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Dig It! # 34
THE SUPERSUCKERS
THE ART OF MODERN ROCK

 
 


THE SUPERSUCKERS
 

 Un de leurs disques s’intitulait modestement : "Comment les Supersuckers sont devenus le plus grand groupe de rock’n’roll du monde". La pochette donnait la réponse, mais bien sûr le diable leur a joué un tour. On ne trouve pas leurs oeuvres au supermarché du coin et ils ne seront jamais millionnaires. Fuck ! Ils ont pourtant réconcilié le punk, le hard, le high energy rock’n’roll, la pop et la country... Ils ont réhabilité la main cornue et le stetson... Ils ont engendré quelques uns des meilleurs albums de ces dernières années, et créé leur propre label, Mid-Fi Records, dont le logo est un magnifique doigt d’honneur numérique. Humour et attitude ! Qui sont ces cow-boys sataniques qui depuis quinze ans foulent de leurs grosses bottes les poncifs du rock ? Sont-ils le meilleur groupe du monde ? Ont-ils vraiment vendu leur âme au diable ? Eddie Spaghetti est-il chauve ? Petite virée du côté de Middlefingerton, USA, leur home imaginaire où drogues et alcool coulent à flots dans la fumée des flingues...
 

GOIN’ BACK TO TUCSON

 "Ce groupe est littéralement un cartoon vivant" prévient Eddy Spaghetti, le boss/bassiste/chanteur des Supersuckers. Et ça commence comme les aventures de Bip Bip et du Coyote, dans le désert au milieu des cactus et sous le soleil aride de Tucson, Arizona. Cité étudiante de plus de quatre cent mille âmes, bled d’Al Perry & The Cattle (et de Linda Rondstat !), c’est au milieu des an-nées 80 le repère de la scène desert rock (Green On Red, Giant Sand, Black Sun Ensemble, Sidewinders, Naked Prey...) qui cultivera des liens étroits avec la scène Paisley de Los Angeles.
 Edward Carlyle Daly III alias Eddy Spaghetti, Ron "Rontrose" Heathman, Dan "Thunder" Bolton, Dan "Dancing Eagle" Siegel et Eric Martin sont des garnements qui fréquentent le même lycée (immortalisé plus tard dans leur chanson "Santa Rita High"). Ils jouent tous dans différents groupes, dont Thaï Pink qui se taille une petite réputation en ville. Après le lycée, fin 88, ils forment la première mouture des Suckers sous le nom de The Black Supersuckers, un patronyme dégotté dans une revue porno. Ils carburent alors à Motorhead, Van Halen, AC/DC et les Ramones et se voient comme un groupe de hard rock. Rayon grosses guitares, ils laminent rapidement la concurrence locale et veulent changer d’air. Plus tard, ils lâcheront dans "Going Back To Tucson" quelques paroles cruelles sur ceux qui sont restés coincés là-bas, le cul sur leurs chaises. Ils tirent alors à pile ou face : Seattle ou La Nouvelle Orléans. "On voulait juste aller quelque part où on pourrait porter nos vestes en cuir plus souvent" commente laconiquement Eddy. Ce sera Seattle. Ils filent vers le nord en mai 89.
 

SEATTLE

 A ce moment là, le désormais légendaire label Sub Pop a déjà sorti quelques galettes de Soundgarden, Mudhoney, Girl Trouble ou des Thugs, mais aussi Bleach le premier album de Nirvana (au passage, c’est à peu près à cette époque qu’on a manqué les voir en première partie des Thugs au Bikini à Toulouse, leur tournée étant annulée à la dernière minute). La hype grunge n’a donc pas encore décollé (Nevermind sortira deux ans plus tard). Mais ses futurs héros, ainsi que les Young Fresh Fellows ou les Fastbacks, sont déjà là. Les p’tits gars de l’Arizona pensaient tout casser en arrivant là-bas. Ils vont devoir faire leurs preuves. On les avait prévenus qu’il y avait trois fois plus de clubs rock’n’roll qu’à Tucson - à savoir trois au lieu d’un seul - ils commencent donc à les écumer.
 Suite à une classique divergence musicale (du moins officiellement), Eric Martin se tire. Le gang se rebaptise Supersuckers, et le bassiste Eddie prend les vocaux provisoirement puisqu’il est le seul à connaître toutes les paroles. Ils enregistrent alors en quatuor quelques démos dans un studio de Seattle et font circuler une cinquantaine de cassettes. Certains titres apparaissent sur leurs premiers singles (sur Lucky Rds en 90, Sub Pop et Sympathy en 91, Empty en 92). On les retrouve accompagnés de trois inédits sur l’album The Songs All Sound The Same (sur Empty en 92, réédité par Mid-Fi en 2001).
 Le tempo est plutôt speedé et le son à l’emporte pièce ("Chaque fois que je réécoute ces morceaux, ça me fait grincer des dents" résume Spaghetti), mais on sent les prémisses de la Supersuckers’ touch : un savant mix de riffs hard-rock velus et de mélodies imparables ("4 Stroke", "Girl I Know"), des relents country  encore punkifiés ("Saddletramp") et une ironie réjouissante (relecture musclée du "Burnin’ Up" de Madonna, un tube !). Des perles à redécouvrir, cotoyant des reprises hirsutes des Dead Boys ("What Love Is"), Motorhead ("Sex & Outrage") et Nazareth ("Razzmanazz"), ou les mammouthesques "Junk" et "Poor" (on vous recommande l’hilarant Mexi-Mix paru un peu plus tard en face B d’un single). La réédition comporte quelques titres additionnels, les virulents "Luck" et "I Say Fuck" que l’on retrouvera sur leur premier album, et une reprise des Flamin’ Groovies ("Second Cousin"), plus une vidéo de "Luck" enregistrée au Whisky à Los Angeles. Eux qui pensaient faire du Motorhead sont catalogués punks à leur grande surprise. Leurs démos ayant été bien accueillies, Eddie reste finalement aux vocaux, une décision qu’il prétend encore regretter parfois. Pourtant sa voix éraillée et gouailleuse de cowboy à qui on ne la fait pas devient l’un des gros atouts du gang.
 

HELL CITY, HELL

 Après avoir incendié la ville et ses environs, ils se font repérer par Sub Pop. Un EP cinq titres sort en 1992 suivi du premier véritable album : The Smoke Of Hell. La magnifique couverture signée Daniel Clowes inaugure leurs fiançailles avec une imagerie satanico-ironique, héritage parodié de leurs années métal, une des sources d’inspiration majeure d’une série de pochettes et d’affiches infernales qui leur valent d’apparaître plusieurs fois dans la bible The Art Of Modern Rock. Eddie n’a-t-il pas proclamé : "Je jouerai du R’n’R  jusqu’à ce que Satan m’appelle et m’embauche pour écrire l’hymne national de l’Enfer".
   Sans doute une forme d’hommage touchant à sa maman, qui après lui avoir fait découvrir Blondie, Devo ou The Knack ("‘My Sharona’ est la chanson qui m’a donné envie d’être un rocker"), a suivi son kid dans le métal, devenant même une fondue d’Ozzy Osbourne (mais sans aller comme son fiston jusqu’à se faire tatouer OZZY sur les phalanges !). Quand il était môme, elle lui avait confectionné un tee-shirt marqué 666, le nombre de la bête, qu’elle lui enfilait pour qu’il aille ouvrir aux témoins de Jehovah. Il se souvient : "Je ne savais pas vraiment ce que ça signifiait, j’étais jeune, mais quand j’ai vu la tronche des témoins de Jehovah, j’ai compris que c’était cool ! Alors le lendemain, je l’ai mis pour aller à l’école et je me suis fait virer. Ma mère trouvait que c’était ultra-cool. C’est le genre de maison dans laquelle j’ai grandi." Encore aujourd’hui, il fantasme sur les panneaux de circulation de la route 666, dans l’Arizona, devenus cultes depuis qu’elle a été rebaptisée sous la pression des intégristes ! Idem pour les bornes kilométriques 666 qui n’existent qu’au Texas "parce que la Californie n’a pas de bornes kilométriques et que tous les autres états sont trop petits." D’ailleurs il apparaît sur la pochette de leur premier EP pour Sub Pop avec le nombre maudit tatoué sur le front... Et le crâne aussi lisse qu’une boule de billard. On ne le verra quasiment plus que coiffé d’une casquette, puis de son immuable stetson. Mais comme il le dit lui-même : "Allez les mecs, c’est juste des putains de chiffres !"
 Produits par Jack Endino future légende de Seattle et accoucheur de la scène grunge, la plupart des quatorze titres de ce premier opus envoient le bois façon hard punk speedé et agressif. "Coattail Rider", "Caliente" ou "Ron’s Got The Cocaine" cavalent à bride abattue. Ces blancs becs savent aussi tricoter des morceaux surprenants et intenses comme "Mighty Joe Young", hommage à l’avatar de King Kong tourné par Ernest Shoedsak en 1949. Quant à "Hell City, Hell", c’est une première escapade country blues acoustique. Le titre sort en single en version punk électrifiée, accompagné d’une cover funky virant fumante du "Dead Homiez" d’Ice Cube ! Pendant ce temps la vague grunge prend forme et les Supersuckers sont les témoins privilégiés de l’ascension de Nirvana qu’ils ont côtoyé dans les clubs de la ville et dont ils sont fans.
 

JUNKYARD DOGS

 L’année suivante, ils reviennent dans les Word Of Mouth Studios de Seattle, et avec l’aide quelques potes (dont Mark Arm, le chanteur de Mudhoney, crédité sous le nom de Marco Armani), ils enregistrent huit morceaux assez déroutants, deux originaux et six reprises : "View From Here" des Gories, "Drug Store" des Dwarves, "Ambition" des Fallouts, "Gates Of Steel" de Devo, "Born To Cry" de Dion (récemment revisité par les Hives) et "Breaking The Law" de Judas Priest (!)... le tout façon country débridée ! C’est le 25 cm Good Livin’ Platter paru sur Sympathy sous le nom de The Junkyard Dogs. A l’époque on ne fait pas le rapprochement, même si rétrospectivement on reconnaît au verso le père Eddie (alias Eduardo Caliente ou Eddie Supersucker, devenu sur ce coup Eddie Cheddar) dans sa pose classique : les deux bras levés au ciel comme un catcheur réclamant les ovations de la foule après avoir ratatiné son adversaire. Le disque est aussi dédié à la mémoire d’Eric Martin, "première voix des Junkyard Dogs". Pourquoi avoir sorti ces premiers morceaux country sous ce nom ? Ron Heathman explique : "Parce que c’était notre nom à ce moment là ! Les Junkyard Dogs précèdent les Supersuckers et c’est en fait une organisation différente de la version country des Supersuckers. Par exemple avec les Junkyard Dogs on avait l’habitude de jouer au coin de la rue pour gagner de quoi se payer une bière et un hot-dog. C’était la facette acoustique d’un conglomérat de musiciens de Tucson."
 Le disque ressemble à une blague de potache, un peu dans la tradition des covers hillbilly de classiques hard rock, comme récemment les réjouissants Hayseed Dixie faisant un sort à AC/DC et Kiss. "Je les trouve cool. Une fois de plus on était des pionniers dans ce registre mais de loin le meilleur tribut Hillbilly est la version de "Gin & Juice" (de Snoop Dogg - nda) par les Gords... Ils ont gagné !" précise Ron. Les Junkyard Dogs sont en tout cas une première incarnation de l’alter ego country des Supersuckers. Sympathy publiera aussi un picture-disc trois titres (un des originaux, "Good Livin’", plus une version instrumentale de "Breaking The Law" et une cover de "Lightning Bar Blues"), puis le morceau "Brand New Bike" sur la compil’ de Noël Happy Birthday Baby Jesus, et l’on n’entendra plus parler des Junkyard Dogs.
 

LA MANO CORNUDA

 Quelques mois plus tard, fin 93, ils campent une semaine dans les Egg Studios de Conrad Uno, producteur attitré des Young Fresh Fellows, pour y pondre leur deuxième album, La Mano Cornuda, que sort Sub Pop l’année suivante. Une pochette qui immortalise cette fois leur image cowboy, un son énorme, des guitares flamboyantes, de plus nettes influences pop, des mélodies qui accrochent et quelques tubes majeurs : "Creepy Jackalope Eye", "How To Maximise Your Kill Count" (tous deux toujours en bonne place sur leur set list), "She’s My Bitch" ou "On The Couch". Les Supersuckers ont trouvé leur son, et leur ironie "tongue in cheeks" fait mouche.
 En 94 paraissent aussi All The Songs Sound The Same II (alias Put This On The Barbie, Fucker) - best of des deux premiers albums accompagné de quelques faces B, destiné à promouvoir une tournée australienne - et quelques singles marquants dont un split avec le Reverend Horton Heat et le EP Live at Budokan enregistré au Japon (sous une pochette parodiant le live de Cheap Trick du même nom), six décharges speed et teigneuses à l’image de leurs shows de l’époque. Les Suckers tournent à mort avec leurs compères de label Mudhoney ou le Reverend Horton Heat. Le bolide Supersuckers speede sur les rails du succès quand Ron, le guitar hero aux solos fulgurants, quitte abruptement le groupe "pour combattre des démons personnels" dixit Eddie. Un coup dur dont ils essaient de se remettre en embauchant sur le champ Rick Sims, ancien Didjits et futur Gaza Strippers.
 

SACRILICIOUS

 Sans perdre de temps ils foncent vers Austin pour y enregistrer The Sacrilicious Sounds Of The Supersuckers avec Paul Leary des Butthole Surfers aux manettes. Un album qui lui aussi contient quelques futurs classiques : "Bad, Bad, Bad" (repris récemment par les frenchy Stoneage Rome-os), "Born With A Tail" (qui conclut encore aujourd’hui leurs concerts), ou les swingant "Doublewide" et "My Victim" (avec son final épique à la "Try A Little Tenderness"). Le son est plus travaillé, l’inspiration mixe toujours le hard rock (il y a même une ode au chanteur des Sab Four simplement titrée "Ozzy"), le punk speedé et des mélodies finement troussées ("Hittin’ The Gravel"). Rick Sims co-signe quatre titres et "Bad Dog" ou "Run Like A Motherfucker" (où Rick prend les vocaux) sonnent carrément comme du pré-Gaza Strippers. L’album contient aussi une chanson aux textes poignants, dédiée à la mère d’Eric Martin, "Marie", où Eddie exorcise son sentiment de culpabilité face au destin de son ami, devenu junkie et mort prématurément.
 Ce troisième album sort en 95 toujours sur Sub Pop sous une pochette somptueuse où l’on reconnaît Eddie himself en diable lubrique sur le dos duquel se prélasse un ange blond. Au verso ils recoiffent les stetsons. Un album un poil atypique qui se transforme en parenthèse dans leur discographie lorsque le retour de Ron Heathman se confirme. Il revient en pleine bourre (renouant avec l’improbable pseudo Renaldo Allegré !), prêt à défourailler à tout va, la wah wah chauffée à blanc. Mais c’est le moment qu’ils choisissent pour enregistrer leur premier album country sous le nom des Supersuckers.
 

WHISKEY RIVER

 Dans ses multiples interviews, Eddie Spaghetti reste souvent évasif quant aux raisons qui les ont poussés à jouer de la country. Apparemment, ils étaient dans leur jeunesse plutôt anti-country : c’était la musique des rednecks du coin qui crachaient sur leur bagnole parce qu’ils avaient les cheveux longs. Par un curieux retournement de situation, ils vont devenir le groupe punk qui s’enfoncera le plus loin dans les territoires country. Et pas vers le cow-punk virulent, ou la country subversive et déjantée à la Mojo Nixon, ni même le Honky Tonk enjoué comme à l’époque des Junkyard Dogs. Maintenant, ils trippent sur l’authentique Country & Western qui lorgne sur Marty Robbins, Willie Nelson et la scène de Bakersfield (Merle Haggard ou Buck Owens). Honnête. Pur. Simple. "J’ai toujours été attiré par une musique vraiment simple et honnête comme le punk rock. Et j’ai commencé à apprendre quelques chansons country, et j’ai vu combien elles étaient similaires. Les thèmes aussi étaient les mêmes... ‘Oh pauvre de moi’ en fait."
 Pendant leur expédition au Texas pour l’enregistrement de Sacrilicious, ils avaient rencontré le vieux pirate Willie Nelson. A cette époque ils ouvraient leurs shows avec un classique du héros texan, "Whiskey River" (deux versions live apparaissent sur un single offert avec un numéro de Fear And Loathing et sur le 45 tours Live At Emo’s). Miss Bobbie Nelson, la frangine de Willie, avait été invitée aux sessions (on l’entend au piano sur quelques plages). Ils vont par la suite se faire embaucher comme backing band du grand Willie pour l’émission télé The Tonight Show, puis participer au Farm Aid, et enregistrer avec lui une cover de "Bloody Mary Morning" qui paraît sur le tribute Twisted Willie (Justice Rds, 1996), un projet monté par leur manager Danny Bland, auquel participent aussi The Reverend Horton Heat, L7, Jello Biafra ou Gas Huffer.
 Pour enregistrer les treize titres de Must Have Been High, ils bossent leurs morceaux comme jamais ("Parce qu’on ne voulait pas faire un disque de country qui sonne comme un groupe rock faisant de la country - on voulait faire un album de country") et s’entourent de quelques invités de marque (Jesse Dayton, Kelley Deal des Breeders ou Mickey Raphael, l’harmoniciste de Willie Nelson). Randall Jamail, le boss de Justice Rds et vieux routier de la country, les cornaque comme producteur. L’album s’ouvre sur les hululements d’un harmonica lugubre et déroule une série de complaintes acoustiques, et quelques titres plus enlevés, avec des textes à l’humour toujours très second degré qui ajoutent aux habituelles histoires de gueules de bois des considérations sur la "Non-Addictive Marijuana". L’album séduit sur la longueur avec ses mélodies imparables ("Roamin’ Round", "Dead In The Water"...) ou la petite vacherie sur Captain Sensible, "The Captain". Ce dernier leur a dit un jour en substance : la country c’est de la merde. Damned ! Les Suckers ne lui ont jamais pardonné.
 Les fans réagissent de façon contrastée. Beaucoup voient leurs horizons musicaux s’élargir, d’autres restent sceptiques, certains imaginent même que c’est un "fuck you album" à leur label Sub Pop (genre ceux que faisaient Neil Young pour achever son contrat avec Geffen). Cependant les Supersuckers commencent à tourner alternativement avec une set list rock’n’roll, ou en formation country, un bassiste et un guitariste pedal steel venant en renfort, Eddie prenant la guitare acoustique. Toujours en 97 ils sortent un EP avec Steve Earle, icône du country rock qui a démarré dans les années 80 et qui connaît un succès mainstream honorable (il vient d’ailleurs récemment de se voir décerner un Grammy Award). Eddie et Ron montent aussi un projet punk parallèle éphémère, The Screwmatics (un seul 45t sur Scooch Pooch). Une activité débridée qui sera suivie d’une pause discographique de près de deux ans.
 

EVIL POWERS

 Les Supersuckers ont toujours détonné dans l’écurie de Jeff Kleinsmith. Et si leur notoriété a grandi, ils n’ont pas énormément profité de la vague grunge, qui s’essouffle depuis le suicide de Kurt Cobain, ou de la hype autour de la ville. Ils vont finalement quitter Sub Pop, en bons termes puisque c’est le label de Seattle qui publie How The Supersuckers Became The Greatest Rock’n’roll band In The World, un magnifique Best Of double album gatefold, dont un rempli de face B et de raretés (comme une version de "Hell City, Hell" avec Blind Marky Felchtone de Zeke aux vocaux, et deux titres enregistrés par Jack Endino où on entend leur premier chanteur Eric Martin) plus deux inédits carton, "Givin’ It Away" et "Beat To Shit".
 Les Suckers vont alors connaître de sérieuses galères de label. Juste après avoir signé sur Interscope, ils se cassent à cause de divers problèmes liés à une fusion de majors. Leur nouvel album rock’n’roll est un temps annoncé sur Twenty 14. Finalement ils décident de s’associer avec leurs amis du label Hall Of Records pour fonder Aces And Eights qui après le 45 tours "Can Pipe"/"Play Some Rock’n’roll" (l’intro de ce brûlot va rester leur thème d’introduction sur scène) va co-produire The Evil Powers Of Rock’n’Roll.
 C’est une nouvelle bombe. Cette fois Kurt Bloch des YFF et des Fastbacks leur file un coup de main pour concocter un cocktail corrosif : du heavy punk flamboyant ("The Evil Powers..."), du punk rageur ("I Want The Drugs"), l’indispensable touche country avec une reprise de Merle Haggard ("I Can’t Hold Myself In Line"), une ballade à pleurer dans sa bière ("Dead Ends And Dust"), le prenant "Goin’ Back To Tucson", l’incandescent "Hot Like The Sun"... Un feu d’artifice qui balance tous azimuts, un mur de Marshall et un coup de pompe en couverture... Ouch ! Les quatre kids de Tucson sont devenus un des gangs les plus irrésistibles de la planète : redoutables, brillants, éclectiques, malins et fendards. Leurs shows rock’n’roll dépotent grave tout en étant ponctués de gags et de vannes. Cette fois, beaucoup leur prédisent un succès mainstream et un avenir doré. Mais ça ne décolle pas vraiment. Ron lâche même à nouveau sa gratte pour s’occuper de sa petite fille qui vient de naître et souffre d’un grave problème cardiaque (elle sera heureusement sauvée grâce à une opération chirurgicale), et ils vont attendre plus de trois ans pour un nouvel album studio.
 
FREE THE WEST MEMPHIS 3

 Ils réapparaissent quand même en 2000 à l’affiche d’une compilation intitulée Free The West Memphis 3. Déjà sur la pochette d’Evil Powers on pouvait lire ce slogan. Flashback : En 1993, trois enfants de trois ans sont retrouvés mutilés et assassinés près de West Memphis dans l’Arkansas. La région est sous le choc. Très rapidement la police locale affirme avoir arrêté les coupables, trois adolescents, Damien Echols, Jason Baldwin et Jesse Miskelley Jr. Ce dernier, handicapé mental, est interrogé pendant près de douze heures, sans le consentement de ses parents ni l’aide d’un avocat. Il avoue, puis se rétracte. Seul un montage de quarante-six minutes de l’interrogatoire sera présenté aux parents et à la justice. Les trois jeunes sont arrêtés en juin 1993 et condamnés pour meurtre au début de l’année suivante. Deux écopent de la prison à vie, et Damien, inexplicablement, est condamné à mort. Pas de preuves matérielles, pas d’arme du crime, pas de mobile, pas de connections avec les victimes. L’accusation se fonde sur leur évidente appartenance à une secte démoniaque, attestée par leurs tee-shirts heavy metal, leurs bouquins de Stephen King et des gribouillis sataniques sur leurs cahiers de classe.
 L’affaire devient une cause célèbre dans le monde du rock, et commence à émouvoir le public. Deux films documentaires sont consacrés aux "West Memphis 3" (Paradise Lost : The Child Murders At Robin Hood Hills et Paradise Lost : Revelations). Avec leur passé de kids métalleux, on comprend que les Supersuckers aient été remués par ce terrifiant exemple de l’obscurantisme des campagnes américaines. Après avoir vu le premier film, ils gambergent sur ce qu’ils pourraient faire pour aider les familles des trois teenagers à financer l’interminable bataille juridique qui pourrait leur sauver la peau. Ils décident de monter une compilation, contactent des groupes, rendent visite aux trois prisonniers, rencontrent les familles et s’assurent de leur accord.
 Le fruit de leurs efforts sort en octobre 2000 toujours sur Koch Rds/Ace & Eights. Le line up est torride : deux titres des Supersuckers ("Heavy Heart", une émouvante ballade du groupe australien You Am I, et "Poor Girl" avec Eddie Vedder de Pearl Jam aux vocaux), mais aussi la participation de Joe Strummer, Tom Waits, Steve Earle, Rocket From The Crypt, L7, Killing Joke, Zeke, Nashville Pussy ou Kelley Deal. Ils vont par la suite s’engager à fond et multiplier les actions de soutien : interviews, concerts, et plus original, des mises aux enchères sur E-Bay de leur vieux van, de leçons de guitare avec Ron Heathman ou de packs concerts + virées avec le groupe (visite d’Alcatraz à San Francisco, pillage de casinos à Las Vegas, match des Mariners contre les Red Sox à Seattle etc...).
 La bataille juridique dure encore. Les trois de West Memphis croupissent toujours en tôle, l’un d’entre eux dans le couloir de la mort. Mais ils savent qu’ils ne sont pas oubliés. Henry Rollins a lui aussi monté une compil’ de soutien intitulée Rise Above (avec Iggy Pop, The Queens Of The Stoneage et des stars du metal reprenant des morceaux de Black Flag), une fiction à gros budget basée sur l’affaire se prépare à Hollywood, et leurs familles espèrent des expertises ADN qui pourraient enfin les innocenter. (pour en savoir plus : www.wm3.org)
 

FAN CLUB

 Après une bonne décennie sur les routes, les Supersuckers se sont acquis une cohorte internationale de fans déterminés. Un fan club se monte (adresse postale : PO Box 666 - évidemment ! - à Heber City dans l’Utah - qui deviendra aussi le QG du groupe et de son label) et les Supersuckers inaugurent la série des Fan Club Singles, uniquement destinés aux adhérents, par un CD deux titres : "Christmas Time" et l’ultra-groove "Shake It Off", qui réapparaîtra sur un single du label parisien Pitshark. Les trois CD suivants, un par an, contiendront plus de morceaux, pour une bonne part uniquement disponibles sous ce format.
 Le site internet des Supersuckers devient une référence : complet, bien foutu, gavé de morceaux, de tracts ou de documents à télécharger, agrémenté de concours divers, de photos de fans et des messages fendards d’Eddie qui narre semaines après semaines les aventures de la tribu : tournées, parties de poker (le père de Ron est un ancien joueur professionnel), concerts, bar-be-cues, tournées, bitures, concerts... Ils ont abandonné leurs jobs alimentaires des débuts ("On était d’excellents ingénieurs en hydro-porcelaine" rappelle mystérieusement Eddie), mais ne survivent qu’en tournant comme des brutes. La vague heavy punk scandinave a relancé les grou-pes riffus, et les Suckers apparaissent sur différentes compilations, Respect The Rock Vol 1, How We Rock sur Burning Heart ou l’hommage à Turbonegro, Alpha Motherfuckers (sur lequel ils exécutent "Get It On"). Il ne leur reste qu’une étape à franchir pour devenir totalements indépendants.
 

MIDFINGERTON, USA

 Après avoir expérimenté les différents aspects de la production et de l’édition d’un disque, les quatre Supersuckers fondent leur propre label avec l’aide de leur complice Chris Neal, Mid-Fi Rds, basé dans la riante et imaginaire bourgade de Midfingerton, avec un slogan enjoué ("C’est pas Hi-Fi, c’est pas Lo-Fi, c’est Mid-Fi et c’est plutôt bon !") et un logo qui précise le double sens. En 2002, ils vont se faire la main avec une série de CD singles (dont une cover live de "Cowboy Song" de Thin Lizzy, une version countryfiée de "Going Back To Tucson" et une modernisée de leur vieux tube "Girl I Know"), qui seront plus tard suivis de splits avec Throw Rag et les Hangmen (récemment réédité en vinyle par Bootleg Booze Rds). Pendant ce temps ils écoutent quelques concerts country enregistrés par leur ingénieur du son David Fisher, et décident d’en faire leur premier album sur Mid-Fi. Must Have Been Live reprend l’essentiel de leur album country, plus quelques reprises (dont "Drivin’ Nails In My Coffin") et une version de "Good Livin". Mickey Raphael tient l’harmonica, et cette fois c’est la fille de Willie Nelson qui est invitée à chanter "Hungover Together" en duo avec Eddy (un morceau signé Danny Bland à l’époque où il faisait partie des Best Kissers In The World).
 Afin sans doute de ne pas décourager les fans qui n’accrochent pas à leur alter-ego country, ils sortent aussi cinq nouveaux titres rock’n’roll sur le split LP Splitsville Vol 1 avec Electric Frankenstein (The Misc Cartel, Inc). Ces derniers reprennent "She’s My Bitch" tandis que les Suckers balancent quatre originaux pêchus enregistrés quasiment live en studio, et revisitent "Teenage Shutdown" des EF dans une version acoustique quand même assez proche de l’esprit Junkyard Dogs.
 

ROCK YOUR ASS

 Sous une pochette zarbi (un clodo sosie de Jean Yanne qui semble flotter dans une bouche d’égout) Motherfuckers Be Trippin’ sort enfin en 2003 et les fans sont sur les genoux. Cette fois Eddie s’empare des manettes avec l’aide du fidèle David Fisher et le résultat surpasse tout ce qu’ils ont pu faire par le passé. Eddie a pondu quelques tubes énormes et instantanés (dont le fameux "Pretty Fucked Up" qui a longtemps squatté les platines du Mighty Dig It! Radio Show, et ses paroles un rien cruelles inspirées par le divorce de ses parents), "Sleepy Vampire" (évocation de la grossesse de sa femme où plane l’ombre de Neil Young), les furieux "Rock Your Ass" et "Damn My Soul" ou l’imparable "Rock’n’Roll Records (Ain’t Selling This Year)" qui ouvre dorénavant leurs concerts, et qui paraît l’année où le rock’n’roll s’est le plus vendu depuis des lustres avec le triomphe des Hives ou des White Stripes (notez le clin d’oeil à "Sad Songs & Waltzes (Ain’t Selling This Year)" de Willie Nelson). Bien sûr il y a quelques fumets country ("A Good Night For My Drinking") et une louche de hard-rock ("The Fight Song") où Ron justifie son nouveau surnom de Monnie Rontrose, hommage dyslexique à un célèbre guitar hero seventies ("Hier j’ai écrit Rontrose sur toutes mes valises, donc c’est pour de bon maintenant...").
 L’accueil critique est dithyrambique, mais quand on demande à Ron à combien d’exemplaires il s’est vendu, il esquive : "A peu près 30 copies, peut-être 31... En fait je ne suis pas vraiment sûr mais je sais qu’il a fait mieux que la plupart de nos sorties sur des ‘vrais labels’." Cette fois en tout cas, ils sont les seuls à en tirer bénéfice. Peu après la sortie du disque, nouveau soubresaut dans le line-up, Dancing Eagle, l’ami d’enfance d’Eddie, rend ses baguettes. Il est remplacé temporairement par Pat Taz Bentley, batteur d’El Diablo et du Reverend Horton Heat, puis par Mike Musberger alias Murderburger (ex Posies et Fastbacks). Ils l’embarquent illico dans un périple outre-Atlantique qui manque tourner au drame lorsque leur van se crashe sur une route espagnole noyée sous le déluge. Ils se retrouvent culs par dessus têtes dans un profond fossé, recouverts de sang et de boue. Eddy a une côte cassée et Dan le dos en vrac, Rontrose lui s’est retrouvé coincé sous des tonnes de matos, la tête dans la gadoue, mais ils reprennent la route en claudiquant et finissent la tournée.
 Eddie n’en a d’ailleurs jamais assez puisqu’il joue régulièrement en solo ici et là. Un set essentiellement composé de reprises country acoustiques, mais aussi des originaux sur lesquels il travaille, faisant participer le public à l’élaboration des morceaux lors de concerts qui peuvent durer jusqu’à trois bonnes heures. Inévitablement il profite d’un break du gang pour passer quatre jours en studio et y enregistrer un album, The Sauce (voir encadré). A l’occasion, il embauche Rontrose, Murderburger et Jimmy Sangster (ex YFF) pour jouer ses titres solo sous le nom d’Eddie Spaghetti & The Bloody Show Tunes. Eddie, Ron et Murderburger trouvent aussi le temps de former 70 Proof, un combo de reprises 70’s qui sème terreur et riffs épais sur Seattle.
 
THE BIG SHOW
 

 Début 2004, ils inaugurent la formule Big Show, un concert country enchaîné avec un set rock’n’roll, près de trois heures de show ininterrompu ! Notre pote Pedro y assiste à New York et en revient les yeux comme des enjoliveurs et les bras chargés de CD singles Mid-Fi. Cet été-là ils font aussi une énorme tournée américaine avec Nashville Pussy et leurs vieilles idoles Motorhead. En automne, la veille de leur départ pour une nouvelle tournée européenne, ils se font taxer leur van, chargé à bloc, garé devant chez Eddie. Ils s’envolent quand même, le moral dans les chaussettes (le van sera finalement retrouvé en piteux état, de même qu’une bonne partie du matos), et débarquent pour la première fois à Toulouse.
 La salle du Ramier est tout juste honnêtement remplie ce soir-là. Les Zoomen et les Kung Fu Escalators jouent les cotons-tiges et la salle est à point quand les cow-boys déboulent. Ils balancent d’entrée les tubes du dernier opus. Eddie tente quelques vannes et constate que pas grand monde ne suit. D’irréductibles slammers s’échinent à monter sur scène, le roadie s’agite dans tous les sens, Rontrose paraît un peu emprunté et bouge moins que d’habitude, Thunder Bolton rejette ses longs cheveux en arrière, fait voler sa guitare au ras des têtes et s’interpose dès qu’un slammer s’approche du boss, Eddie tient la baraque et entame un solo de basse, passe l’instrument à chacun des gratteux, fait le monstre à quatre bras avec Rontrose, puis présente son instrument au batteur qui martèle les cordes. Un moment d’anthologie !
 Soudain quelqu’un braille "US go home !". Eddie se fige : "Hey, on a tous voté Kerry, on a fait ce qu’on a pu". Il avait d’ailleurs sur le site du groupe lancé un appel vibrant à voter contre Bush, comparant dans un élan lyrique l’évolution du parti républicain à celle de Van Halen, du flamboyant David Lee Roth/Lincoln au pitoyable Sammy Hagar/Reagan, suivi du nullissime Cherone/Bush, "si mauvais que même le retour de Sammy Hagar a semblé une bonne idée". Bref, ça casse un peu l’ambiance. Moins détonnant qu’à Bordeaux l’année précédente, leur show a quand même de quoi foutre sur le cul n’importe quel fan de Rock’n’Roll. Mais ils ne font pas l’unanimité : trop hard, trop pop, trop punk, ou trop second degré selon le cas... Après le concert, on croise Eddie qui, un peu tendu, promet une interview dans dix minutes et disparaît dans la nuit. Après avoir poireauté trois plombes, je discute un peu avec Rontrose. Il s’est cassé un orteil la veille en bondissant des retours sur une scène en béton. Voilà pourquoi il grimpait sur les baffles avec tant de précaution. Il évoque le prochain album sur lequel ils sont en train de bosser : "On va vraiment prendre notre temps cette fois. On ne le sortira que lorsqu’il sera vraiment fini. Sur le précédent on aurait pu ajouter quelques arrangements, le fignoler un peu plus." Perfectionnistes, les bougres ! En tout cas en studio, parce qu’ils affirment ne plus répéter depuis au moins dix ans. D’ailleurs ils s’étaient éparpillés entre San Diego et Austin avant de tous revenir sur Seattle et sa région.
 

GIMME TWENTY ONE !

 Ceux qui les ont loupés sur scène peuvent se consoler avec la sortie de leur premier live rock’n’roll, le double album Live at The Magic Bag, sa set-list de rêve, la cover de "Jailbreak" dédiée aux WM3 et l’ineffable "fake encore" (voir encadré). Mieux encore, un DVD annoncé depuis belle lurette est enfin édité toujours sur Mid-Fi. Live in Anaheim combine l’essentiel d’un show électrique en Californie avec quelques extraits d’un concert country enregistré à San Diego. Des couleurs travaillées (un peu trop même), Un montage assez sobre, un gang qui l’est un peu moins mais qui tient la forme, et quelques grands moments comme les traditionnels "Gimme 3 !" ou "Gimme 5 !" que braille habituellement Eddie en fin de morceau, qui se transforment en "Gimme 21 !"... et vlan, ils plaquent vingt et un accords pile poil, j’ai bien recompté... Le genre de gag débile qui ajoute à leur charme. "Eddie ne nous avertit jamais... Il nous garde vraiment sur le gril... Je suis dans un groupe de Rock’n’Roll, compter au delà de quatre n’est pas mon point fort" constate Rontrose.
 En bonus, on a droit à deux titres en solo d’Eddie et une interview amusante où le boss disserte avec ses trois compères, Sean de Throw Rag, Bryan des Hangmen et lui même, sur les mérites comparés de l’invisibilité et du pouvoir de voler. Ils préfèrent tous voler tel Superman mais sans perdre de temps à lutter contre le mal. Avec Tommy Boy on a concocté un autre dilemme dont Rontrose se tire avec les honneurs : indestructibilité ou téléportation ? "Je me sens déjà assez indestructible alors je prendrai la téléportation."
 Après avoir visionné l’ensemble surgit un morceau caché, une version live électrique du tube hip-hop d’Outkast "Hey Ya!". Totalement groove et sciante. Une reprise gag qui avait atterri sur le Fan Club CD N°4, et qui a commencé à être diffusée sur les ondes ; du coup elle apparaît sur un maxi 45t Pitshark. Le DVD est livré avec un CD bonus audio du concert country à San Diego où l’on peut entendre notamment des adaptations de "Creepy Jackalope Eye", "Marie", "Pretty Fucked Up" ou du "Sail On" des Commodores de Lionel Ritchie. Il sera suivi du Live At The Tractor Tavern, encore un concert country, et, pour faire patienter à nouveau les fans rock’n’roll, d’une compilation, Devil’s Food, rassemblant une partie des CD single Mid-Fi plus des inédits et des raretés de ces deux ou trois dernières années, agrémentée d’une couverture démoniaque et d’un vinyle phosphorescent.
 
SCRUMTRULESCENT !

 Parmi leurs derniers projets, on compte aussi un split CD single avec Zeke (le "Gato Negro" des Suckers qu’on vient juste de découvrir vaut son pesant de riffs en airain et de tricotage sur le manche), un morceau sur un tribute à Johnny Cash (Dear Johnny) et un nouvel abum solo d’Eddie (enregistré en cinq jours, avec, promet-il, plus d’originaux). Celui-ci est par ailleurs en train de compiler une biographie détaillée qui s’annonce croustillante. Ils ont démarré en mars une tournée US de plus de deux mois avec le Reverend Horton Heat. Murderburger, qui ne semble pas être la machine à tourner dont ils ont besoin, a été remplacé par Dust Watson, ex Agent Orange/Dick Dale. Et dès leur retour, ils doivent se remettre à marner sur le successeur de Motherfuckers Be Trippin’ que les fans attendent la bave aux lèvres. Eddie en fait des tonnes sur l’énorme claque qui s’annonce et Ron en rajoute une louche : "Il ne va pas être seulement une continuation de notre précédent opus mais il va je l’espère englober tous nos aspects, nos efforts, nos talents et notre magnificence. Avec Mike Musburger à la batterie, Dusty Watson pour les shows (et peut-être quelques enregistrements aussi), ça va être notre meilleur effort à ce jour - en d’autres termes ça va botter le cul ! Il n’y a pas d’adjectifs assez forts pour décrire combien il va être génial alors je vais en inventer un - ‘scrumtrulescent’ ! Notre prochain album va être absolument scrumtrulescent !"
 

Supersuckers / Mid-Fi / Fan Club
PO Box 666
Heber City, UT 84032, USA
Chris@Supersuckers.com
Sylvain Coulon
Thanx to WonderPedro, Tommy Boy, Lo Spider & Gildas
Citations d’Eddie tirées d’interviews publiées sur le super-site :
www.supersuckers.com

 THE ART OF MODERN ROCK
 
 En 1987 paraissait The Art Of Rock, un énorme pavé proposant des centaines d’affiches rassemblées par un certain Paul Grushkin, un personnage aux multiples casquettes (cadre d’une boîte de merchandising, archiviste du légendaire promoteur Bill Graham, fondateur du musée du rock’n’roll de San Francisco, co-auteur d’un bouquin sur le Grateful Dead, entre autres...). C’est devenu depuis la bible iconographique incontestée des amateurs du genre.
 Près de dix-sept ans plus tard, Grushkin livre le deuxième volume de son grand-oeuvre. Avec l’aide de Dennis King (un autre collectionneur invétéré, propriétaire d’une galerie d’art à Berkeley et dealer d’affiches online), il a compilé plus de 1800 posters, affiches et tracts dans The Art Of Modern Rock, un nouvel ouvrage grand format de près de 500 pages couleur sur papier glacé luxueux. Le premier tome allait "d’Elvis au Punk", celui-ci, sous-titré "The Poster Explosion", prend logiquement la suite, du punk à nos jours.
 Ils sont partis du constat qu’il y avait plus d’affiches en circulation aujourd’hui qu’à n’importe quelle autre époque de l’histoire du rock’n’roll. Dennis King précise qu’il y a eu plus de posters rock créés ces douze dernières années que pendant les quarante qui ont précédé. Uncle Charlie, un sérigraphiste renommé de Houston, avance deux raisons majeures à cette explosion : Internet, qui a permis l’émergence d’une communauté internationale, et le CD, qui a détruit la pochette de disque et le plaisir de les reluquer dans les magasins, augmentant du coup la demande en belles affiches qui flashent. "La condition humaine demande de l’art visuel pour aider à interpréter et à promouvoir la musique" philosophe Paul Grushkin dans sa préface.
 Le danger était que nos deux acolytes limitent le "rock moderne" à la soupe mainstream.  En tombant d’entrée sur l’énorme rat au coeur sanglant surmonté du logo de Rocket From The Crypt, on devine que c’est gagné. Grushkin rappelle dans sa préface l’influence croissante des labels indépendants qui luttent maintenant contre les majors pour définir ce qu’est le rock’n’roll. Pour lui, la hype Grunge du début des années 90 a aussi eu son influence, non pas au niveau de la qualité ou des techniques de fabrication, mais en amenant une nouvelle génération vers la musique, les concerts et les affiches. Les groupes et artistes de Seattle sont donc en bonne place dans les choix des auteurs. Une sélection forcément subjective, mais éclectique, axée sur la production américaine, présentée de façon plus dense et plus rythmée que sur le précédent opus (et sur fond noir cette fois), toujours accompagnée d’interviews et d’anecdotes.

 Cet énorme engin pesant un âne mort, mieux vaut savamment le caler avant de commencer à explorer ses onze chapitres. Les deux premiers sont consacrés aux sérigraphies (il y a bien une différence entre "silkscreen" et "screen-printed", mais me demandez pas...). En vedette Frank Kozik, le boss du label Man’s Ruin, qui à Austin au début des années 80 a été à l’origine du renouveau de cette technique, abandonnée par les punks au profit des tracts photocopiés. Plusieurs pages sont aussi consacrées à Coop (auteur d’une tripotée de pochettes pour Long Gone John de Sympathy avant de bosser avec Kozik, et de devenir le spécialiste des créatures démoniaques et voluptueuses), mais aussi Art Chantry (l’illustrateur maison du label Estrus), ou Lindsay Kuhn (autre collaborateur de Kozik).
 Les tracts sont justement les héros du chapitre suivant. Héritiers des messages postaux qui annonçaient dans les quartiers noirs les concerts R&B des années cinquante, les tracts ont commencé à se développer à la fin des seventies avec l’essor de la photocopie, pour devenir le média de promotion des concerts rock le plus efficace, retapissant les poteaux téléphoniques dans tout le pays. A Seattle, ils avaient envahi les rues à un tel point qu’ils dégorgeaient des poubelles et des caniveaux en magma gluant sous l’effet des diluviennes pluies locales. La ville les a purement et simplement interdits en 1994 (une mesure finalement déclarée anticonstitutionnelle neuf ans plus tard). Du plan punk bricolé noir et blanc aux éditions limitées en couleurs pétantes, il y en a pour tous les goûts. Mention aux oeuvres de Derek Hess (qui rappellent les cartoons de Plympton), et aux Electric Frankenstein qui ont droit à deux pleines pages (monstrueux, le Franken Guevarra !). Faut dire qu’à leurs débuts en 1990, ils faisaient du teasing en inondant Manhattan et le Bowery de tracts choc présentant diverses variations de la créature et n’indiquant que le nom du groupe et des slogans genre "Electrify Me". Le groupe de Sal Canzioneri prépare d’ailleurs un bouquin compilant ses propres affiches et pochettes de disques.
 Dans le chapitre "Old School" les accros d’Art Of Rock reconnaîtront l’héritage des fifties et des sixties psychédéliques. Un joyeux foutoir où se côtoient le Reverend Horton Heat, les vieilles stars blues et country, des dragsters et autres hot rods, le surf, le Grateful Dead, l’Art Nouveau, ou le day-glo aveuglant.
 On a déjà les mirettes à l’envers quand déboule un duel au sommet Coop/Kozik pour déterminer celui qui dessine les plus affriolantes "devil girls". Torride ! Tout comme la vingtaine de pages consacrées à l’imagerie diabolique de certains gangs punks, grunge, métal ou stoner (High On Fire, les Misfits ou les Melvins à l’honneur, Slayer, Alice Cooper et Ozzy aussi !).
 Immersion dans la déjante avec le chapitre "Insanité temporaire", un panel ébouriffant de bizarreries en tout genre, du style comics strip sous acide de Ward Sutton aux créatures mutantes de Paul Imagine, en passant par les deux pages dédiées aux Donnas.
 Un poil moins passionnants, les deux suivants explorent la puissance du numérique (une pelletée d’affiches des White Stripes et d’autres combos de Detroit quand même) et les posters de prestige de quelques groupes mainstream (notamment ceux édités par la boîte de Bill Graham). Sans être fan de Pearl Jam ou de Phish (c’est qui ceux là ?), il y a là aussi de quoi rester scotché.
 La partie titrée "Explosionist Theory" revient sur les travaux des designers comme Art Chantry (inspiré entre autres par les collages du mouvement Dada) ou Jeff Kleinsmith, le boss de Sub Pop, qui ont repoussé les limites de l’affiche/objet informatif jusqu’aux frontières de l’oeuvre d’art conceptuelle. Un paquet d’affiches killer souvent illisibles !
 Après un petit détour vers des productions internationales (posters du Vera Club aux Pays-Bas, mais aussi virées en Norvège, Suisse, Canada, Israël, Italie, Allemagne, Croatie, Mexique, Australie et Japon en passant par la France et quelques merveilles signées Meeloo de Bongout, l’auteur des pochettes Yakisakana), The Art Of Modern Rock se conclut par un feu d’artifice esthétique et stylistique intitulé "Nouvelles Réalités" qui s’ouvre sur une reproduction grand format d’une affiche mortelle de la tournée australienne 2003 de Turbonegro.

    Bref, pas mal de groupes grunge, un bon contingent métal, quelques stars égarées, des exemples rap ou techno, mais surtout des affiches flamboyantes de Dead Moon, Supersuckers, Queens Of The Stoneage, Dragons, Dirtbombs, Man Or Astro-man ?, Cosmic Psychos, Demonics, El Vez, Cramps, Nashville Pussy, Jon Spencer, Southern Culture On The Skids, etc... Disons un quart de gangs qui hantent nos colonnes et 90% d’oeuvres dignes d’intérêt. Disponible sans doute dans quelques magasins de disques ou librairies et pour 40 € environ sur internet. C’est pas donné, mais outre les risques de tendinite du coude, ce bouquin vous promet des heures de contemplation béate, les yeux aussi écarquillés que ceux d’un catho place St Pierre si d’aventure le nouveau pape apparaissait au balcon une capote à la main.

www.artofmodernrock.com
Sylvain Coulon

 
digitfanzinearchives@gmail.com

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