bus ou de la station de métro.
Aujourd’hui ça ne vaut plus grand-chose quand des gangsters essaient
de te renverser sur les passages piétons. Tensta avait aussi été
bâtie près de la nature. Ça ne vaut plus rien quand
les zones naturelles sont quotidiennement abîmées et détruites
par les gars du coin qui y déversent leurs ordures. Plus personne
ne veut aller faire un tour dans les bois quand ils sont remplis d’ordures
en putréfaction, de carcasses de voitures brûlées,
sans compter le risque de se faire attaquer par un rottweiler, ou par leurs
gangsters de propriétaires ou de se faire violer.
Les Suédois ont admis l’échec de leur politique
d’intégration sauf pour une population. Ils clament que l’intégration
des immigrants finlandais est un grand succès. C’est vraiment étrange
parce que tous les Finlandais que je vois ou que je rencontre ont soit
un problème avec l’alcool soit avec les drogues dures (soit les
deux), et ils passent leur temps à (presque) s’entretuer à
coups de couteaux, ou à se bourrer la gueule en intimidant les gens
dans les trains ou les bus. OK, maintenant je sais ce que j’ai à
faire pour être un "succès" et quelqu’un de bien intégré
en Suède. Un exemple de la bassesse dont peuvent faire preuve les
gens à Tensta c’est cette fois où on a acheté un double
landau d’occasion pour mes garçons (on ne pouvait pas s’en payer
un neuf). Je l’ai enfermé dans le local à landau de l’immeuble
et le lendemain, il avait été forcé et le landau avait
disparu. Les gens du coin utilisent le chassis pour transporter leurs courses
et les ordinateurs volés (quand ils vont faire un tour à
l’école locale). On a eu notre cave forcée un paquet de fois
aussi. Mais bon assez parlé de Tensta. La musique m’aide à
oublier la réalité quotidienne pendant un temps.
Sylvain Coulon
(trad : Lo' Spider & Sylvain Coulon)