Voilà ce qu'on appelle un cas intéressant... Notre "client du jour" a monté son premier groupe en 1971 et son tout dernier album a vu le jour il y a seulement quelques mois. Entre les deux il y eut des kilos de vinyle (certains aujourd'hui forts cotés sur le marché du collector) et de CD's, des tournées/aventures ou rock'n'roll rimait forcément avec drugs, et surtout un groupe "culte", les Vietnam Veterans, qui récolta plus de lauriers à l'étranger que dans nos ingrates contrées (ils furent le premier groupe signé par le label allemand Music Maniac !). Notre homme a aussi monté son propre studio d'enregistrement, le Kaïser Studio, qui a vu passer bon nombre de combos frenchies énervés, des Beach Bitches aux Cowboys From Outerspace ou autres Holy Curse et Hawaii Samourai (quelques étrangers aussi, tel Simon Chainsaw). Et pour faire bonne mesure, Mr Trouble gère un label, Nova Express, qui en est aujourd'hui à environ quatre-vingt productions.
En 86, le magazine anglais Bucketfull Of Brains écrivait à propos du double album Green Peas des Vietnam Veterans : "le groupe a sans doute vendu son âme au Diable". Force est de constater que si l'affaire s'est faite en viager, Lucifer a été grugé, il attend toujours. Lucas ne semble pas décidé à raccrocher les gants. Pire, avec son vieux copain Mark Enbatta, il s'apprête (après la brève tentative The Late Veterans) à mettre en route un projet qui aura sans doute plus d'un point commun avec les Viet Vets ! Mères de l'hexagone, enfermez vos enfants... Entretien avec un Vétéran du Rock frenchy :
D.It ! : Tu te souviens du disque qui a tout déclenché
pour toi ?
Lucas Trouble : Il y en a eu plusieurs... Des 45 tours
qu'on écoutait avec mes cousins qui étaient un peu plus vieux
que moi, vers 67-68 : "Hush" de Billy Joe Royal, "Jumpin' Jack Flash" des
Stones, "The Days Of Pearly Spencer" de David Mac Williams, "On The Road
Again" de Canned Heat et bien sur "Venus" des Shocking Blue... surtout
pour la paire de nichons de la chanteuse !
D. It ! : Et du premier disque que tu as acheté ?
LT : Le Heavy Friends de Screamin' Lord Sutch en
1970, avec Jimmy Page, Noel Redding, etc... J'ai d'ailleurs, bien
plus tard, intitulé mon second album solo Heavy Friends en hommage
au Lord...
D.It ! : Du premier concert auquel tu as assisté ?
LT : Celui de Pink Floyd à Lyon en 1970, juste
après le départ de Syd Barret, hélas ! Mais c'était
quand même impressionnant.
D. It ! : Ton premier groupe ?
LT : Damned Soul en 1971, un power trio où j'étais
bassiste, c'était mon premier instrument, et on faisait des reprises
de Black Sabbath, des Who et de May Blitz. J'ai joué ensuite dans
divers combos locaux, Black Stones, Vulcains, qui sombrèrent dans
le baluche... C'est à cette époque, 74-75, que je suis devenu
disc-jockey dans une boîte à Beaune où je balançais
les Doors, les Stooges, le MC5, T. Rex et les Dolls. Puis vint le Punk...
D.It ! : D'où te vient ton pseudo ?
LT : Ce n'est pas un pseudo, c'est mon vrai nom... Ciel,
mon nez s'allonge ! En fait, ça n'a pas de sens précis sauf
que le nom Trouble signifie "trouble" au sens français du terme
plutôt que le "trouble" anglo-saxon ("problème"). C'est trouble
et même assez troublant finalement. J'en suis tout troublé...
J'ai commencé à écrire des trucs en 76-77, complètement
décomplexé par la déferlante punk qui prouvait qu'on
pouvait faire des morceaux sans avoir des guitares à quatre manches
et des batteries à quinze fûts ! Je composais avec une pauvre
boîte à rythme d'orgue et je chantais comme une vieille chèvre.
Ça n'a d'ailleurs pas beaucoupchangé... Et j'ai formé
Tango Lüger en 78 avec les premiers punks-rockers beaunois, les ex-Mechanics
Models... Ça me permettait de chanter et jouer de l'orgue avec un
vrai groupe, et on partageait les mêmes goûts musicaux douteux...
D.It ! : Tu viens de refaire, 25 ans après sa sortie,
une version de "El Verolo" (sortie à l'époque sous le nom
de Lucas Trouble)...
LT : Ouais, en 78, j'avais enregistré une petite
maquette avec quelques titres et j'étais monté à Paris
dans ma vieille Simca 1100 pourrie et toute rouillée pour voir les
labels et les canards de l'époque comme Best et Rock & Folk.
Chez Flamingo Records, j'ai laissé une K7 à un type qui tenait
la boutique de disques du label, Music Box je crois, il m'a dit : "Je vais
la donner au responsable du label et il te contactera si ça lui
plaît". J'avais bien aperçu un gros moustachu qui fumait le
cigare dans un bureau derrière, mais j'ignorais que c'était
lui le boss, sinon j'aurais été le voir directement. En fait,
c'était Patrick Mathé, et il allait bientôt monter
New Rose...Evidemment ce crétin de vendeur ne lui a jamais donné
la démo, et des années plus tard, Patrick Mathé m'a
confié : "Tu sais, il y a un disque de toi que j'aurais vraiment
aimé sortir à l'époque, c'est "El Verolo"...
Sûr que le disque aurait eu beaucoup plus d'impact s'il
était sorti chez New Rose, mais on l'a fait chez Bain Total, un
label cold-indus qui produisait des trucs déjantés, et je
ne le regrette pas. Il a bénéficié d'une aura underground
et un peu mythique qui me convient. Et tout dernièrement, ça
m'a toqué de le refaire, avec un gros son et des punks de maintenant,
en gardant toutefois mon vieux Gégé, compère guitariste
de Damned Soul et qui jouait déjà sur le "El Verolo" original.
En général je ne supporte pas trop les voix en français,
mais bon, je cultive assez bien la contradiction.
D.It ! : Tango Lüger a existé combien de temps
?
LT : De 78 à 82. On s'est séparé
en s'insultant juste après un concert destroy aux Transmusicales
de Rennes où j'étais tellement poudré que je ne voyais
plus mes touches d'orgue... Le concert avait été totalement
décadent et le public avait bien kiffé, tout comme le directeur
de Musidisc qui nous attendait dans les loges avec des contrats. Il a été
un peu déconcerté lorsqu'on l'a envoyé chier ! On
s'était pris la tronche avec notre nouveau batteur, le furieux D.D.
Kafeïne, psychopathe notoire avec qui j'ai commis depuis moultes forfaitures
soniques...
D.It ! : Beaucoup de concerts ?
LT : On en a fait pas mal pour l'époque, dont les
fameuses Transmusicales, et on tournait assez souvent en Suisse. On avait
la cote avec les skins... On prenait du speed et on allait foutre le bordel
dans leurs squats après les concerts...
D.It ! : Et comment tu vois ça, le groupe, la scène
punk rock de l'époque, avec le recul ?
LT : Je pense qu'on était un bon groupe. On était
meilleurs que tous ces groupes parisiens à deux balles qui représentaient
soit-disant le punk français. A part Métal Urbain et peut-être
Asphalt Jungle qui sonnaient plutôt vrai, c'était tous des
poseurs et des gros coiffeurs.
D.It ! : Tu as lu Nos Années Punks de Christian Eudeline
?
LT : Je n'ai pas lu le bouquin d'Eudeline et, comme je
l'ai vécue, je n'ai aucune nostalgie pour l'époque punk...
Je préfère les années 50 ou 60. Je pense qu'on a toujours
plus de nostalgie pour les souvenirs vagues et les époques sur lesquelles
on fantasme.
D.It ! : Tu étais en Bourgogne, il y avait une scène
punk là-bas ?
LT : J'habitais à Beaune où je suis né.
En Bourgogne, en 78, il y avait trois groupes : Les Vinyl Junkies à
Dijon, qui étaient branchés Clash et Damned, les Snipers,
toujours à Dijon, (avec Antoine "Tony Truant", futur Dogs et Angelo
Jupp, futur Vietnam Veterans) qui pratiquaient un rock'n'roll 50's mâtiné
de garage 70's, et donc à Beaune y'avait Tango Lüger, on était
plutôt Stranglers/Wire/ Saints... On était tous très
potes et on organisait nous-mêmes des concerts avec les trois groupes.
D.It ! : Tu écoutais quoi à ce moment-là
?
LT : A la fin des 70's, j'écoutais tout ce qui
était bizarre, nouveau et dérangeant. Ça allait de
la no-wave new yorkaise, Teenage Jesus, DNA, Mars, James White, Contorsions,
etc..., aux trucs indus' genre Throbbing Gristle, Cabaret Voltaire, Residents,
ou plus punk et strange comme Richard Hell, Johnny Moped, Public Image,
Pere Ubu... Je commençais à m'intéresser au garage
60's en redécouvrant les Seeds, Electric Prunes, 13th Floor Elevators
et les compils garage psyché qui contenaient des trésors
obscurs fabuleux.
D.It ! : Tu as joué aussi avec Magnétique Bleu,
c'était quoi exactement ?
LT : C'était le groupe de DZ Lectric, alias Christian
Dezert. J'ai participé à plusieurs enregistrements avec ce
garçon. Je joue même du violon (!) sur sa reprise de "Venus
In Furs" qui figure sur la compile Garage 66-70 sortie chez New Rose en
84. Un peu plus tard, nous avons formé Les Maudits avec Christian,
D.D. Kafeïne, et Michel, le clavier de Norma Loy. Ça sonnait
plutôt pas mal, comme l'Iguane chantant avec le Velvet... en mieux
évidemment, ha ha !
D.It ! : Les disques de Tango Lüger ou DZ Lectric doivent
être de sacrés collectors aujourd'hui ?
LT : Très certainement, mais c'est le genre de
truc qui me laisse complétement indifférent...
D.It ! : Zaraï de coke sans doute ?... Comment a démarré
le groupe ?
LT : J'ai rencontré Mark Enbatta, le leader et
créateur du groupe, en 1982. Il m'avait contacté afin que
nous jouions avec Tango Lüger pour l'inauguration de son magasin de
disques, Sneackers à Chalon sur Saône, un des rares magasins
indés qui existent toujours. A l'affiche ce soir là, il y
avait également les Bopcats, groupe de rockabilly dans lequel sévissait
mon futur compère Charly Markarian (Dazzlers, Snappin' Boys) qui
joue toujours avec moi dans The Mediums.
Après le concert, Mark m'a proposé de rejoindre
les Vietnam Veterans, le groupe qu'il était en train de monter avec
à la basse Angelo Jupp, mon pote "rocker à banane" qui jouait
en 78 avec les Snipers, Geg à la rythmique, et plusieurs batteurs
temporaires qui se relayèrent jusqu'à ce que nous trouvions
le martyr définitif, Martin Joyce le bien nommé, en 1984.
D.It ! : Comment s'est fait le deal avec FGL/Lolita Rds pour
le premier album ?
LT : Nous avions réalisé une cassette que
Mark avait envoyé chez FGL. Ils sortaient alors des compils garage
60' et ils nous ont signés tout de suite. Ils avaient sans doute
flairé le revival Garage/Psyché qui s'annonçait...
On a fait deux albums chez eux.
D.It ! : Vous vous retrouvez ensuite sur un label allemand...
LT : Ouais, chez Hans Kesteloo qui était à
l'époque un des plus importants collectionneurs de vinyles garage,
il fournissait les originaux pour les compils qui fleurissaient à
l'époque. Il nous a vus en concert à Paris et nous à
proposé d'être la première signature du label qu'il
montait, Music Maniac Rds. Il allait par la suite signer les Fuzztones,
Dead Moon, etc... Nous avons enregistré quatre albums pour Music
Maniac, dont un double live. On en a vendu entre 5000 et 10.000 de chaque...
A l'époque, lorsque tu vendais moins de 5000 disques, c'était
la honte, maintenant, quand tu en vends 500, c'est super... Sur l'ensemble
des albums, seul le dernier, The Days of Pearly Spencer, est sorti en CD.
D.It ! : Ça marchait comment en France ?
LT : Au début, la presse française croyait
qu'on était Américains. Donc, on avait la côte. Quand
ils ont appris que nous n'étions que Français, ils nous ont
ignorés... Alors qu'en Allemagne ou ailleurs, le public et les médias
se foutaient royalement de notre nationalité... C'est sans doute
pour ça qu'on tournait surtout à l'étranger, notamment
en Allemagne où nous étions des "stars"... On a fait la dernière
tournée en avion s'il vous plaît ! On a tourné aussi
en Europe du Nord.
D.It ! : Vous passiez pour une sacrée bandes d'allumés
lysergiques... Les looks, la musique...
LT : Les produits lysergiques n'avaient de secrets ni
pour Mark, qui jouait au rugby sous acide, ni pour moi qui ai pris mes
premiers trips à l'armée... Les autres étaient plus
straight ... En fait, ils étaient abrutis naturellement, ha ha !
D.It : Dis-nous en plus sur Mark.
LT : Il est originaire du pays basque. Il avait une collection
de disques terribles et il m'a fait découvrir des trucs incroyables.
Nous partagions la même culture 60' et les mêmes goûts
douteux pour des tas de trucs... comme l'adoption de petites Vietnamiennes
de 17 ans par exemple... ou mettre des laxatifs dans la boîte à
sucrettes de notre batteur. C'est le plus mauvais guitariste du monde mais
en même temps un des meilleurs song-writers. Il ne connaît
qu'un accord et c'est bien suffisant ! Tu veux un scoop ? On refait un
groupe ensemble en ce moment... Quant aux autres membres des Vietnam Veterans,
ils sont tous morts du sida... Ha ha !!!
D.It ! : Tes impressions sur le groupe vu d'aujourd'hui ? Des
regrets ?
LT : Dès qu'on parle du groupe avec Mark, on se
marre comme des bossus ! Tout ce qui reste comme souvenirs, ce sont des
grosses parties de déconnades juvéniles, alors qu'on n'était
déjà plus tout jeunes, et des délires plus alcoolisés
que lysergiques. Mes seuls regrets viennent du fait que la carrière
du groupe a toujours été freinée par certains membres
qui ne voulaient pas lâcher leur boulot, alors que le batteur et
moi ne vivions que de la musique et pour le rock'n'roll... Et notamment
pour le groupe qui avait la possibilité de tourner aux USA et un
peu partout dans le monde.
D.It ! : Meilleurs souvenirs sur scène avec les Vets
?
LT : Les meilleurs souvenirs sont souvent les pires et
inversement... Il y avait toujours les deux en même temps... A chaque
concert, quelquefois même au début, j'explosais mon clavier
et les touches volaient partout.... Doumé, notre bon roadie, les
récupérait après chaque set. Je les recollais à
la super-glue quand c'était possible... Fallait voir la gueule du
clavier ! Au cours d'une tournée avec les Fuzztones, leur organiste
m'a gentiment prêté son pied de clavier, le mien était
mort depuis longtemps. Je l'ai explosé au bout de trois minutes
en sautant dessus à pieds joints... Tout s'est pété
la gueule, alors j'ai joué couché par terre, et pour ne pas
me laisser seul, Mark s'est couché aussi, puis il s'est mis à
quatre pattes avec sa gratte autour du cou et il m'a servi de support humain
pour le reste du concert, et ce pendant que je le sodomisais avec entrain...
Ha ha ha !!! C'était le dernier concert d'un festival international
itinérant en 87 ou 88 où il y avait outre les Fuzztones,
les Sting Rays (UK), The Last Drive (Grèce), Sick Rose (Italie),
Stomach Mouths (Suède) et Daisy Chain (Allemagne).
La veille, avec les Viet Vets, nous nous étions retrouvés
à Berlin, du côté Est, c'était avant la réunification
et au milieu des dernières salves de la guerre froide, derrière
le mur, au fameux Check Point Charlie, côté russe... On s'était
planté sur l'autobahn en venant de Hambourg tellement on était
pété, et on a atterri à Berlin-Est avec de la came
planquée derrière le cendrier. Les Vopos n'avaient pas spécialement
le sens de l'humour et étaient d'humeur taquine, leurs Kalachnikofs
nous ont braqués pendant les trois heures de fouille, tout ce qu'on
avait est passé aux rayons x et aux miroirs à roulettes
sous le camion, au cas où on aurait essayé d'exfiltrer des
gens vers l'Ouest... Du vrai James Bond quoi ! On s'attendait, s'ils trouvaient
la dope, à passer une bonne quarantaine d'années dans une
mine de gruyère en Sibérie... Heureusement pour le rock'n'roll,
ils n'ont rien trouvé et nous ont relâchés en nous
traitant comme des rebuts décadents de l'impérialisme occidental,
ce que nous étions sans doute... Après avoir slalomé
doucement sous l'oeil vigilant d'une mitrailleuse entre les miradors
et les barbelés du no man's land séparant les deux Berlin,
on a aperçu enfin les drapeaux américains, anglais et français
qui flottaient nonchalamment. Et à peine arrivés dans Berlin
Ouest, le cul nu d'une pute s'est offert à nos regards humides d'émotion...
Nous avions retrouvé les bienfaits de la civilisation, ouf !
On a appris par la suite que plusieurs personnes étaient
passées à l'Ouest le jour précédent en se cachant
sous un drap blanc et en rampant sous la neige ! C'est pour ça
qu'ils étaient aussi énervés ! Mais pas autant que
moi ce soir là... J'étais tellement excité que j'ai
destroyé la batterie à grands coups de lattes à la
fin du concert... Il avait fallu finir notre encombrante réserve
avant de repasser la frontière le lendemain...
D.It ! : Vous avez sorti un album en collaboration étroite
avec les Allemands Daisy Chain, ça s'appelait The Vietnam Chain...
Comment ça c'est fait ?
LT : On a rencontré les Daisy Chain une première
fois en 86 lors d'un concert à Hambourg. On a ensuite tourné
avec eux sur le Psycho Festival évoqué plus haut, et comme
on s'entendait bien et que la chanteuse pesait au moins son quintal, Mark
a convaincu Hans de produire un album commun enregistré par mes
soins. Ils ont débarqué un jour au futur Kaiser Studio et
nous avons enregistré l'album Susmoala Beat -les Teutons n'ont jamais
saisi la finesse du titre- sous le nom de Vietnam Chain. Il existe aussi
un maxi-45t tiré de cet album.
D.It ! : On trouve sur ce disque une longue version très,
heu, possédée... de "Cold Turkey"...
LT : Ouais, on l'a enregistrée en live. A la base
c'était une impro avec les musiciens des deux groupes. Ce titre
collait bien avec nous. Surtout avec moi...
D.It ! : J'ai l'impression que les Vets ont aujourd'hui un
côté "groupe culte"...
LT : Avec Nova Express, mon label, je suis amené
à correspondre avec pas mal de labels et distributeurs du monde
entier, aux USA, en Australie, Grèce, Allemagne etc..., et mes interlocuteurs
me demandent souvent : "Tu es le fameux Lucas Trouble des Vietnam Veterans
?". C'est vrai qu'on était connu un peu partout, je m'en rends compte
maintenant... Sans avoir les chevilles qui enflent, je ne pense pas qu'un
groupe français ait été aussi internationalement coté...
Dans le genre qui nous intéresse, naturellement... Il y a dans certains
de nos disques quelque chose de mystérieux, d'obscur, voire de cryptique,
qui je pense nous a échappé, qui n'a jamais été
calculé... Je trouve que ça sonnait vrai et que les gens
l'ont bien senti, et le ressentent toujours, d'où une certaine aura...
D.It ! : Vous avez vendu combien d'albums des Viet Vets à
travers le monde ?
LT : Au total, entre 50.000 et 70.000 je crois.
D. It ! : D'où t'es venue l'idée de monter un
studio ?
LT : A la fin des années 70, j'organisais moi-même
mes enregistrements sur des magnétos 2 ou 4 pistes. Je me suis ainsi
habitué à bosser sur du matériel à bandes.
Plus tard, avec mes différents groupes, on a enregistré dans
des studios assez importants et j'ai commencé à m'immiscer
dans la production sonore parce qu'on trouvait que le résultat final
ne correspondait pas vraiment à ce qu'on cherchait... C'est
à partir du troisième album des Vietnam Veterans que j'ai
réellement commencé à bosser, avec un ingénieur
du son qui était le sosie de Frank Zappa, sur les prises de son
et le mixage. J'ai continué tout seul sur les albums suivants et
j'ai produit ceux des Temple Gates, Silly Things, Vietnam Chain... Un jour,
Frank "Juju" Zappa a voulu vendre son studio et j'ai racheté son
16 pistes, ses tables et d'autres trucs. C'est comme ça qu'est né
le Kaiser Studio...
D.It ! : Tu as une formation de technicien ou tu as appris
sur le tas ?
LT : Je n'ai jamais fait la différence entre m'occuper
du son et jouer d'un instrument. Je le fais avec la même passion.
Pour moi, c'est l'oreille qui compte, et bien sûr le goût et
la pratique, mais pas la théorie ni le matériel. On peut
faire du bon boulot avec du matos pourri, ou même avec du matos trés
sophistiqué si on le connaît bien... Je crois qu'il faut surtout
aimer le rock'n'roll et le faire sonner comme on a envie de l'entendre
en tant que fan. D'ailleur il faut toujours exagérer...
En fait, ce qui m'intéressait au départ avec le
studio, c'était de pouvoir enregistrer mes groupes et mes propres
délires, tranquillement, chez moi. Et comme dans ce pays il est
impossible de vivre décemment de sa musique si on veut rester intègre
et fidèle à ses principes de rebelle, sans faire partie des
"rockers municipaux" subventionnés par les mairies ou l'état,
le studio était pour moi une belle alternative. Au début,
çe n'était poutant pas rose tout les jours. Maintenant ça
va beaucoup mieux, ce qui me permet de pratiquer des tarifs grotesquement
bas ou de faire des co-prods avec des groupes intéressants qui n'ont
pas beaucoup de fric...
D.It ! : On trouve quoi au Kaiser Studio ?
LT : On a deux magnétos 16 pistes en analogique
avec bande 1 pouce et une table de 48 pistes. Le mixage est également
analogique. Tout est vintage et fonctionne bien. Je hais le numérique,
dès que je vois un ordinateur, j'ai envie de le pulvériser
à la hache !
D.It ! : Tu as travaillé avec un nombre incroyable de
groupes, certains ont même fait leur trou comme Dionysos... Tu as
toujours des contacts avec eux ?
LT : Plus vraiment depuis qu'ils ont récupéré
les droits du premier album. Les groupes ayant débuté avec
moi et qui ont fait leur trou en signant avec des majors s'y sont eux-même
enterrés, il n'y a qu'à écouter ce qu'ils font maintenant...
J'ai souvent remarqué que les gens qui font de la pop en France
(et non du punk, garage ou rock'n'roll) ne pensent qu'à faire carrière
à tout prix sans aucune reconnaissance pour les structures qui les
ont aidés à leurs débuts, contrairement aux groupes
anglo-saxons qui restent généralement sur leur label et participent
à son développement... Comme mes amis les Cowboys From Outerspace,
de vrais rockers, qui sont et resteront toujours intègres. C'est
grâce à eux et à notre travail commun que le groupe
et le label fonctionnent bien.
D.It ! : Tu joues souvent sur les disques que tu produis...
Comment ça se passe, tu le proposes au groupe ou ça vient
comme ça ?
LT : Effectivement, je joue sur de nombreux enregistrements
faits chez moi. Du coup, beaucoup de gueux et autres esprits chagrins en
déduisent que c'est par tyrannie et mégalomanie... hé
hé, il n'y a pas que ça... En fait il se trouve qu'au studio,
il y a une pièce remplie de claviers d'époque (Hammond, Leslie,
Rhodes, Farfisa, plus des vieux synthés, etc...) et il arrive que
des groupes souhaitent ajouter des parties de claviers sur certains de
leurs titres. Et naturellement ils font appel à moi... Ça
leur fait plaisir, et moi je fais tout bêtement mon métier...
D.It ! : Tes meilleurs souvenirs de séances d'enregistrement
?
LT : Tous les enregistrements me laissent de bons souvenirs,
surtout au moment du chèque, ah ah ah ! Même les groupes les
moins "intéressants".
D. It : Justement, à propos des tarifs ?
LT : 228 euros/jour. Forfaits pour plus de cinq jours
: 198 euros/jour. Gîte pour 3 euros/jour par personne. Voilà
pour les tarifs du meilleur studio le moins cher du monde...
D.It ! : T'as quoi sur le feu en ce moment ?
LT : Je suis en train de terminer le mixage de l'album
d'Electric Karma, c'est du glam punk/rock 70', et j'attaque tout de suite
après celui des Woodoo Devils qui donnent dans le psycho.
D.It : On voit apparaître Nova Express Rds en 84 pour
un maxi de Hymn avec des musicos qu'on retrouvera 13 ans plus tard dans
The Temple Gates... C'était quoi l'idée de départ
? Editer les disques de tes groupes je suppose ?
LT : En 1984, j'ai joué avec ce groupe de new-wave
qui s'appellait Hymn. J'ai créé Nova Express pour sortir
un maxi 45t du groupe car on n'avait pas envie de s'emmerder à aller
voir les crétins qui bossent dans les majors. C'est comme ça
qu'est né le label. Quelque temps après, le groupe s'est
changé en Temple Gates, avec les mêmes mecs, en plus garage/gothique
dans le son, et on a sorti un 33t chez Music Maniac. Les titres auxquels
tu fais allusion et qui figurent sur la compil Kaiser Banquet en 97 avaient
été enregistrés à la fin des 80's et étaient
prévus pour un second album qui n'a jamais vu le jour. J'ai encore
les bandes de ces sessions qui sortiront peut-être un de ces quat'
matins... L'idée de départ du label c'était également
de sortir les albums de groupes que je produisais à l'époque,
comme The Silly Things, les Buckaroos ou les Cosmonautes, puis ensuite
lorsque j'ai monté le Kaiser Studio, les disques des groupes qui
me plaisaient et n'avaient pas de structure.
D.It ! : Tu sors combien d'exemplaires de chaque disque ?
LT : Entre 500 et 1000 dans un premier temps. Après
on voit... Par exemple, pour les Cowboys, nous fabriquons 3000 CD dès
le départ. Ce sont eux, avec l'album Space-O-Phonics Aliens, qui
ont fait les meilleurs ventes (3000 ex.). Sinon, nous avons eu pas mal
de références qui ont atteint le stade de "Disque de Carton"
(10 ex. vendus !). Décemment, je ne peux pas révéler
de qui il s'agit, surtout que les disques sont bons ! Il y a trop de disques
qui sortent et pas assez de gens pour les acheter. Si la TVA baisse -on
peut toujours rêver-, je serai pour qu'on trouve les CD à
moins de 8 euros en magasin. Ça résoudrait tous les problèmes
de piratage, les mauvaises ventes, l'accès à la musique serait
financièrement raisonnable, etc...
D.It ! : Le ou les disques dont tu es le plus fier ?
LT : Je suis très fier des albums des Cowboys,
le résultat a toujours collé à l'idée du son
qu'on avait en tête avant les enregistrements. Il y a également
ceux de Hash Over (de la musique sans doute rébarbative pour les
lecteurs de Dig It !), Gutter Kids, Hawaii Samurai, Astro Zombies, ainsi
que les petits derniers : Holy Curse, Simon Chainsaw et Electric Karma...
Et pourquoi pas, le premier album de Dionysos que je trouve toujours
magique et chargé de délires bruts. Rien à voir avec
les productions aseptisées suivantes (celle d'Albini a du coûter
150 fois plus cher !...).
D.It ! : Et des groupes avec lesquels tu ne travaillerais plus,
y'en a ?
LT : Non... A partir du moment où ils payent !
Tout le monde est toujours cool avec moi... Sinon ils savent qu'ils finiraient
dans la carrière derrière le studio avec de la chaux sur
le bide... Ou bouffés par mes sangliers !
D.It ! : Un disque que tu aurais aimé sortir mais...
LT : Je devais enregistrer et produire un album de la
reformation des Lords Of The New Church et ça ne s'est pas fait
pour des raisons bassement financières. Dommage, la maquette faite
dans le home studio de Rat Scabbies était vraiment sauvage, saturée
de guitares teigneuses et plus proche des premiers Damned ou Lords que
de ceux du milieu des 80. Et c'est toujours sympa d'entendre Brian James
te dire : "Allo Kaiser !" au téléphone...
D.It ! : Le ou les labels que tu considères comme exemplaires
?
LT : Tous les indépendants, tous styles confondus,
ceux qui ont fait leur trou tout en restant indépendants : Alternative
Tentacles, Amphetamine Reptile, Sub-Pop, Rough Trade, Factory, Mute, etc...
D.It ! : Il y a des critères pour faire partie de la
famille Nova Express Records ?
LT : Pour les groupes que j'édite sur le label,
le premier critère c'est qu'ils passent par mes mains mutines, hé
hé, aussi bien au niveau de l'enregistrement que de la production
sonore. C'est la seule chose qui m'intéresse. Le reste, le côté
business, promo, etc..., ça me gonfle totalement. Mais je suis quand
même bien obligé de me le taper. J'suis passé aux 35
heures... par jour !
D. It ! : Tu as arrêté définitivement la
série des compils de couleurs ? (Orange, Olive, Lapis Lazzuli, Prune,
Turquoise, Rubis & Gold)
LT : Ces compils étaient contraignantes vu le grand
nombre de groupes à enregistrer, et donc elles mettaient du temps
à sortir... Je préfère maintenant les split CD avec
trois ou quatre groupes. Pour moi, le seul intérêt du support
CD c'est la durée d'écoute. Pour le même coût
de fabrication, on peut permettre à trois groupes de mettre 25mn
de musique chacun sur le même disque, sans altération du son...
Je pense sortir prochainement des compils avec les groupes de rock'n'roll
qui cartonnent actuellement en France.
D. It ! : Et le vinyle ?
LT : C'est pour moi le meilleur support. Mais on n'a hélas
pas les moyens de fabriquer du vinyle en plus du CD, et je ne veux pas
bosser avec les Tchèques car la qualité de leurs disques
est trop naze, et je ne veux pas sacrifier le son pour l'esthétique...
Et comme le format CD est primordial pour les distributeurs...
D.It ! : Comment ça s'est passé avec le troubadour
punk australien Simon Chainsaw ? Il est venu deux fois chez toi...
LT : Ouais, il est venu une première fois en 2002
pour d'enregistrer 3 titres pour la compile Kaiser Bordello. Il était
accompagné par les Holy Curse. Ce sont eux qui avaient organisé
l'affaire. Comme le résultat lui a plu et que nous sommes devenus
amis, il a souhaité enregistrer un album ici, ce qui s'est fait
l'été dernier. Le CD vient de sortir et il trouve que c'est
son meilleur album...
D.It ! : Exemple d'un deal type avec un groupe ? Tu leur fais
un pack Studio + Label + Distribution ?
LT : Il existe plusieurs deals... Tout d'abord, au niveau
du studio (qui est indépendant du label alors que tout ce qui sort
sur le label est fait au studio), n'importe quel artiste peut enregistrer,
comme dans n'importe quel studio. J'ai fait tout récemment les Second
Rate pour Prehisto Records, ainsi que mon vieux complice Tony Truant pour
Next Music et je pense travailler bientôt avec des groupes de chez
Lollipop....
Au niveau du label, je reçois énormément
de démos de groupes qui cherchent une prod. Comme il y a plein de
trucs intéressants et que nous avons des moyens financiers très
limités, nous proposons dans un premier temps des co-prods par rapport
au studio (moitié prix) si le groupe peut financer la fabrication.
Evidemment les disques restent la propriété des groupes,
le studio récupérant son avance (moitié) sur les ventes.
En fait nous les faisons profiter de l'infrastructure du label, de sa notoriété
ainsi que de son réseau de distribution. Nous ne prenons que 10%
sur les ventes effectuées par nos soins, ça paye à
peine le téléphone... Nous proposons également notre
système de split CD, qui comprend 4 jours de studio, 25 mn de musique
avec un mastering pro et 100 CD tout beaux tout neufs par participants,
et ce pour un financement grotesque...
Quant aux gens avec qui nous travaillons depuis quelque temps
et qui fonctionnent bien, on bosse en totale co-production à 50/50.
Tout est partagé en deux, aussi bien les dépenses que les
profits... Et ça fonctionne super bien (ex : les Cowboys, Holy Curse,
Electric Karma...). Ça peut paraître curieux qu'un label fasse
payer ses groupes, mais je pense qu'il faut partager les risques : ça
motive les participants, tout le monde s'investit et les rapports sont
plus sains. Et quand ça tombe, les groupes touchent 50% des ventes,
et non des royalties qui plafonnent entre 5 et 12% dans le meilleur des
cas... De toutes façons, je ne vois pas pourquoi un groupe de quatre
ou cinq personnes attendrait qu'un seul gus, moi en l'occurence, paye pour
tout le monde...
D.It ! : A quoi ressemble ton circuit de distribution ? Tu
as sans doute toi aussi pâti de la mise hors circuit d'UMC ?
LT : On est distribué par Chronowax en France et
ils ont l'air bien plus sérieux et plus réalistes que l'étaient
UMC. Nous avons moins pâti de la "faillite" d'UMC que d'autres, comme
Stéphane de Lollipop et de nombreux autres labels, parce que je
m'étais fait payer, en leur mettant la pression, les ventes de 2002.
Il y a tout de même les ventes de 2003 qui sont impayées et
des centaines de CD bloqués dans les entrepôts Sony où
ils stockaient les disques. Mais ça devrait s'arranger prochainement
pour tout le monde.
D.It ! : Les prochaines sorties du label ?
LT : Les albums de Holy Curse, Electric Karma, Underwire,
Psychotic Reaction, Little Green Fairy... Et des compils avec les bons
groupes frenchy du moment : Neurotic Swingers, Cowboys From Outerspace,
Jerry Spider Gang, Magnetix, TV Men, Hatepinks, Sparkling Bombs, etc...
D.It : Tu arrives à vivre de tes activités Rock'n'Roll
?
LT : Je réussis depuis quelque temps à participer
honorablement au budget familial (heureusement que ma femme travaille !)
grâce aux revenus du studio. Par contre nous sommes complétement
bénévoles, ma femme et moi (on dirait Colombo...), pour ce
qui concerne le label, et jusqu'à présent il m'a beaucoup
plus coûté que rapporté !
D.It ! : Que s'est-il passé pour toi après l'aventure
Vietnam Veterans ? Tu n'as jamais arrêté de jouer ?
LT : Je me suis consacré énormément
au studio. Parallèlement on a monté, avec Mark et Martin,
The Late Veterans pour faire une suite au Viet Vets. On avait débauché
pour l'occasion Charly Markarian et Ölmer Rose (le bassiste de Temple
Gates). Nous avons enregistré un album qui n'est jamais sorti. Quelques
titres sont parus sur la compil Kaiser Banquet. On a tourné un peu
en Allemagne et en Suisse, mais il n'y avait plus la magie d'avant et le
groupe s'est arrêté tout seul en 92...
J'ai monté The Mediums trois ans plus tard avec Caligula
Gibus, ex-chanteur des Silly Things qui était parti s'expatrier
à Londres (il y habite toujours) et encore ce vieux Charly Markarian,
le meilleur guitariste arménien du monde monde (avec Michel des
Cowboys !)... Le batteur Laurent Folleat est un pote du coin qui joue également
dans Johnny Yen. Ils ont des titres sur la compil Kaiser Bordello. On a
sorti trois albums, bientôt quatre, et jamais fait de concerts !...
On verra ça un jour. Si nous tournons, y'a Dave Tregunna (ex-Sham
69 et Lords Of The New Church) qui veut absolument tenir la basse... Brian
James et lui sont des potes de Caligula Gibus et des grands fans des Mediums,
garage-gothique oblige...
D.It ! : Comment tu choisis les reprises ? Certaines sont pour
le moins... originales, Donna Summer ("Love To Love You Baby"), le "Child
In Time" de Deep Purple... Mais aussi et plus logiquement le Gun Club...
LT : Toutes ces reprises sont déjà des morceaux
que j'aime, pour des raisons assez diverses. J'étais et suis toujours
un grand fan du Gun Club et en 82, après leur concert au Palace,
j'avais bouffé avec eux et traîné ensuite avec Jeffrey.
Une soirée alcool/opiacés où il m'avait joué
en privé son "Mother Of Earth"... C'était un sacré
furieux et il rigolait par à-coups comme un malade ! Il y avait
également la douce Patricia Morrison, la bassiste la plus belle
du monde, qui est mariée maintenant avec Dave Vanian et tient la
basse pour les Damned...
Et "Child In Time" me rappelle ma jeunesse, j'adorais ce titre et on le jouait dans les baluches en 72... C'est comme pour Donna Summer, par nostalgie... J'étais aux Etats-Unis en 75 et ça passait sans arrêt sur les ondes, et surtout dans un claque de Chicago où les entraîneuses/stripteaseuses se dessapaient en dansant et en écartant délicatement les fesses... Pour les Stranglers ("Princess Of The Street"), c'est également en souvenir d'une soirée destroy passée avec Jean-Jacques Burnel au Rose Bonbon...
D.It ! : Tu as participé à combien d'albums au
total ??? T'as dû perdre le compte non ?
LT : J'ai du jouer sur une bonne centaine de disques...
Peut-être plus... Je n'ai jamais vraiment tenu le compte !
D.It ! : Tes groupes favoris de tous les temps ?
LT : En vrac et sans trop réfléchir : Saints,
Birthday Party, Steppenwolf, Amon Düll 2, Deadbolt, Captain Beefheart,
Wire, Only Ones, Gene Vincent, Seeds, Animals, Kim Fowley, Elvis... Il
y en a trop, ceux que j'oublie, tous les groupes obscurs de tous les temps,
et les incontournables : MC5, Stooges, Pistols, Velvet, Doors, Stones,
Yardbirds... En fait, tout ce qui est bon, brut, bizarre et malsain
Mais mon préféré c'est le Gun Club !
D.It : Et de ce trimestre ?
LT : Groupe du trimestre ? Ha ha ha ! Les Cramps !
D.It ! : Dernier disque acheté?
LT : Le nouveau Cramps et le Sonny Vincent en vinyle chez
Sneackers ! C'est la seule boutique de disques de rock'n'roll digne de
ce nom en Bourgogne. On y trouve les meilleurs skeuds en CD ou vinyle.
Ils y font des expos libertaires et anars et on n'y aime pas beaucoup les
collabos genre "rock municipal et subventionné"...
D. It ! : Et pour finir, tu préfères les grosses
(cf la chanteuse de Daisy Chain, la pochette de Kaiser Bordello...) ?!?
LT : C'est Mark qui préfère les grosses,
ainsi que les infirmes et les naines. Moi, j'aime les belles femmes brunes,
gothiques et sexy. J'en ai chopé des tonnes (mais en plusieurs fois,
contrairement à Mark !) et dès que j'en vois une qui est
comestible, je suis comme le loup de Tex Avery... Les femmes sont folles
de mon corps et ça se comprend ! D'ailleurs, si celles qui lisent
cet article veulent découvrir les secrets du bonheur, qu'elles m'écrivent
(en joignant une photo) !
1979
1980
1981
1982
1983
1984
1985
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1991
1994
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1998
1999
2000
2002
2003
Nova Express : 21 chemin des carrières, 71150 Chagny. (kaisernova@aol.com) |
L'histoire mérite d'être racontée
: En 2000, quelques activistes de l'association The Experience Music Project
drivés par Scott McCaughey (Young Fresh Fellows, Minus 5 et cinquième
REM en tournée) décident d'organiser un festival regroupant
quelques "vieilles gloires" du rock local. Et comme on est dans la région
de Seattle, les vieilles gloires en question ont pour nom Wailers, Kingsmen,
Viceroys ou Sonics. Excusez du peu. Les reformations aboutiront (Wailers
et Kingsmen en profiteront même pour faire quelques concerts supplémentaires,
aux USA ou en Europe)... sauf pour les Sonics. Les frangins Parypa étaient
pourtant d'accord mais Gerry Roslie a repoussé toutes les propositions...
Faut dire qu'il y a entre eux un solide contentieux depuis l'époque
(fin 70's) ou Gerry avait utilisé le nom des Sonics pour un album
pitoyable (Sinderella, ouais, avec un "S")... Exit les Sonics.
S'accrochant obstinément à son idée, Scott
McCaughey a décidé de former lui-même "les nouveaux
Sonics", ou plutôt The New Strychnines, un gang ayant pour unique
mission de s'attaquer au mythique répertoire du groupe, de "The
Witch" à "Maintaining My Cool" en passant par "Cinderella", "Boss
Hoss" et autres "He's Waiting" ou "Strychnine" évidemment. Il a
appelé quelques potes et l'affaire fut rondement menée. En
quelque semaines le gang était opérationnel. Outre McCaughey
lui-même aux claviers, les New Strychnines ont tout d'un bottin rock'n'roll
du Pacific Norhtwest : Au chant Mark Arm, (Mudhoney), à la basse
Steve Turner (id), à la batterie Dan Peters (id), à la première
guitare Tom Price (Gas Huffer), à l'autre gratte Bill "Big Kahuna"
Henderson (Girl Trouble) et au sax le pote Graig Flory.
Le "super groupe" a ainsi joué au fameux festival (organisé pour l'inauguration d'une sorte de musée du rock régional) entre les Wailers et les Viceroys et, fort du succès obtenu, a décidé de poursuivre l'expérience pour quelques shows supplémentaires. C'est alors qu'ils ont commencé à recevoir des coups de téléphone d'un certain Rockin' Rod, leader d'un obscur garage band répondant au nom de... The Strychnines, auteurs d'un ou deux singles il y a quelques années, qui se plaignait de l'emprunt du nom (!) et exigeait de venir chanter quelques morceaux avec eux en les menaçant d'un procès s'ils refusaient. Gonflé ! Pour éviter les problèmes, Scott et sa bande ont donc fait leur concert suivant sous le nom de The New Original Sonic Sound, avant de revenir rapidement au nom originel.
Les New Strychnines ont donné plusieurs concerts dans les mois qui ont suivi. Les vrais Sonics, ayant bien sûr eu vent de l'affaire, sont venus au troisième concert des New Strychnines et les frères Parypa ont été tellement excités qu'ils ont postulé pour faire une première partie des New Strychnines avec le groupe dans lequel ils jouent pour occuper leurs weekends.
Et finalement, sous la pression des chanceux ayant assisté à leurs shows, les New Strychnines se sont décidés à passer par la case studio, ce qui n'était absolument pas prévu au départ. Il en résulte un album (The New Original Sonic Sound) sans doute anecdotique (d'ailleurs pour couper court aux critiques sur l'utilité d'un tel projet, Mark Arm conseille : "Avant d'acheter notre disque, procurez-vous les albums des Sonics") mais fatalement et furieusement rock'nroll et étonnamment fidèle au son original. Il a été mis en boîte par un vieux pote du groupe, Kurt Bloch (des Fastbacks et YFF, déjà responsable du son des Supersuckers, Devil Dogs ou Nashville Pussy entr'autres) et le bougre a réussi à faire sonner la session (seize titres) de façon très semblable à ce qu'avait réalisé Keaney Barton pour les Sonics en deux pistes il y a presque quarante ans au Audio Recording Studios de Seattle.
Après une édition US (sur Book Records) sous le nom des New Original Sonic Sound pour les raisons évoquées plus haut, l'album vient de voir le jour en Europe (et sous l'appellation définitive de New Strychnines cette fois) sur le petit label de Madrid Rock'n'Roll Inc dont le boss Francisco a toujours été un adorateur déclaré des Young Fresh Fellows en général et de Scott McCaughey en particulier, d'où la connexion. La pochette est différente de la version américaine et le disque bénéficie de solides cautions en forme de liner notes hommage aux Sonics signées par quelques grands fans du groupe devant l'éternel : Peter Buck, Howlin Pelle (The Hives), Andy Shernoff, Roy Loney, Nick Vahlberg (Nomads), Deniz Tek, Greg Prevost (Chesterfield Kings), Billy Childish, Mike Stax, Jello Biafra, Steve Turner, etc... Extraits :
Deniz Tek : "... Quand j'ai entendu les Sonics la première
fois, ça m'a fait un choc, je ne pensais pas qu'on puisse faire
un truc aussi intense".
Andy Shernoff : "Trois accords sur un rythme sauvage + des hurlements
de malades = Real Rock'n'Roll !!!".
Roy Loney : "La première fois que j'ai entendu les Sonics,
je roulais dans ma '57 Chevy et "The Witch" est passé à la
radio. J'ai failli en perdre le contrôle de ma caisse et me foutre
dans le décor".
Le vingtième anniversaire du premier album des Young Fresh Fellows (The Fabulous Sounds Of The Pacific North West) a été dignement fêté par le label Blue Disguise Rds qui vient d'éditer un hommage, ou plutôt un "salut" comme ils disent, au gang de Scott McCaughey (This One's For The Fellows, sous-titré "A 20 Song Sonic Salute to The Young Fresh Fellows"). Pour célébrer la sortie de l'album, une fiesta s'est déroulée le 7 mai au Crocodile Cafe de Seattle. Plusieurs groupes participant au disque ont évidemment joué. Les Young Fresh Fellows aussi. Sur l'album figurent entre autres The Presidents Of The United States Of America, The Silos, Robyn Hitchcock, Carla Torgerson & Amy Stolzenbach, The Figgs, Johnny Sangster, The Black Panties, The Groovie Ghoulies, Charlie Chesterman (ex-Scruffy The Cat), The Makers, The Mono Men (avec Scott McCaughey), etc... infos : www.bluedisguise.com |