Dig It! # 36
Spécial Detroit !
MICK COLLINS
DEMOLITION DOLL RODS
JIM DIAMOND
JOHNNY NA$HINAL
TROY GREGORY
MICK COLLINS
La première fois qu’on a
rencontré Mick Collins, c’était en juin 92.
“Fuck, we’re getting fucking old !” comme dirait
Ozzy. Les Gories à la salle FMR : un concert épique !
Stoppé net par les flics après une dizaine de morceaux
rugueux et flamboyants. Presque comme aux plus beaux jours du MC5
à Detroit ! Quand on se pointe au Belmont pour le concert des
Stepsisters, c’est Mick en personne qui ouvre la porte.
Noëlle nous avait prévenu qu’il était le DJ de
la soirée. Check up rapide : walkman ? OK, dans la poche... Les
questions ? Euh, on va improviser. Le club est chouette, assez
spatieux, un long bar, une scène au fond et un patio attenant
où on s’arsouille en essayant de discuter le coup avec la
faune locale - qui fait de louables efforts pour ne pas parler trop
vite et bien ar-ti-cu-ler. Le groupe de première partie
démarre son set quand Noëlle nous annonce que Mick est
prêt pour l’interview. On le suit dans les sous-sols. Oups,
faut pas oublier cette histoire de liste... Dans les notes de pochette
de leur compilation If You Don’t Already Have A Look, il
évoque la liste des futurs albums des Dirtbombs, une liste
déjà écrite. La fin programmée ?
D’abord, voyons si comme on le dit, il a bien une mémoire
d’éléphant...
D.I : Te souviens-tu de ta première venue à Toulouse avec les Gories ?
Mick Collins : Oh oui. Je ne pense pas que je
l’oublierai jamais... Ah ah ah ah ! (premier d’une
série d’éclats de rires homériques ! - nda).
Il y a eu plusieurs choses, ouais. Ça a été un des
moments les plus embarrassants de ma vie. Et puis les flics sont
arrivés ! Ah ah ah !
D.I : Et les autres "moments embarrassants" ?
M. : On a fait une interview à la radio. Quel
était le nom de la radio déjà ? FMR ? Ouais
c’est ça... Et un mec nous a demandé quel genre de
sous-vêtements on avait. J’étais en train de me
moquer du slip de Dan quand j’ai réalisé que le
mien était tricolore sur le devant, et j’ai dû
avouer à des centaines de milliers d’auditeurs que je
portais leur drapeau sur mon calbute. Hé hé hé !
Ça a été le moment le plus embarrassant de ma vie !
D.I : On y était ! C’était
à l’émission Dig It!. Mais c’est pas moi qui
ait posé la question ! (grosse poilade). Euh, bon, et à
propos de la liste ?
M. : La liste... Ah ah ah ah ah !
D.I : Elle est encore longue au moins ?!?
M. : Non, en fait on en a presque fini avec elle,
pour être honnête, il en reste un ou deux. Il y a le disque
Bubblegum, et celui pour lequel tout l’équipement, tous
les instruments devront être soit cassés, soit
trouvés, soit des jouets.
D.I : Ça c’est un concept !
M. : C’est l’album à la Tom Waits
des Dirtbombs, ha ha ! On a plein de matos bouzillé, ça
devrait être un disque facile à faire.
D.I : Dans les notes de pochette de la compil, tu
parle aussi d’Henry Cow, des Piranhas et de musique
“art-damaged”...
M. : Oui, les Piranhas, le “art
noise”... Je considère les Dirtbombs comme un groupe
"art-rock". Parce qu’on n’est pas vraiment un groupe punk
rock ou quoi que ce soit de ce genre, c’est essentiellement un
véhicule que j’utilise pour faire de la musique
basée sur le rock (“rock based music”). Il n’y
a pas qu’une sorte de musique... C’est
“rock-ish”. J’ai dit ça à
quelqu’un hier, je pense que les Dirtbombs sont plus proches de
Roxy Music que des Hives.
D.I : C’est une sorte d’expérimentation depuis le début ?
M. : Oui, c’est entièrement
expérimental. Je veux dire, à la base on se
déguise en groupe rock’n’roll. Un peu... Les gens
croient qu’on en est un, et c’est très bien ! Ah ah
ah ! Jusqu’à ce qu’ils se mettent à poser des
questions vraiment pointues sur le sujet ! Eh eh !
D.I : Sur scène vous êtes VRAIMENT un groupe rock’n’roll...
M. : Oui, exactement ! Sur scène, c’est
un groupe rock’n’roll ! Il y a beaucoup
d’expérimentation sur les disques mais sur scène
c’est un groupe rock’n’roll. La plupart des groupes
punk rock se la jouent tranquille dans le studio et défient leur
public sur scène. Je prends l’approche opposée. Sur
scène, on est un groupe rock’n’roll, on joue les
hits, tout le monde danse, tout le monde est content... En studio, je
vais te défier, tu dois décider, tu vois, si tu seras
toujours cool après avoir acheté le disque ! Ah ah ah ah
! Ouais, la confrontation pour nous est dans le magasin de disques, pas
sur scène.
D.I : C’est pour ça que vous avez sorti autant de 45 tours ?
M. : Oui, mais aussi parce que j’aime les
singles. J’aime faire des 45 tours. C’est plus facile
d’abord, c’est moins cher et tout ça... Je pense
personnellement qu’avec un single, tu en as plus pour ton argent.
Sur un simple, tu dois te concentrer sur le fait de graver des morceaux
que les gens achèteront. Sur un album tu peux faire deux ou
trois chansons que les gens voudront et le reste peut être nul.
Tu n’as pas cette opportunité avec un 45 tours, tout doit
être bon. Ça t’oblige à être bon.
D.I : Et sur un CD, on n'a besoin que d’un seul bon morceau, le premier...
M. : Ouais ! Ah ah ah ! Je déteste les CD
parce que tout le monde pense que maintenant que tu as
soixante-quinze minutes sur un CD, tu dois faire un disque de
soixante-quinze minutes ! Et tu sais qu’il y aura des trucs nuls
! Personne n’est bon pendant soixante-quinze minutes ! Même
les Who n’étaient pas bons pendant soixante-quinze minutes
d’affilée. Ah ah ah ah !
D.I : En concert peut-être ?
M. : Yeah, peut-être en concert...
Troy Gregory débarque dans les loges et
balance une vanne qui provoque une nouvelle crise
d’hilarité chez Mick...
D.I : C’étaient de longs morceaux aussi...
M. : Ouais, ouais, tu vois, les singles c’est
chouette parce que tu en as pour cinq minutes, et j’ai une
attention plutôt volatile, après trente minutes de
n’importe quoi, je suis prêt à passer à autre
chose... Est-ce qu’ils ont fini ?
On n’entend plus le groupe de première
partie, Mick qui doit enchaîner aux platines tend
l’oreille... Le barouf reprend. Ouf, on a un petit délai...
D.I : A propos de la compil que vous venez de
sortir, où avez-vous déniché le morceau de cet
Allemand, Hubert Kah ?
M. : Yeah, ha ha ! Les Dirtbombs étaient aux
Pays-Bas en 1997, on est allé faire du shoping dans les magasins
de disques et j’ai vu cet album, il avait l’air
intéressant, c’est tout, c’est la seule raison pour
laquelle je l’ai acheté. Il avait juste l’air
plutôt cool. Il y a une photo hideuse d’Hubert sur la
couverture, eh eh, comme si elle était dessinée à
main levée. C’est en noir et blanc, et les seules couleurs
sont le bleu clair et le rose clair. C’était très
new-wave, je me suis dit ça peut être vraiment cool ou
vraiment horrible, et ça valait... C’'était quoi
déjà la monnaie là-bas ? Le gulden...
c’était huit guldens, quelque chose comme deux dollars et
demi, et je me suis dit ‘allez je l’achète,
ça va être marrant’, je l’ai ramené
à la maison et il était OK. Je l’ai rangé
dans un coin et je n’y ai plus pensé pendant des
années. Quand on nous a demandé de faire ce disque et de
chanter en allemand, j’ai pensé ‘Hé,
j’ai ce disque quelque part !’ C’était la
seule raison, j’avais ce disque depuis des années dans ma
collection.
D.I : Et tu ne sais toujours pas de quoi ça parle ?
M. : Pas la moindre idée. Ils m’ont dit
que c’était à propos de se trouver une fille et de
sortir pour aller danser. Parfait ! Tant que je ne chante pas que je
suis en train d’embrasser des mecs ou quelque chose comme
ça ! Je capte certaines bribes, j’ai étudié
les langues à l’école, puis comme hobby, et je peux
en lire une partie. Ça a l’air OK, j’aime la
chanson, le reste du groupe aimait la chanson aussi. On l’a
jouée live une fois ou deux récemment. En fait
j’arrive pas à me rappeler des paroles, je les invente au
fur et à mesure, ah ah ah ah ! J’invente deux ou trois
trucs et j’essaie de ne pas dire ‘Scheisse’ trop
souvent !
D.I : Et la reprise de Soft Cell ? Je ne connais pas l’original à vrai dire...
M. : Ah ah ah ah !
D.I : ...ça sonne un peu comme “Tainted Love”, non ?
M. : Ouais, un peu... “Tainted Love”
n’était pas d’eux, c’était une reprise,
celui qu’on fait est un de leurs originaux. Je voulais juste...
Je ne sais pas vraiment trop quoi dire là-dessus. J’ai
pensé OK, il y a tous ces fans de garage punk qui vont nous voir
jouer un morceau de Soft Cell, ils vont hurler “Seigneur,
c’est pas un groupe garage punk ! Ils sont nazes, allons voir
ailleurs !” Non, tu vois, je pensais juste que ce serait marrant
de voir ce qui arriverait, je voulais juste voir les réactions
à nouveau, c’est la confrontation. Je voulais voir les
réactions de tout le monde si on faisait une cover de Soft Cell.
Hé bien les gens pensent toujours qu’on est un groupe de
garage punk, donc... Eh eh eh ! Je ne sais plus quoi faire maintenant !
D.I : Quoi faire de pire !?
M. : Exactement ! Qu’est-ce qui reste ? J’ai fait une reprise de Soft Cell !
D.I : Et des Bee Gees aussi !
M. : Yeah, on a fait ça, ah ah ah ah !
D.I : On a passé l’original de “I
Started A Joke” sur notre show radio, et dans la foulée un
auditeur a envoyé un e-mail vengeur : “Qu’est-ce que
c’est que ce truc pop sixties immonde ?” (salut Dr Crock !)
M. : Hihihihihihi !
D.I : Donc ça doit marcher quand vous essayez de défier le public !
M. : Oui, j’essaie toujours. Avec plus ou moins de succès.
D.I : Comme votre chanson “They Hate Us In Scandinavia”...
M. : Et bien, c’était le cas. Ah ah ah
ah ! Qu’est-ce que je peux dire là-dessus ! Ils nous
détestaient ! C’est pourquoi la chanson a
été écrite !
D.I : Des nouvelles du zine suédois qui avait descendu votre premier album ?
M. : Hum, je crois qu’ils ont coulé. J’ai gagné ! Eh eh eh eh eh !
D.I : Des projets ? L’album bubblegum des Dirtbombs ?
M. : Je pense que les Dirtbombs vont faire des 45
tours pendant une année à peu près. Juste des
singles, peut-être un par mois ou quelque chose comme ça.
Tant qu’on peut en faire... On nous en a déjà
demandés cinq au moins, et il y en aura d’autres. Et
j’ai un autre groupe appelé Man Ray Man Ray
(c’était déjà le nom de son projet solo au
début des Gories en 1986 - nda), on va enregistrer un album. Et
il y a le nouveau disque des Voltaire Brothers sur lequel on a
commencé à travailler, et probablement un ou plusieurs
33t techno. J’en ai un qui arrive, lorsqu’il sera enfin
mixé. Mais je vais probablement en faire d’autres.
C’est de la dance music, j’aime faire ça, je me fous
de ce que quiconque en pense, pour moi c’est tout de la dance.
Les Dirtbombs et, tu vois, Mayday, c’est la même chose pour
moi. (Derrick May, alias Mayday, est un DJ black de Detroit à
l’origine de la techno au début des années 80. Par
ailleurs Mick a déjà gravé un single de house en
88 - nda)
D.I : Peut-être que les disques techno ça va être un peu rude pour nous, mais bon...
M. : Ah ah ah ah ! Le truc à ce propos,
c’est que si je fais un disque techno et que les garage punkers
l’aiment, je me suis planté. Je ne le fais pas pour les
garage punkers, je le fais pour les fans de techno. Eh eh eh ! Donc
s’il se trouve que tu ne l’aimes pas, c’est OK ! Ah
ah ah !
D.I : Et si on l’aime ?
M. : Si vous l’aimez, c’est génial !
D.I : Parce qu’on est fans, on accepte n’importe quoi ?
M. : Ça, ce serait idiot ! Wouahahaha ! Je ne
sais pas si j’ai vraiment beaucoup de fans de ce genre, on verra
bien quand les disques techno sortiront, si les gens
m’apprécient toujours. En fait, j’ai écrit
une nouvelle, et quelqu’un à New York m’a dit avant
un concert qu’il venait d’acheter le bouquin, et je lui ai
répondu ‘Je ne te verrai probablement plus jamais à
un concert, tu ne viendras plus jamais me voir après avoir lu
ça !’ (Il a déjà publié plusieurs
textes dans des anthologies de SF et de fantasy
“anthropomorphique”, un sous-genre qui met en scène
des animaux, mutants génétiques, aliens ou monstres - une
de ses vieilles obsessions, voir la pochette du premier Dirtbombs -
nda). Yeah, enfin, tu vois, je ne sais même pas si j’ai un
noyau de fans qui aiment tout ce que je fais. Je sais que certains
aiment ça ou ça, ou plutôt ça... Je fais des
disques avant tout pour moi-même, mais je sais qu’il y a
pas mal de gens qui les apprécient... S’il y avait des
gens qui aiment tout, ce serait fantastique, mais je ne crois pas
qu’ils existent réellement !
D.I : Y a-t-il une question que j’aurais oublié de poser ?
M. : Eh eh eh ! Well, je ne sais pas, je ne fais
jamais d’interview dans l’idée de faire de grandes
déclarations de principe. Je ne suis pas du genre à
pontifier ou à prêcher à qui que ce soit.
C’est comme quand on me demande si j’ai quelque chose
à rajouter. Je ne sais pas, je n’ai pensé à
rien de particulier !
D.I : Tu nous a raconté le moment le plus
embarrassant de ta vie, quel est ton pire souvenir sur scène ?
M. : Je me suis pris le micro dans la bouche en
Allemagne pendant la dernière tournée. Ça
m’a ouvert la lèvre.
Troy Gregory : Et la fois où t'as perdu tes
deux paires de lunettes. D’abord les lunettes de soleil, qui se
sont cassées...
M. : Et pour le rappel j’ai mis mes lunettes de vue, et elles sont tombées aussi...
T. : T'as perdu un des verres...
M. : Ouais ! Ah ah ah !
T. : ...et il est tombé de mon
côté de la scène et j’ai réussi
à l’attraper (il mime les contorsions du musicos qui
ramasse un truc sans lâcher son instrument - nda).
M. : Il essayait de jouer avec mon carreau à la main !
T. : Jusqu’à la fin du morceau, j’ai pas eu le temps de lui faire passer !
M. : Ouais, c’était OK, ce sont des
verres en plastique à l’épreuve des balles ! Il ne
se serait pas cassé. C’était pas du vrai verre
heureusement ! Ça fait longtemps que j’ai
arrêté d’en porter...
Troy narre alors avec son débit mitraillette
la fois où la guitare de Mick a valsé entre les deux
batteurs avant de s’écraser sur un mur. Mick surveille ce
qui se passe en haut, c’est le dernier morceau...
D.I : A la fin de votre premier concert à
Toulouse, Ben a balancé sa cymbale sur Pat ! Tu t’en
souviens ?
M. : Ah ah ah ah ! Je pense que Pat doit s’en
rappeler ! Oh, ça y est, je crois qu’ils ont fini
là-haut...
T. : Et la fois où Ben s’est
envolé pour me retomber dessus ! Je jouais avec cette basse
blanche que j’avais empruntée, vraiment fragile, et il
m’a sauté sur le dos, et j’étais là en
train de tituber (il mime la scène bien sûr - nda). Et je
gueulais : ‘N’abîme pas la basse !
N’abîme pas la basse !’. Et j’ai fini par
balancer Ben dans le public !
M. : Hihihihihi ! Je me souviens de ça ! Bon,
je dois y aller, il va y avoir plein de disques français ce soir
!
En remontant, Troy commente la prestation du groupe
de première partie (dont j’ai oublié le nom
à vrai dire) : “Oh, c’était pas mal au
début, ça ressemblait un peu à Roxy Music.”
Décidément... Puis il fonce se préparer pour le
show des Stepsisters. Pendant ce temps là, Mick enchaîne
Benny Gordini et Nino Ferrer sur les platines ! Plus tard il viendra
nous montrer fièrement la pochette du Benny Gordini With The
Teen Axel Arkestra sur B-Soul ! Avant de se lancer dans un mix de soul
vintage et de techno débridée, en passant par Gary
Glitter et Steppenwolf. Et bien sûr, il a dansé avec les
filles jusqu’au bout de la nuit...
S. C.
Après Mick Collins, nous revoilà face
à Dan Kroha, son ancien complice au sein des Gories. Il
n’a pas beaucoup changé, toujours cette allure lunaire et
ce regard perçant et magnétique. Et Margaret est toujours
aussi sexy et survoltée. On est chez elle, une jolie baraque,
pas loin de chez Noelle, dans le style typique du coin, avec son
porche, sa pelouse, et ses panneaux imitation bois, à part
qu’elle est ornée de superbes guirlandes lumineuses. Elle
se l’est payée après une intense et fructueuse
carrière de gogo girl. Des aboiements enragés nous ont
accueillis, on s’est reculé pour parer l’attaque du
molosse. En fait c’est une sorte de bouledogue miniature, un
carlin finalement très affectueux nommé Benny, qui vient
se vautrer sur Nathalie, à peine installés sur le
canapé.
Quand Dan s’était pointé
à la salle FMR avec les Gories accompagné de Margaret, on
avait bien senti que ça chauffait entre elle et la batteuse Peg.
On connaît la suite. Les Gories ont splitté peu
après. Dan, Margaret et sa soeur Christine ont fondé les
Demolition Doll Rods, un des gangs fétiches du Dig It! staff. On
les a interviewés il y a une paye, on a vanté leurs trois
albums Tasty (In The Red, 1996), TLA (Matador, 1999) et On (Swami,
2004). Il était temps de faire le point. Un entretien
drôlatique et débridé avec deux vraies âmes
rock’n’roll, et une dernière évocation
nostalgique, douce-amère et passionnée de Detroit.
GORIES
D.I : Est-ce que vous vous souvenez de votre premier passage à Toulouse, avec les Gories ?
Margaret : (Après un petit silence) He he
he... On essaie de se rappeler quelle ville peut bien être
Toulouse... Est-ce que c’était celle avec Betty Page sur
le tract ?
D.I : Houla, je me rappelle plus du tract !
M. : Je me souviens des shows des Gories.
Dan : Quel était le nom de l’endroit ?
D.I : C’était à la salle FMR, et le concert a été interrompu par la police.
M. : Par la police ?
D. : Je me rappelle vaguement de ça, mais pas en détail, désolé.
M. : Et c’était bien ?
D.I : Ouais ! Mais trop court !
D. : Combien de temps on a joué ?
D.I : Une demi-heure, quarante minutes maximum, puis les flics ont arrêté le show.
D. : Et c’était grand comment ?
D.I : Assez grand... Il y avait la salle de concert
en haut, la radio et le bar en bas. On vous a interviewés en
direct à la radio. Et Margaret était là aussi.
D. : Vous nous avez interviewés ? On devrait
vraiment s’en rappeler ! Il y a pas mal de choses dont je me
souviens de cette tournée.
M. : Je me souviens de la fois où on a mangé du porc et des haricots.
D. : On a joué dans ce club en France et le
patron nous a servi des haricots et des saucisses de Francfort.
M. : Direct de la boîte de conserve.
D. : Direct de la boîte ! Et tous les Gories
étaient assis à cette longue table avec sa famille, sa
femme et ses enfants, et on a tous bouffé des haricots et des
saucisses, et c’est tout.
M. : C’était tellement bizarre !
D. : Je me souviens qu’il y avait des flippers dans son club...
M. : Des miroirs partout...
D. : Les murs étincelaient, c’était une grande salle, je ne me rappelle plus de la ville.
M. : Je me souviens d’un très gros show
en France, où il y avait ces deux énormes baffles de
chaque côté de la scène, et j’ai dû me
cacher derrière, sinon Peg n’aurait pas joué.
D. : Ça, je m’en souviens.
M. : Et elle m’a jeté une cigarette
dessus mais elle m’a loupé. Est-ce que
c’était en Hollande ?
D. : Ça c’était en Autriche je crois. En France, je me rappelle de l’Ubu.
M. : Ouais, ça s’est passé là !
D. : Ah, c’était là ? Elle a
jeté beaucoup de cigarettes sur cette tournée. Je me
souviens que tu devais te cacher parce qu’elle devenait dingue
quand tu te mettais à danser.
M. : Qui était cette fille qui voulait
censurer les pochettes de disques, cette femme d’un ponte
politique...
D. : Oh, Tipper Gore.
M. : Ouais. Peg était la Tipper Gore du
rock’n’roll ! Si tu ne te tenais pas correctement à
un concert rock’n’roll, elle te rentrait dedans. Il fallait
siroter sa bière, pas la vider.
D. : Quoi ? Siroter sa bière !? En fait,
Margaret avait l’habitude d’ôter son tee-shirt et de
danser en soutien-gorge, Margaret montait sur scène et elle
tournoyait pendant qu’on jouait et Peg n’aimait pas
ça du tout, vraiment pas. Margaret se lâchait aux concerts
des Gories et elle entraînait le public, parce que quand on
jouait à cette époque les gens ne savaient absolument pas
qui on était, ce qu’on était, et ils regardaient
autour d’eux en se disant, qu’est-ce que c’est,
j’ai l’impression que c’est plutôt cool mais je
ne suis pas vraiment sûr, je ne sais pas trop ce que c’est.
Margaret était en train de danser, de devenir dingue, en train
de se secouer et de se déshabiller, et les gens étaient
là : Wow, allons-y ! C’est cool ! Elle faisait vraiment
délirer le public, mais en même temps parfois elle montait
sur scène, elle faisait tous ces trucs sauvages, elle
s’agitait entre nos jambes et Peg n’aimait pas ça du
tout, pas du tout. Alors quand Margaret commençait à
danser, Peg lui lançait des regards venimeux : tu ferais mieux
de ne pas trop péter les plombs, sinon... Ce genre de choses...
Je ne sais pas pourquoi j’ai oublié ce concert à
Toulouse, parce que Mick lui s’en souvient.
D.I : Il nous a dit qu’il avait
vécu ce jour là le moment le plus embarrassant de sa vie
! Quand on vous a demandé de quelle couleur étaient vos
sous-vêtements !
D. : Je crois que ça me dit quelque chose !
D.I : D’ailleurs Margaret, tu en as profité pour nous montrer les tiens !
M. : Ah, ah ! Je te crois mais je ne m’en souviens plus.
D.I : Et Mick avait un slip
bleu-blanc-rouge, il a trouvé ça très embarrassant
!
M. : Ça, j’ai du mal à le croire !
FORTUNE
D.I : La dernière fois qu’on vous a
vus, c’était en octobre 2004, à Toulouse, avec les
Buff Medways et les Magnetix...
M. : Ouais, c’était très fun...
D. : C’était très cool de jouer
avec ces mecs et de rencontrer Billy Childish. Je ne l’avais
jamais croisé avant. En 1992, il m’a envoyé une
carte postale, enfin il a envoyé une carte à
l’adresse indiquée sur le disque des Gories,
c’était là que j’habitais à
l’époque. Il adorait les Gories, ce qui voulait dire
beaucoup pour moi parce que j’aimais vraiment
énormément les Mighty Caesars. Je ne pense pas
qu’il ait fait ça pour beaucoup de gens. Je ne le vois pas
en train d’envoyer des tonnes de cartes postales ! Ah, ah !
J’avais vraiment apprécié, et j’étais
très excité de le rencontrer. Et il semblait...
M. : Il semblait tout aussi excité !
D. : C’était un très bon
concert, les groupes à l’affiche étaient bons et le
public excellent.
D.I : Que s’est-il passé depuis pour les Doll Rods ?
D. : On a enregistré un album. On a tourné aux Etats-Unis, et au Canada...
M. : On a fait deux DVD.
D. : On a compilé un DVD de vieux concerts.
M. : Des chansons jamais sorties.
D. : Toutes inédites. Des morceaux
qu’on joue sur scène mais qui n’ont jamais
été enregistrés.
M. : Et on en a sorti un autre, lui aussi
enregistré live, dans les ruines du studio Fortune. Qui
n’est plus là maintenant. Je rentrais à la maison
quand j’ai vu ce grand D... Sur les bâtiments qui vont
être détruits, ils peignent un grand D. J’ai
appelé Dan : merde, ils vont démolir le bâtiment
Fortune, on devrait y aller et enregistrer, maintenant ! Je leur ai dit
de choisir des morceaux, et on les a tous appris sur le champ
là-bas dans les ruines. Tu as joué sur un Boom Box, non ?
Et moi sur un ampli jouet Barbie Star, parce qu’il n’y
avait pas d’électricité. Christine avait
amené sa batterie, on enregistrait, et la police a
débarqué. Et je leur ai dit : oh, merci
d’être venus, on est si content de vous voir ! Ils
étaient venus pour nous dire d’arrêter. Mais je leur
ai dit : venez, entrez ! Ils étaient là : bon,
d’accord, on vient juste voir si tout est OK. Oui, tout va bien,
on s’éclate ! Et ensuite ils sont revenus en pleine nuit.
D. : On était toujours là.
M. : On était toujours en train de bosser !
Et il faisait noir ! J’arrêtais pas de dire qu’il y
avait une panne d’électricité, mais
c’était juste qu’il faisait sombre dehors. Il
fallait qu’on finisse mais on n’avait pas beaucoup de
lumière, il n’y avait que l’éclairage de la
rue. Ce n’était pas assez, alors je leur ai demandé
s’ils voulaient bien nous aider et braquer leurs gros phares sur
nous !
D. : Et ils l’ont fait.
M. : Et ils l’ont fait ! C’était très cool !
On l’a finalement sorti. J’en suis très
fière, c’est vraiment fantastique. Parce que beaucoup de
gens sont allés là-bas, ils se sont fait prendre en photo
devant le bâtiment, et ils se disent, oh, je suis trop cool, je
suis allé à Fortune Rds. Mais ils ne connaissent pas ne
serait-ce qu’une chanson enregistrée là-bas.
D. : Certains si.
M. : Certains peut-être, mais beaucoup je ne
sais pas. Et on connaît plein de gens qui ont travaillé
là-bas, enregistré là-bas, donc on y est juste
allé et on l’a fait. J’en suis très
fière parce que si nous ne pouvions pas faire un disque Fortune,
c’est tout ce qu’on pouvait faire de plus proche. Et
maintenant il n’y a plus rien, ce n’est plus qu’une
parcelle vide. C’était important pour nous de faire
ça.
D. : Et c’est sur notre propre label.
M. : Ouais, on est sur Swami, mais on sort aussi des trucs de notre côté.
D. : Les DVD sont sur notre propre label.
PRO-CUL
D.I : P.R.O.A.S.S. Records...
M. : Professional Association of Super Sound.
C’est ce que je raconte à la banque à chaque fois,
ils me regardent bizarrement !
D. : Ouais, parce que c’est écrit PROASS sur nos chéquiers !
M. : Ouais... (elle prend une voix sirupeuse - nda)
Professional Association of Super Souuunnnd ! Pour ce que j’en ai
à faire ! On a fait aussi autre chose, j’essaie de me
souvenir... Oui, on est aussi passé au Sleaze Festival. Le jour
où on s’est vu, on venait juste de revenir, on
était arrivé la veille dans l’après-midi. On
était plutôt crevés parce qu’on avait
roulé sacrément longtemps. Et on a pas mal joué,
on a fait huit concerts d’affilée.
D.I : Comment ça s’est passé au Sleazefest ?
M. : C’était vraiment cool. Parce que
pas mal de gens râlaient, disaient que le Sleazefest
c’était plus ce que c’était. On avait
l’habitude de s’y précipiter des quatre coins du
pays, et je pense que c’est devenu moins gros, et les gens
n’étaient pas aussi excités, mais il y a eu ce buzz
autour du fait qu’on jouait là-bas. Nous, on était
très excités. On a joué en ouverture de deux
autres groupes de Detroit, tu vois, on est là depuis beaucoup
plus longtemps qu’eux, on envoie à mon avis un peu plus,
et on en a fait plus qu’eux, mais on se disait : génial,
on va ouvrir pour eux. Les gens nous ont dit : vous voulez qu’on
change l’ordre de passage ? On a dit : non, s’ils veulent
ouvrir, ils ouvrent, sinon ils vont devoir passer après nous. On
a monté un show comme celui avec Billy Childish multiplié
par dix. Et on a transformé ça en une grande fête,
on avait des danseurs dans des cages, je pensais que
c’était important de le faire à fond, parce que
tout le monde disait que ce n’était plus la fête
comme avant, et on a transformé ça en une énorme
fiesta. Je pense que c’était fun pour tous les groupes, ce
qui est cool. Plutôt que de faire un show rock’n’roll
classique... ce qui a toujours été le but des Doll Rods
de toute façon. Parce que quand tu vas à un concert
rock’n’roll, il faut que tu passes un super moment que tu
n’oublieras jamais. C’est ce qu’on a fait,
c’est bien.
DIDDLEY BOW
D.I : Vous pouvez en dire plus sur le nouvel album ?
D. (après un silence) : Que dire ?
M. : Ah, ah, ah ! Alors ?
D. : Il y a douze nouvelles chansons...
M. : Certaines a capella, certaines gospel...
D. : Ouais, ça devrait sortir en mars prochain...
M. : Il y a de jolis enregistrements primitifs là-dessus...
D. : Des chansons plus primitives...
M. : Oui, une des chansons originales a
été écrite au tout début du groupe et on
l’avait oubliée. Et Dan joue du Diddley Bow.
D. : Oui, je joue un peu de Diddley Bow, la guitare
à une corde, sur un morceau. J’ai aussi utilisé un
jouet pour gamin, un xylophone, sur un morceau.
M. : Il sonne si bien !
D.I : Des reprises ?
D. : Il y en a une d’Elvis...
M. : Tu l’as dit !
D. : ... mais on ne dira pas laquelle.
M. : Et quoi d’autre ?
D. : Il y a une cover de Danny Albert (Margaret se
fend la pêche - nda), qui était une sorte de chanteur soul.
M. : Je joue d’un instrument très
inhabituel sur celui-là, je ne pense pas que quiconque ait
déjà joué de cet instrument.
D. : Parce que ce n’est pas vraiment un instrument. He, hé, hé.
M. : Et ils m’ont fait jouer ce truc encore et
encore et encore jusqu’à ce qu’ils aient le son
qu’ils voulaient, et j’ai cru que mes bras allaient tomber
à terre.
D. : Mais tu ne vas pas dire ce que c’est...
M. : Non. C’est une surprise. On n’en dira pas plus.
BLOODSHOT BILL
D.I : OK. L’autre jour, Dan a joué avec
Bloodshot Bill, comment vous vous êtes rencontrés ?
D. : C’est Margaret qui l’a rencontré. Margaret a son show solo maintenant...
M. : Ah ouais, on s’est rencontré au...
D. : ...festival des One-Man-Band...
M. : ...à Chicago. Bob Log était en
tête d’affiche, j’ai ouvert pour lui. Il y avait ce
mec de La Nouvelle Orléans, j’arrive plus à me
souvenir de son nom... C’était fantastique, tous ces
one-man-band, et j’ai rencontré Bill, mais je n’ai
pas vu son concert. Il était si sympa, il m’a dit : je
peux te monter une tournée en solo jusqu’à
Montreal. Je lui ai dit : d’accord, j’y vais. Et on a
tourné tous les deux dans un van, parce que d’habitude il
ne joue que tout seul, l’autre jour il a accompagné Danny
uniquement parce que c’était mon anniversaire.
D’ailleurs, il était venu jouer chez ma mère un peu
plus tôt dans la journée. Parce que mes parents adorent ce
genre de musique. Ah mon Dieu, ils ont dansé, ils étaient
dingues, c’était vraiment, vraiment chouette. Parce que
juste avant, ma mère disait : oh, j’ai une double hernie,
je dois me faire opérer... bla bla bla... Après, yeah !
(elle se met à se secouer - nda) Une double hernie, mon cul !
Donc j’ai rencontré Bill à ce
festival, ensuite on a tourné jusqu’à Montreal, on
a monté un super show tous les soirs, qu’il y ait du monde
ou pas, on s’est bien marré, ensuite le van a
commencé à se déglinguer. Pour le démarrer,
tous les jours, il devait ramper dessous et frapper sur le starter avec
un marteau pendant que je mettais les gaz ! Et on a fait ce petit
manège, mais Bill m’a dit : Margaret, tu ne peux pas
rentrer à la maison, tu vas être obligée
d’éteindre le moteur, tu en as pour dix heures - il avait
l’habitude du camion - tu vas devoir faire le plein... il faut
changer ce starter. Et il n’est pas mécanicien, moi non
plus, et on n’avait pas d’outils. On est allé dans
un garage, ils nous ont vendu la pièce, ils nous ont
prêté tous les outils et on l’a changée
ensemble. Lui il a tout dévissé et moi j’ai mis les
trucs dedans, je n’arrivais pas à dévisser,
j’ai essayé, il a tout dévissé parce
qu’il sentait à quel point j’avais envie de changer
ce starter ! Il y avait de la graisse partout, j’étais
recouverte de cambouis et de saletés. Mais j’étais
si heureuse, j’avais fait ma première tournée solo
par moi-même avec Bill, j’avais changé le starter.
Je me suis fait arrêter à la frontière, je leur ai
dit : j’ai changé le starter, vous pouvez vérifier
le van, il n’y a rien... mais j’ai changé le starter
! C’était vraiment un bon moment, c’était
archi-comble à Montreal. C’était fun. Et on est
amis depuis. Il a pas mal roulé sa bosse, il a tourné en
Europe pour la première fois cette année.
D.I : Oui, avec King Automatic, un one-man-band français...
M. : C’est ça... Mais comment s’appelait ce gars de La Nouvelle Orléans ?
D. : King Louie.
M. : Ouais, c’est ça, King Louie était à Chicago aussi.
D.I : On dirait qu’il y a toujours plus de one-man-bands partout...
M. : Oui, ça devient vraiment populaire.
D. : C’est très tendance !
M. : Je pense que je suis la seule fille, je ne
crois pas qu’il y en ait d’autres. Je ne sais pas.
J’ai pas vu d’autres filles le faire. Mais c’est le
pied, c’est sûr.
JOHN LEE HOOKER
D.I : Et toi Dan, tu as pensé à faire quelque chose en solo ?
D. : J’ai fait un concert en solo cet été...
M. : Au Soul Food Taste Festival...
D. : Un gros festival au centre-ville. Mais je ne
joue pas d’autre instrument que la guitare à mes concerts,
je joue juste de la guitare et je chante. Je joue en acoustique
essentiellement, mais parfois je prends l’électrique.
Margaret m’a accompagné sur quelques morceaux, où
elle a fait du finger picking sur une gratte acoustique et j’ai
gardé la guitare électrique. Et j’ai joué du
Diddley Bow. J’ai fait deux shows en solo en fait. Sur le
premier, j’ai joué de la guitare et j’avais un
harmonica. Mais ce n’est pas vraiment comme un one-man-band.
D.I : C’est plus comme un bluesman...
D. : Oui, mais il y a une certaine variété, je joue du blues, mais aussi...
M. : Tu as joué un morceau brésilien.
D. : Oui, je chante un morceau en portugais
écrit par Rita Lee, qui était dans Os Mutantes. Je joue
un morceau de Bobbie Gentry (célèbre pour “Ode To
Billie Joe” - nda), une chanson des New York Dolls à la
guitare acoustique...
D.I : Laquelle ?
D. : “Looking For A Kiss”.
M. : Et c’était bon, vraiment.
D. : J’en joue une de Johnny Thunders,
“I’m A Boy, I’m A Girl”. A la guitare
acoustique aussi. Tu vois, des trucs comme ça. Et aussi de vieux
blues traditionnels. Je fais du finger picking... (Benny se remet
soudain à grogner et à japper comme un enragé,
Margaret s’éclipse pour calmer la bête à coup
de croquettes - nda) Je travaille en open tuning, tous ces vieux
trucs...
D.I : Tu es resté fidèle à tes vieilles racines blues depuis les Gories...
D. : Oui, j’adore toujours autant ça,
si ce n’est plus. Et j’en ai tellement appris sur la
façon de jouer cette musique depuis les débuts des
Gories. Quand j’étais dans les Gories, je
n’imaginais pas que je pourrais un jour jouer ce que je sais
jouer aujourd’hui. Je veux dire, je rêvais d’y
arriver, j’espérais y arriver, mais les open tunings
étaient un complet mystère pour moi à cette
époque. Et même avec John Lee Hooker... Sur “Boogie
Chillen”, il a fallu à la fois Mick et moi pour jouer ce
qui était fait à l’origine par une seule personne,
J. L. Hooker. Il a fallu qu’on soit deux pour y arriver.
Maintenant je peux jouer cette chanson en open tuning et je sais
comment il a fait, mais à l’époque je n’en
savais foutre rien, j’écoutais John Lee Hooker et je
n’avais pas la moindre idée de la façon dont il
produisait ces sons. Et maintenant je peux m’asseoir avec le
disque, ma guitare accordée en “open D”, disons,
avec le capo... Un truc qui est dingue à propos de John Lee
Hooker, c’est qu’il puisse jouer avec une telle
variété de tonalités. Beaucoup de bluesman ne
jouent que sur une ou deux tonalités, trois au mieux,
peut-être un Mi, un La et un Sol, quelque chose comme ça.
John Lee Hooker, ça part dans tous les sens, c’est dingue,
chaque morceau est dans une série différente de
tonalités... Je peux donc m’asseoir avec le capo et jouer
par-dessus le disque, garder ce groove et rentrer dedans.
J’étudie ça de plus en plus.
M. : Mais qu’importe le temps que tu passes
à étudier le style de quelqu’un d’autre, tu
auras toujours ton propre son.
D. : Oui, je pense. Le truc c’est que quand je
joue une chanson, je ne peux pas vraiment la jouer comme
quelqu’un d’autre, et avant, c’était ce que je
voulais, mais maintenant j’en suis venu à aimer ma propre
façon de l’interpréter.
M. : Et si on va dans un magasin de guitares et que
je ne sais pas où il est, je pourrai toujours le trouver si je
l’entends, parce que tout le monde sonne pareil, mais Dan, il a
son propre son.
SIRENS
D.I : Et maintenant, il y a la soeur de Dan, Muffy, qui chante aussi...
D. : Yeah...
D.I : Avec les Sirens...
D. : Yeah...
D.I : Avec un costume différent tous les soirs, un peu comme les Doll Rods...
D. : Yeah ! Ah, ah ah !
D.I : Et ?
M. : Et ? Ah, ah, ah !
D. : Je ne sais pas quoi dire là-dessus... Je
ne sais pas quoi dire... Je veux dire, si elle s’éclate,
c’est super. On dirait qu’elle aime ça, donc
c’est cool pour moi. En fait... je dirais qu’elle a
toujours eu de bons goûts musicaux, je peux dire ça
à son sujet, et elle a toujours été une bonne
chanteuse, même si je ne l’ai jamais vraiment
imaginée comme une chanteuse rock’n’roll...
M. : Elle a toujours aimé les ballades au
piano, elle adorait aller dans ces “piano bars”, et elle
chantait toutes ces chansons accompagnée au piano.
D. : Elle avait cette, comment dire, cette ambition,
ou cette idée de chanter dans un bar à cocktails avec un
piano.
M. : C’était son truc. Maintenant elle
a cet autre truc. Et c’est assez différent de nous, parce
qu’on a toujours joué pratiquement nus, avec un petit truc
par ci par là, en espérant que les gens comprennent que
ça n’a rien à voir avec le costume, que c’est
une question d’âme. C’était toute
l’idée derrière le fait de jouer à
moitié déshabillés, une ligne directe vers un
moment de plaisir, parce que tu traites directement de
l’âme à l’âme. On sait qu’elle
s’est inspirée de nous, mais avec ces costumes et
uniquement des covers...
D. : Ça fait beaucoup de “couvertures” !
M. : Et on se demande : où est Muffy là-dedans ? Où est l’âme de Muffy ?
D. : On en a assez dit là-dessus. Ah, ah !
WHITE GODFATHER
D.I : D’accord... Pour en revenir aux Doll
Rods, on a été surpris de ne pas vous trouver sur la
compil Sympathetic Sounds Of Detroit, où il y avait tous ces
groupes produits par Jack White, sur Sympathy...
D. : Yeah, on n’était pas sur
celle-là. Jack m’a bien appelé, il m’a
demandé si on voulait en être, il voulait produire et
enregistrer tous les morceaux. Et on avait toujours produit et
enregistré nous-mêmes, et on voulait, je pense, continuer
à produire et enregistrer nous-mêmes...
M. : On avait un paquet de raisons, on venait juste
de finir deux très, très longues tournées. Et
j’ai eu... (elle se retourne et montre une cicatrice sur sa
colonne vertébrale - nda) ... là tu vois, il y a une
marque, c’est permanent, c’est arrivé sur cette
tournée européenne, juste avant de recevoir ce coup de
fil, et je ne pouvais quasiment plus bouger le bras, je ne pouvais
même pas porter mon sac pour aller aux toilettes, les nerfs
étaient touchés. Les disques vertébraux
étaient à la limite de la rupture. C’était
comme si les forces de l’univers s’étaient
liguées pour qu’on ne fasse pas partie de ça. Je
veux dire, que Dieu bénisse tout le monde et tout ce
qu’ils font, je suis tellement excitée par leur
succès, mais quelque chose m’a toujours dit que l’on
ne faisait pas vraiment partie de ça. On ne fait pas vraiment de
musique garage, on n’est pas vraiment un groupe garage, ce
n’est pas notre propos. On parle d’âme,
d’honnêteté, ça a toujours été
un sujet important pour nous, spécialement pour moi, la
pureté, la vérité... Je suis vraiment
excitée pour tous ceux qui ont du succès, je le suis
vraiment, du fond du coeur, mais pour les Doll Rods, tu peux avoir du
succès et garder ton âme, et être sincère
avec toi même comme avec tous les autres. Et à cette
époque... Meg... il y a quelque chose en Meg que j’aime
beaucoup, mais Jack, je ne le sens pas, je ne le sentais pas, et je ne
voulais pas y aller, et j’éprouvais beaucoup de douleurs
physiques, mais maintenant je suis assez reconnaissante de ne pas avoir
participé à ça. Il y a d’autres choses
qu’on a faites comme la compilation hommage au Gun Club et
j’ai adoré, j’ai aussi adoré travailler avec
Niagara. Pour moi il s’agit de travailler avec tes amis, et non
pas de laisser tes amis s’occuper de toi. Je pense que le talent
peut vraiment s’exprimer quand tu travailles avec tes amis, comme
pour l’album Silky. C’est probablement un des meilleurs
albums de tous les temps. On a vu Andre il n’y a pas si longtemps
et on était tellement heureux de se retrouver. On s’est
bagarré, on a eu des moments difficiles...
D. : Dans le passé...
M. : Dans le passé... Et cette fois, on
était si heureux de se revoir. Et c’est une chose que je
peux dire pour expliquer pourquoi Silky est si génial, personne
n’avait pour boulot de tout contrôler, je veux dire, tout
le monde devait travailler ensemble, pour pouvoir lui extirper ses
chansons avant qu’il ne soit trop bourré. Il fallait
vraiment travailler ensemble pour rendre cet album aussi magnifique, et
tout le monde l’a fait. C’est ce en quoi je crois. Je ne
sais pas, je ne crois tout simplement pas que quelqu’un soit
tellement meilleur que n’importe qui d’autre. Je pense que
tout le monde a un don, à offrir. Et je pense que quand
quelqu’un dit automatiquement je vais m’en occuper, je vais
tout faire, il ne va pas obtenir le don que chaque âme a à
partager. Mais, je veux dire, c’est comme ça que je vois
les choses avec le recul, parce qu’à
l’époque, même si je l’avais voulu, je
n’aurais pas pu jouer. J’aurais pu chanter, mais je ne
pouvais pas jouer, je ne pouvais même pas conduire.
BLACK GODFATHER
D.I : Que devient Andre Williams alors ?
M. : Il a un tout nouveau groupe.
D. : Oui, il vit à Chicago maintenant, et il
y a un gars là-bas qui s’est occupé de lui trouver
un groupe, c’est ce qu’on pourrait appeler son directeur
musical.
M. : Ils sont tous très jeunes.
D. : Il a engagé un nouveau groupe de mecs très jeunes et vraiment bons.
M. : Et ils ont une sacrée allure, des gamins au super look !
D. : Un organiste, un guitariste, un saxophone, un très bon batteur...
M. : Et l’orgue a un son incroyable...
D. : Ouais, un gros Hammond vintage...
M. : Le son était somptueux... Et Danny a
joué de la guitare solo avec eux sur scène, et je me suis
bien éclatée. Pas tout à fait aussi bon
qu’avec les Gories, mais c’était un bon moment.
Parce qu’on n’avait pas vu Andre depuis longtemps, et
beaucoup disaient : oh, mais on a déjà vu ça plus
d’une fois. Mais il était bon. Je l’ai
déjà vu dans des mauvais soirs. Et je serai
sûrement la première à lui secouer les puces,
ça a été mon job il y a longtemps, tu vois, Andre
avait l’habitude de m’appeler le Boss ! Mais là il
était bon. Ils étaient très bons.
D.I : Il a eu un tas de groupes différents.
D. : Ouais, et certains n’étaient pas aussi bons...
M. : Ils n’étaient pas aussi bons, et, tu
vois, j’aime les kids des Countdowns, j’aime Brian et tous
les autres, mais ce nouveau groupe, je ne connais pas leurs noms, mais
ils sont vraiment bons.
DETROIT SOUL
D.I : Tu parlais d’honnêteté tout
à l’heure, de l’âme... Quand vous êtes
passés à Toulouse, le moment où Dan a joué
ce vieux blues et que tu t’es mise à danser,
c’était vraiment magique...
M. : Quand j’étais petite ma
mère dansait à l’église, tout le monde
était très strict, mais c’était ma
mère, totalement dingue ! Et je pense que ton corps est un
instrument important, autant que n’importe quel instrument
musical dont tu peux jouer, je pense que le corps est un des
instruments les plus importants, et tout le monde en a un !
D.I : Quels sont vos groupes préférés de Detroit ?
D. : Les Stooges, définitivement. Tous ces
mecs ont été une grosse influence. Tu vois, je les
admire, disons, en tout : l’attitude, le jeu de guitare, les
vocaux...
M. : Des gens adorables...
D. : Je me sens privilégié
d’avoir pu les connaître un peu. J’aimerais
rencontrer James Williamson. J’adore tous les trucs Fortune bien
sûr, Nolan Strong...
M. : Je crois que c’est mon chanteur préféré...
D. : Et bien sûr le MC5, ces mecs
étaient givrés, tout le monde le sait, mais
c’était vraiment un grand groupe. Il y a aussi les
Hysteric Narcotics, un groupe oublié qui faisait du garage dans
les 80’s et qui le faisait très, très bien, un
groupe excellent. Ils ont aussi joué dans 3-D Invisibles, ou The
Zombie Surfers qui faisaient du surf, longtemps, longtemps avant que
ça revienne à la mode.
M. : Certains disent qu’ils ont démarré la scène ici.
D. : C’était génial, ils
étaient masqués, ils faisaient du surf dix ans avant le
revival. Ça a été une de nos inspirations. Sinon
à Detroit... Juste beaucoup de trucs Fortune en fait, car
Fortune était un label fantastique, il y avait tellement de
styles différents, il y avait du gospel, de la soul, du
doo-wop...
M. : Du hillbilly...
D. : Hillbilly, rockabilly... Notre ami Tony Fusco
qu’on aimait beaucoup et qui est mort l’année
dernière, a eu une grosse influence sur nous. Il ne jouait pas
d’instruments, mais il avait un tel amour et une telle passion
pour la musique, pour toute la musique de Detroit...
M. : Il y a des tas de trucs dont on n’aurait
jamais entendu parler sans lui. Et la plupart des gens n’en ont
jamais entendu parler, mais peut-être qu’en nous voyant
jouer ces vieux trucs, ou en voyant quelqu’un les jouer...
D. : S’asseoir et écouter un disque
avec lui, c’était quelque chose. Il le ressentait
tellement que c’était contagieux, tu pouvais ressentir la
musique à travers lui. Il m’a ouvert les yeux avec sa
passion.
M. : Et il n’y avait pas vraiment grand monde
qui se sentait concerné. Quand Nolan Strong est mort, sa famille
ne pouvait pas lui payer une pierre tombale. Il faisait quoi, vigile ou
quelque chose comme ça quand il est mort ? Tony a réuni
tout un tas de groupes pour faire la fête et payer à cet
homme une pierre tombale, pour qu’il ait au moins ça,
sinon il n’y aurait même pas eu d’inscription sur sa
tombe pour qu’on sache qui il était.
D. : Oui, c’est un mec de Detroit qui nous a
beaucoup inspirés même s’il ne jouait pas. Et il
aimait tout un tas de musiques différentes : punk, rockabilly,
hillbilly... le hillbilly du Sud que beaucoup de gens qui aiment le
rock’n’roll n’écouteraient probablement pas,
et tout le doo-wop, le vieux blues traditionnel...
M. : Une des choses les plus géniales
à propos de la musique, je pense, c’est qu’elle ne
vient pas d’une certaine ville, ça ne vient pas de
Detroit, ça ne vient pas de Chicago... C’est pas la ville
qui est importante. S’ils ne viennent pas de Detroit, et alors ?
Si tu penses comme ça, tu vas louper la musique que tout le
monde a à offrir. Andre par exemple, il est à fond dans
le mambo, et il a toujours infusé ça,
mélangé... C’est ce qu’était Detroit...
D. : Un melting-pot...
M. : Un melting pot de toutes ces différentes
sortes de musique. Et ils n’étaient pas nés ici,
tous ces gens fameux de Detroit.
D. : Non. Je ne savais même pas
jusqu’à il y a peu que tous les musiciens de la Motown
venaient du Sud. Ils étaient du Mississippi...
M. : Ils sont venus ici...
D. : De l’Alabama, de la Georgie, et toutes ces personnes sont montées ici pour bosser...
M. : Pour faire de l’argent dans les usines de voitures...
D. : Du Kentucky, du Tennessee, de tous ces états du sud... Il y avait ce riche mélange...
M. : Et des gens du monde entier sont venus ici pour une raison ou une autre.
D. : C’est comme si... Detroit n’est pas
Detroit, tellement de gens de tellement d’endroits
différents sont venus ici, et ce mélange unique, OK,
ça c’est Detroit. Mais beaucoup n’étaient pas
originaires d’ici. Beaucoup de ce qu’on appelle Detroit
vient du Mississippi, tu vois ?
M. : Et ce que ça a donné pour moi,
c’est la voix... C’est ce que j’admire. Je ne parle
pas d’un chanteur, c’est la voix de toutes sortes de gens
différents...
D. : Se rassemblant...
M. : Toutes sortes d’âmes différentes...
D. : Travaillant ensemble...
M. : Se rassemblant, travaillant ensemble pour faire
quelque chose de beau. Et ça, c’est la voix, que
j’admire, de Detroit. J’espère qu’elle
reviendra un jour.
D. : Detroit, c’est triste, mais ce
n’est plus que l’ombre de ce que ça a
été, vraiment, et c’est comme si on jouait dans les
ruines de ce qui a vraiment été grand un jour. Mais il y
a toujours de la beauté par endroits. Les ruines sont toujours
belles. Et les disques sont toujours là, tu vois.
M. : Je dois dire qu’il y a quelqu’un
qui vient de Detroit et que j’aime vraiment beaucoup, c’est
Suzy Quatro.
D. : Ah oui, oui...
M. : J’adore vraiment Suzy Quatro. Je
l’admire, je pense qu’elle est incroyable. Un jour je
conduisais Andre, j’avais cette très vieille bagnole,
j’avais un petit lecteur cassette à l’avant,
j’ai mis une cassette de Suzy Quatro, et il a complètement
fondu les plombs : (elle imite Andre qui braille - nda)
“Ça c’est une sacrée BAD ASS !” Il a
pété les plombs, il l’a adorée, il a dit que
c’était le truc le plus rock qu’il ait jamais
entendu ! Il était dingue de Suzy Quatro, il adorait...
J’étais là : wow, du calme ! Parce qu’il
était en train de danser ! Etre avec Andre dans une voiture
c’est quelque chose, il tapait du pied, il tournoyait dans tous
les sens, il était tellement excité ! Il disait : ELLE
EST INCROYABLE...
D.I : L’autre jour avec John, on a écouté les Pleasure Seekers, son groupe sixties...
M. : Danny m’a offert un très joli
poster en métal des Pleasure Seekers jouant dans...
D. : Un spectacle de Hot Rods, de voitures.
M. : Oui, c’était pour mon anniversaire il y a longtemps.
D. : Je l’ai trouvé dans les ruines d’une ancienne imprimerie.
DESTROY SOUL
D.I : Un des édifices détruits du centre ?
D. : Oui. Ils imprimaient des tracts et des
affiches, et c’était le master en métal avec lequel
ils imprimaient les tracts.
M. : Un des trucs aussi quand tu vis à
Detroit, c’est que lorsque tu vas dans ces bâtiments...
C’est tout ce que ça demande en fait, il suffit d’un
regard sur un poster ou une photo pour savoir que tu vis dans
l’ombre de quelque chose qui a été.
Qu’importe ce que disent les gens, j’ai vu ces
vidéos ou ce qui s’est écrit sur le People Mover.
C’est vraiment le truc le plus craignos de la ville...
D. : Ouais, le People Mover !
M. : C’est une blague, c’est la plus grosse blague de Detroit !
D. : C’est un piètre alibi pour des transports en commun, tu vois !
D.I : La ligne est toute petite...
M. : C’est minuscule, ça t’amène autour de quelques bars...
D. : Et bien sûr, ça a
coûté des millions de dollars, et le budget a
été largement, largement dépassé, il y a
tellement de corruption !
M. : Ça a été fait pour attirer
les cadres japonais de l’industrie automobile, c’est
vraiment ça. Leur petite boucle passe devant deux ou trois bars,
quelques restaurants, mais elle devait aussi passer devant la Joe Louis
Arena et d’autres salles, et il y avait toute cette section
qu’il fallait traverser pour boucler le circuit, qui était
complètement abandonnée, les immeubles étaient
à l’abandon. Alors ce qu’ils ont fait, c’est
qu’ils ont recouvert les fenêtres, et il les ont peintes
pour faire croire... qu’il y avait des gens à
l’intérieur ! Qu’il se passait quelque chose !
(grosse poilade générale ! - nda) Il y avait ces
façades de théâtre, et je pense que ça
représente bien ce que c’est vraiment, c’est un
show, une histoire imaginaire... Et je me dis : mais pourquoi ? Quand
tu as encore une chance, tu peux vraiment faire quelque chose de
réel... Une autre chose sur cette ville qui me stupéfie,
c’est qu’il y a eu Eminem, Kid Rock, les White Stripes, ils
marchent à fond, ils sont tous de Detroit... En fait je pense
qu’Eminem est le seul qui soit réellement de Detroit...
D. : Jack a grandi à Detroit...
M. : Je ne sais pas. Mais, qu’est-ce
qu’ils font pour Detroit ? Il y a tant de kids qui aiment leur
musique... Et ils sont si riches. Je me dis : est-ce que vous ne
pourriez pas donner une heure de votre temps à une école
publique pour enseigner la musique ? Si vous faites ça vous
aurez le plus fabuleux choeur dont vous puissiez rêver. Pourquoi
vous ne donnez pas à la ville un peu de vous-même
d’une façon ou d’une autre ? Un concert gratuit ?
C’est pas vraiment comme si nous on pouvait se le permettre, tu
vois, Danny doit bosser, moi j’ai dû en faire beaucoup,
vous les gars, vous en avez plein les poches, pourquoi ne pas donner
quelque chose qui pourrait transformer Detroit, comme un grand festival
de musique, une grande fiesta, ça pourrait faire de Detroit une
ville agréable à vivre. Pourquoi pas ?
8 MILE
D.I : Eminem a fait ce film, 8 Mile...
D. : Je l’ai trouvé bon.
M. : Oui, c’est un bon film. Et on se sent
connecté à ce film parce qu’on a eu un manager qui
était aussi le manager d’Eminem. Il ne faisait pas grand
chose pour nous, donc on l’a laissé partir. Mais je lui ai
demandé encore et encore et encore : est-ce que tu peux nous
faire entrer dans le Michigan Theater, je veux enregistrer
là-bas.
D. : C’est un vieux cinéma qu’ils ont transformé en parking.
M. : Les Stooges y sont passés...
D. : Metallic Ko y a été enregistré.
M. : Tous ces gens ont joué là-bas, et
on voulait y enregistrer, juste arriver en voiture, s’installer
dans le parking et jouer. Et je lui demandais : est-ce que tu peux nous
obtenir les autorisations ? Bien sûr, il n’a pas pu, mais
il a pu le faire pour Eminem ! Au moins, c’est une bonne chose,
de voir cet endroit utilisé comme ça, c’est cool.
D. : J’ai grandi à côté de
8 Mile Road, c’est mon coin. C’est marrant, quand ils ont
tourné ce film, ils ont pris différentes parties de
Detroit tout autour de la ville pour les assembler et faire croire
qu’elles étaient à côté. C’est
marrant de voir comment Hollywood fonctionne, parce que je connais si
bien la ville, et je vois comment ils ont pris différentes
pièces pour les assembler comme dans un puzzle, c’est une
sorte de vision fantastique de Detroit, tu vois, c’est comme si
tu faisais un rêve sur Detroit, ces différents endroits se
retrouveraient ensemble. Ils ont montré le Michigan Theater
comme s’il était à côté d’un
night club, ils sortent à pied du night-club et ils se
retrouvent soudainement dans le parking. Ces deux bâtiments ne
sont pas con-nectés bien sûr, ils ont fait ce genre de
choses pour construire ce puzzle fantasmagorique de Detroit.
M. : Et il y a ce restaurant
dans lequel ils rentrent dans le film, qui était toujours
fermé.
D. : C’est un vieux restaurant exotique...
M. : Et les portes é-taient tellement cool, je passais souvent en voiture devant.
D. : Il y avait une grande peinture sur le côté avec le nom, Chin Tiki...
M. : J’avais toujours voulu voir l’intérieur.
Le Michigan Theater, on y entre comme on veut, si tu dis que tu vas
voir un match de base ball, on te laisse te garer, j’y ai
amené mes amis plus d’une fois. Mais le Chin Tiki, on ne
pouvait pas y entrer. Et une nuit on est passé devant, et ce
mec, je ne sais pas pourquoi, il l’avait réouvert...
D. : Ils ont sûrement réouvert
l’endroit à cause de la notoriété acquise
grâce au film.
M. : Ouais, il nous a laissé entrer, se
balader à l’intérieur, il ne nous a même pas
prêté attention, il nous a laissé faire.
C’était cool, donc je pense qu’on est potes avec
Eminem maintenant !
ELECTRO
D.I : D’autres projets à part l’album ?
M. : On part en tournée aux Etats-Unis fin
octobre je crois, on fera un break pour les vacances. J’ai un
nouveau mini-album solo. L’an dernier je suis allée au
Brésil pour un mois et demi et je l’ai enregistré
là-bas, je vais essayer de sortir ça rapidement, et Dan
et moi avons un nouveau projet sur lequel on travaille appelé
Lil’ Miss Led And The Pussy Patrol. Ce n’est pas du tout
comme les Doll Rods, les gens ne savent pas vraiment que c’est
nous, on est déguisé, on porte des perruques...
D. : D’énormes perruques Afro...
M. : Des perruques géantes, on dirait
qu’elles sortent d’une poubelle ! J’en ai
montré une à Andre, il a adoré ! C’est de la
booty music...
D. : Il y a un côté électro,
j’utilise une drum-machine vraiment primitive, et j’envoie
des lignes de basse sur un vieux synthétiseur, et Margaret
rappe, chante et danse, je rappe et je chante aussi...
M. : La danse que vous avez vue, c’est
beaucoup de ça, mais de façon très
exagérée...
D. : De l’électro très primitive...
M. : On fait des trucs à la early Gilda
Radner façon Saturday Night Live. Tu vois à quel point
c’était ridicule, les premiers Saturday Night Live,
totalement débile ? C’est dans le même genre. Les
gens aiment bien.
D.I : Ça doit être un sacré spectacle !
M. : On a fait trois shows, et à deux
d’entre eux, les gens ont halluciné. Totalement
halluciné. Et on n’avait, je crois, que cinq chansons. Il
y a eu des rappels et on ne savait plus quoi jouer.
D. : On en a joué cinq, et une d’entre
elles à nouveau parce qu’on n’en connaissait pas
d’autres.
M. : On n’en connaissait pas d’autres !
C’était vraiment ridicule, et on a bien l’intention
de creuser l’affaire. Parce que Christine aime tourner mais pas
autant que Dan et moi. Alors on doit lui laisser un break parfois.
D. : Et elle n’est pas vraiment intéressée par un projet solo.
M. : Oh, non, non, pas du tout. C’est juste... Christine.
CHRISTINE SIXTEEN
D.I : Elle est importante dans le son des Doll Rods...
D. : Oui, très...
M. : Oh, elle est incroyable. On le lui dit tout le temps.
D. : Elle a une super voix aussi.
M. : Bloodshot Bill nous a dit : pourquoi vous
ne laissez pas Christine chanter ? On supplie, on la supplie, on la
supplie tout le temps de chanter ! Aujourd’hui c’est la
première fois qu’elle chante à une
répétition.
D. : La première fois qu’elle chante et
qu’elle joue de la batterie en même temps.
C’était un moment capital ! Aujourd’hui c’est
arrivé, donc on espère que ça ira plus loin.
M. : Elle a une voix cool !
D. : Oui, vraiment, et ça ajoute tellement au groupe quand elle chante en plus, tu vois...
M. : Elle chante déjà une chanson...
D. : Ça le rend plus puissant, tu vois ?
M. : Et ceux qui l’ont entendue demandent
à ce qu’on la laisse chanter plus souvent. On la supplie !
Yeah, aujourd’hui elle a chanté. On enregistrait un
nouveau morceau, et à un moment y’en a un qui voulait ce
genre de feeling, et un autre qui voulait ce genre là, et
j’arrange, j’essaie de mettre ça au point, OK, je
prends toutes les idées, et Christine dit qu’elle voudrait
avoir un feeling plus Kiss, quelque chose comme ça. Et on
était là : vraiment ? Mais le batteur de Kiss, lui, il
chantait ! Ah, ah, ah !
MOVIES
D.I : Des films ou des bouquins à recommander ?
M. : Ah, ah, ah, ah !
D. : Hum, j’aime beaucoup de vieux
films. J’ai acheté un coffret DVD de tous les Little
Rascals, tu connais ces comédies des années 20 et 30,
avec Spanky, Alfalfa, Buckweed... Jamais entendu parler ? Oui,
j’aime surtout les vieux films...
D.I : Rien de récent ?
D. : Je pourrais te citer beaucoup de films
récents merdiques ! Je ne sais pas si je pourrais t’en
citer des bons !
M. : J’ai regardé Pumpkin l’autre
jour, et j’ai bien aimé cette histoire d’une jolie
fille qui tombe amoureuse d’un garçon handicapé
mental, et je me sentais complètement en phase avec le
garçon attardé. Les autres me voient comme une
espèce de sex-symbol, mais souvent le monde me paraît
confus, et si je trouve que quelqu’un est mignon je trippe
à fond ! Je me suis vraiment sentie comme Pumpkin, je me suis
dit : Yeah, une jolie fille qui tombe amoureuse d’un
garçon attardé, WAOUUUH !
D. : J’ai découvert pas mal de films
des années trente et quarante, je pense que c’est mon
époque préférée. Il y a cette chaîne
cablée...
M. : Turner Classic Movies !
D. : TCM, ils ne passent que ça.
M. : Je ne regarde pas tant de films que ça
pour être honnête. Et j’ai juste commencé
à lire cette année... Oui, je suis tellement
occupée, à lâcher la bride à mon
imagination, que je ne me suis jamais senti de lire, mais bon,
j’ai commencé cette année. On a vu To Catch A Thief
(La Main Au Collet) l’autre soir...
D. : Avec Gary Grant et Grace Kelly. Du début des fifties.
M. : Il y a aussi ce film qu’on a vu récemment, cette femme avec le singe...
D. : Oh, Sunset Boulevard. Avec Gloria Swanson,
cette vedette du cinéma muet des années vingt. Et ils ont
fait ce film au début des années cinquante,
c’était encore en noir et blanc, où elle joue une
star vieillissante du cinéma, ce qu’elle était elle
même...
M. : Elle joue son propre rôle...
D. : Oui, et elle vit dans cette grande demeure
typique des glorieux jours d’Hollywood des années vingt,
elle a cette vieille limousine. Dans la scène d’ouverture,
elle enterre son singe apprivoisé ! Et il y a ces grandes
funérailles... Outrancier ! Tout le film est outrancier. Elle
est dans sa salle de bain, elle prie et elle pleure et son singe est
dans son cercueil, puis elle va dans le jardin pour accompagner le
cercueil en terre. C’est la première scène. Un
excellent film.
M. : Il y a des bouquins sur elle aussi...
D. : Michael le chanteur des Cynics nous a
parlé de ce film : “Il faut que tu vois ça !”.
M. : Le livre sur Gloria Swanson est
réputé être incroyable aussi. Je ne l’ai pas
lu, mais c’est ce que j’ai entendu dire. J’essaie
toujours de terminer mon bouquin sur Isadora Duncan. Dan me l’a
acheté pour Noël, et... (elle farfouille sur la table,
l’extirpe et l’ouvre au début - nda) ...j’en
suis que là ! Ah, ah, ah !
SEXE, CENSURE ET CATHARISME
Tandis que Benny se met à ronfler comme un
bombardier, la discussion prend un tour un peu décousu, et assez
inattendu...
D. : Vous avez fait quelques magasins de disques ?
Peoples, au centre-ville ? Maze ? Ce sont mes deux
préférés, parce que ce sont de tous petits
magasins pleins de vieux 45 tours. Beaucoup de bonne musique soul de
Detroit, ce sont des mines d’or pour la soul de Detroit... Vous
êtes allés à Chicago aussi ?
M. : Detroit est une ville plus dure, Chicago est
plus... (elle chantonne innocemment. - nda) C’est bien
d’aller partout, j’adore bouger tout le temps, parler avec
les gens...
D. : J’adore voyager en France, vraiment,
c’est un très beau pays. Il me paraît beaucoup
plus civilisé...
M. : La dernière fois qu’on est venus,
on est allé en pélerinage là où a
vécu Marie-Madeleine.
D. : Yeah ! Il y a cette légende qui dit que
Marie-Madeleine après la mort de Jesus a pris la mer et a
navigué jusqu’au sud de la France...
M. : Et on est allé partout où il y avait sa trace.
D. : C’est très intéressant,
l’idée qu’elle ait fini ses jours dans le sud de la
France où elle a donné naissance à une culture.
M. : On était dans le van, on lisait des
trucs sur les Cathares, on a fait ce pélerinage parce que je
suis une grande fan de Marie-Madeleine ! C’est mon
héroïne ! Parce qu’elle raconte cette histoire que tu
n’es pas supposé connaître, elle a
dévoilé ce que la religion ne voulais pas faire savoir,
et je pense que c’est ce que je fais avec le
rock’n’roll. Tout le monde dit “Sex, Drugs &
Rock’n’Roll”, et finalement tout le monde conclut :
“Bon, allons juste picoler” et je me dis : où est le
sexe là-dedans !
D. : Il y a cette théorie qui dit
qu’elle était la femme de Jesus. Elle aurait eu des
enfants de lui et serait venue en France avec eux, et ils se seraient
installés et auraient établi une grande culture
très éclairée pour l’époque, et qui
fut écrasée par l’establishment religieux,
c’est l’histoire des Cathares.
M. : On est allé dans le bled de Jeanne
d’Arc, on peut avoir des médaillons Jeanne D’Arc ou
des marque-pages et des machins, mais partout où on est
passé sur les traces de Marie Madeleine, personne
n’était au courant. Marie-qui ? De quoi vous parlez !?
D. : Il y a quelque chose d’intéressant
dans cette version pure du christianisme qui a démarré
là. C’est une histoire intéressante et une partie
semble cachée. Il y a ces histoires qui disent que les cathares
étaient en possession de morceaux censurés de la bible.
Ils auraient reconstitué la version non censurée de la
bible. Tout ce que la religion officielle ne voulait pas voir
apparaître.
M. : Et on retrouve ça encore
aujourd’hui. Chez nous si tu veux un dictionnaire, il faut
qu’il date d’avant les années soixante, parce
qu’après ils l’ont modifié et ils ont
commencé à le censurer, ils ont enlevé des tas de
mots...
D. : Et abandonné certains sens originels des
mots... On a rencontré ce mec à Vancouver quand on
tournait au Canada qui s’intéressait beaucoup à
l’origine des mots, à la sémantique, il nous a
expliqué tout ça.
M. : Le gouvernement a occulté certains mots,
ou certains sens, ils ne voulaient pas que nous connaissions le vrai
sens de certains mots, car les mots permettent d’exercer un
pouvoir sur les gens. Tu as des amis de différents pays, qui ne
parlent pas ta langue comme toi, et dont tu ne parles pas la langue du
tout, et on essaie de communiquer, et ils veulent connaître le
sens des mots. Tu regardes dans un dictionnaire ordinaire, et il
n’y est même pas. Dans un vieux, il y est et il y a toutes
ces explications, tu te dis : oh, my God ! Des mots comme
clitoris... Wow ! Les vieux dictionnaires sont sexy ! Les dicos
modernes sont comme des eunuques ! Qu’est-ce que c’est que
ça ! Et ça continue dans notre société,
bien sûr les gamins de treize ans peuvent avoir des relations
sexuelles et faire des bébés, mais ils ne connaissent pas
le sens des mots. Pourquoi ne pas partager avec eux cette incroyable
chose qu’est la vie. C’est tellement excitant pour nous
parce que c’est ce en quoi nous croyons. On veut être
prêts ! Oui, c’est en ça qu’on croit : le ROCK
et le ROLL. Le rock’n’roll des débuts, ça ne
parlait que de ça : le faire ! Comment est-ce que vous
êtes arrivés là ? Vous ne seriez jamais là
s’il n’y avait pas le sexe ! On sort, on se saoule, on
s’évanouit, on rentre à la maison, la bite en panne
et il n’y a pas de génération suivante ! Ah ah !
Vous allez me prendre pour une obsédée !
Pas du tout ! On est avec toi ! Et tant pis si les
Parfaits Cathares devaient se serrer la ceinture côté sexe
! Faut secouer Benny qui paraît bien triste de voir son oreiller
douillet décamper. Quelques photos, on salue Margaret, puis Dan
nous raccompagne dans son break Dodge de 64, son année de
naissance, avec vitesses au volant, trois places à
l’avant, et un incroyable capharnaüm à
l’arrière. Tandis que son énorme engin croise tel
un paquebot dans les rues tranquilles de Ferndale, on devise de
vieilles bagnoles françaises : la deux-chevaux - qu’il
adore - la DS... Autre chose que ces informes tas de ferraille
modernes... Ouaip, y’a un fond de nostalgie dans l’air,
ça fait partie de l’âme de Motor City.
S. C.
Quand on l’a croisé au show des
Stepsisters, il est venu droit vers nous : “Vous êtes les
amis français de Noëlle ? (merde, comment il a
deviné ?) Passez un coup de fil si vous voulez voir le
studio.” Il s’est tordu de rire quand on lui a dit
qu’on s’était déjà arrêté
devant, et qu’on l’avait pris en photo. On peut dire que
Ghetto Recorders ne paye pas de mine : un bâtiment à la
façade un brin délabrée d’un bleu craspec
avec des grilles oranges genre barricades à la Mad Max 2,
enchâssé entre deux hauts immeubles en briques, dans un
quartier parsemé de terrains vagues et de bâtisses
abandonnées, en plein centre-ville. Quelques jours plus tard, on
grimpe un escalier un peu branlant, et on traverse un dédale de
pièces d’habitation, avant de découvrir
l’antre du sorcier de Detroit. Une vaste salle encombrée
d’un bric à brac insolite et d’instruments
variés, orgue antédiluvien, piano, batterie, amplis, sac
d’entraînement de boxeur (reconverti en défouloir
pour musicien), divers machins poussés dans les coins... Et un
grand espace central dégagé où tout un big band de
jazz pourrait taper le boeuf. “C’est un ancien abattoir
à poulets !” indique Jim la mine réjouie.
L’endroit a la réputation d’être glacial
l’hiver et tropical l’été.
“Voilà l’air conditionné.”
assène-t-il en montrant un énorme ventilateur. Une
pièce plus exiguë abrite une table de mixage mastoc, et un
wagon de matos vintage - qu’il collecte à droite et
à gauche - ou dernier cri. Il nous montre le banjo qu’il
vient de récupérer. Le bonhomme est du genre jovial et
fendard. On traîne un peu...
Goddamn ! Depuis la fondation du studio fin 96, ils
y ont tous traîné leurs boots : les Dirtbombs, Dirtys,
White Stripes, Von Bondies, Voltaire Brothers, Detroit Cobras, Ruiners,
Clone Defects, Witches, Sights, Come Ons, Bantam Rooster, Electric Six,
Hentchmen, Paybacks, Powertrane, Gore Gore Girls, Sirens, Ko & The
Knockouts, Freddy Fortune, Troy Gregory & The Stepsisters, Andre
Williams... La crème de Motor City... Plus les Compulsive
Gamblers, New Bomb Turks, Red Aunts, Baseball Furies, Jon Spencer,
Mooney Suzuki et autres Fleshtones... (voir la liste avec un morceau
à télécharger par groupe sur
www.ghettorecorders.com). Respect ! On discute encore de Bob Seger, ou
de la chambre d’écho des studios Motown, le fameux trou
dans le plafond... Quelques photos, puis il nous raccompagne, il a du
boulot. L’interview s’est faite par internet quelques
semaines plus tard.
Dig It ! : Comment es-tu tombé dans la
marmite rock’n’roll ? Quels sont tes premiers souvenirs de
disques ou de concerts ?
Jim Diamond : J’ai plongé dans le
rock’n’roll à cause des mauvais garçons plus
âgés qui habitaient dans ma rue. Je me souviens
qu’en 1969, j’avais quatre ans et les gamins plus
âgés passaient les Beatles, Led Zeppelin, Steppenwolf,
Jefferson Airplane, et je me souviens aussi des Shangri Las ! Je me
rappelle avoir demandé à ma grand-mère de
m’acheter un 45 tours (que j’ai toujours) de Creedence
Clearwater Revival. Ma chanson préférée quand
j’avais quatre ou cinq ans était “Hot Sand”
par Shocking Blue. Je possède encore le 45t que j’ai eu en
1970.
D.I : Ton premier groupe ?
J. : Le premier groupe dans lequel j’ai
joué s’appelait Inferno, j’avais treize ans. On
reprenait Ted Nugent, Kiss et Aerosmith.
D.I : Quand as-tu commencé à travailler dans un studio ?
J. : J’ai d’abord bossé dans un studio appelé
Harvest Music And Sound Design en 1989 à l’âge de 24
ans. J’enregistrais des publicités pour bagnoles et du
metal chrétien ! J’ai aussi enregistré Kill Devil
Hill qui était le premier gang de Tom Potter !
D.I : Pas de fantômes de poulets qui traînent aux Ghetto Recorders ?
J. : Dans les années 20 ou 30,
c’était effectivement une usine de transformation de
poulets. Je n’ai pas vu de poulets fantômes. On les entend
peut-être sur les disques que j’ai faits.
D.I : Sur ton site web, il est écrit que le
studio a “toutes les commodités d’une prison”.
Drôle de publicité !
J. : Mon ancien colocataire, Michael Rodriguez
s’est pointé avec cette phrase, on a trouvé
ça très marrant ! L’endroit est tellement horrible
sur bien des plans. Je pense qu’il faut souffrir pour son art !
Je déteste ces studios qui sont si propres et parfaits que tu as
l’impression d’aller chez le docteur !
D.I : Il est situé au centre, dans un coin
plutôt rude. Ça interfère avec ton job et ta
musique ?
J. : En fait cette partie de la ville est celle
où on trouve les stades de base-ball et de football
américain. C’est sacrément emmerdant quand il y a
un évènement sportif !
D.I : Tu as déniché d’autre matos vintage pour le studio récemment ?
J. : Hmmm, j’ai ce compresseur dément
de 1958 appelé Gates Sta-Level. On dirait que ça provient
d’un sous-marin de la deuxième guerre mondiale et
ça sonne super bien.
D.I : T'as toujours ta collection de Playboy des
années 70 ? Les New Bomb Turks l’avaient beaucoup
appréciée !
J. : Les vieux magazines sont toujours
éparpillés ici et là. J’aime l’allure
d’une femme naturelle, ces nouveaux Playboy, je ne
considère absolument pas que ce soient de vraies femmes !
D.I : Tu penses toujours que “le digital c’est pour les blaireaux” ?
J. : J’utilise un ordinateur pour
éditer et mixer la musique, mais pour enregistrer j’aime
utiliser des bandes car je pense que ça sonne mieux et que
ça oblige le groupe à jouer vraiment "ensemble", et non
à se reposer sur des trucages à l’ordinateur pour
avoir un bon son.
D.I : Un mot sur la fameuse brasserie Motor City ?
J. : Motor City Brewing Works appartient à
mon vieil ami John Linardos. Lui et moi avons grandi dans la même
ville et on se connaît depuis qu’on est gamin. Il avait
à l’origine un studio huit pistes là où se
trouve Ghetto Recorders maintenant. Il l’utilisait surtout pour
enregistrer ses propres groupes. On a collaboré sur une
série de CDs qu’il a sortis sous le nom de Ghettoblaster.
Il fait une bière appelée Ghettoblaster et il a
enregistré des groupes live dans sa brasserie qu’on a
mixés et mastérisés ensemble.
(www.motorcitybeer.com)
D.I : Tu es de Lansing non ? Pourquoi as-tu
déménagé sur Detroit ? Depuis les années
soixante, beaucoup de gens ont plutôt quitté la ville...
J. : Je suis seulement allé à
l’école à Lansing, et j’ai travaillé
dans ce petit studio là-bas quelques années. J’ai
en fait grandi dans une ville à environ une demi-heure au sud de
Detroit, appelé Trenton. Je me souviens d’avoir entendu
BEAUCOUP de trucs Motown à la radio quand j’étais
petit.
D.I : Peut-être as-tu entendu
parler des émeutes de novem-bre en France. Y a-t-il eu
d’autres émeutes à Detroit depuis 1967 ? Et comment
est la situation maintenant ?
J. : Detroit est une zone de
ségrégation raciale. Il n’y a pas eu
d’émeutes depuis 67 mais il y a une grande
ségrégation dans certaines parties de la ville. La ville
dans laquelle j’ai grandi n’avait AUCUN habitant noir ! Je
pense qu’il y avait une ou deux familles mexicaines et
peut-être une ou deux familles asiatiques. Pas
d’émeute là-bas mais c’était un
endroit vraiment étrange, racialement totalement blanc.
D.I : Comment as-tu
intégré les Dirtbombs et pourquoi les as-tu
quittés ?
J. : J’ai rencontré Mick en 96 alors
que je bossais dans un autre studio à Detroit.
J’étais en train de lancer Ghetto et je lui ai
demandé de monter jeter un coup d’oeil. On a
commencé à enregistrer quelques chansons, et ensuite
j’ai enregistré Horndog Fest (Le premier album des
Dirtbombs - nda). Le bassiste Tom Lynch a alors quitté le groupe
et a déménagé à San Francisco donc
j’ai naturellement pris sa place vu que je joue de la basse
depuis que j’ai treize ans. Mick et moi on s’est
éclaté ensemble en faisant tous les singles et les
albums. On a effectué toute la production ensemble et quand on
enregistrait c’était toujours lui et moi. Les batteurs
venaient jouer leur partie et rentraient à la maison et on
finissait les disques ensemble. Tourner était plutôt fun
LA PLUPART du temps, aller en Europe, en Australie et au Japon,
c’était vraiment génial. J’ai
décidé de quitter le groupe parce que
j’étais trop occupé avec le studio et que les
tournées me prenaient trop de temps loin de chez moi. Maintenant
je suis à la maison assez souvent pour avoir une copine
régulière ce qui est vraiment fabuleux !
D.I : Et ton projet solo, Pop Monsoon ?
J. : The Pop Monsoon est juste le nom que je donne
à tout ce que j’enregistre moi-même. Ce n’est
pas un groupe, juste quelqu’un à qui je pense pour jouer
de la batterie et je me charge de tout le reste moi-même.
D.I : Tu as fait deux 45t hommage à Bob Seger
avec The Seger Liberation Army. Tu trouvais qu’il était
sous-estimé ?
J. : Les débuts de Bob Seger sont vraiment
sous-estimés. Si tu mentionnes Bob Seger, les gens vont te rire
au nez, mais ses vieux trucs sont vraiment très bons. On
n’a pas prévu d’autres enregistrements, on a juste
fait ça pour s’amuser un samedi alcoolisé.
D.I : Des anecdotes à propos de tes sessions
avec Andre Williams, Troy Gregory, les New Bomb Turks, ou plus
récemment les Fleshtones ?
J. : Hmm, chaque fois qu’Andre Williams est
venu, j’aurais aimé avoir un magnéto pour
enregistrer ce qu’il disait ! Je me souviens quand on mettait en
boîte quelques morceaux avec les Compulsive Gamblers, Andre
déambulait dans le studio avec des pantalons blancs
trempés de sueur et torse nu, jetant un coup d’oeil par la
fenêtre de derrière. Je suis au deuxième
étage et on peut apercevoir un parking et un immeuble de
bureaux. Il buvait du rhum blanc Bacardi (“Blanc, juste comme mes
femmes...”) et il me dit qu’il devait faire un break parce
qu’il avait vu une jolie secrétaire et qu’il allait
se promener dehors (sans chemise et un peu bourré) pour
l’emmener faire un tour ! Une autre fois, il a fait un disque
avec un groupe appelé The Sadies pour le label Bloodshot. Lui et
les Sadies ne s’étaient jamais rencontrés. Le
groupe est arrivé dans le studio pour cinq jours
d’enregistrement et Andre devait nous rejoindre.
C’était le premier janvier 1999. Ce jour là il est
tombé près de 70 cm de neige ! Andre n’a pas pu
venir, alors les Sadies et moi on a commencé à
enregistrer quelques morceaux en espérant qu’il pourrait
les chan-ter ! Il est finalement arrivé deux jours plus tard, il
avait dû prendre un jet de la FedEx (transport de marchandises -
nda) parce que toutes les autres compagnies ne tournaient pas à
cause de la neige. Après un moment d’hilarité
générale on a pu finir le disque.
J’ai tellement d’expériences
géniales avec Troy Gregory, je me rappelle d’un des
disques qu’on a faits, il faisait si chaud en haut, il
était à terre, torse nu, hurlant au bassiste de jouer
avec feeling, car en quoi sa vie avait la moindre importance si ce
n’était pour jouer de la basse en ce moment précis
! Il faisait probablement trente degrés dans le studio.
Les New Bomb Turks étaient fabuleux, je me
souviens surtout que ma cinglée d’ex-femme m’a
quitté pendant qu’ils enregistraient ! Cette fille
était une malade mentale ! Oh oui, et Eric Davidson était
vraiment un chanteur génial à enregistrer. Et Jim, Matt
et Sam étaient d’incroyables musiciens et des mecs
vraiment cool avec qui traîner.
Pour le dernier disque que j’ai fait avec les
Fleshtones, ils avaient retenu cinq jours pour faire six morceaux. Je
trouvais que c’était beaucoup de temps à passer sur
six chansons ! Ça s’est terminé avec un jour
d’avance, et ils sont allés voir un match de baseball des
Detroit Tigers. Et je les ai emmenés à la brasserie Motor
City où on s’est enfilé une bonne quantité
de bière.
D.I : On a lu une interview des White Stripes
où Jack White évoque des bisbilles judiciaires entre vous
à propos de l’album De Stijl. Tu peux nous en dire plus ?
J. : Jack et moi avons un désaccord
concernant les deux premiers albums des White Stripes. C’est tout
ce que je peux dire à ce sujet pour l’instant. (la
première réponse était plus gratinée mais
après réflexion, Jim a préféré
s’en tenir là - nda)
D.I : Tu as enregistré les meilleurs gangs de
la ville depuis presque dix ans. Est-ce que tu ne te sens pas un peu
comme le parrain de la scène de Detroit ?
J. : C'est à vous de décider si je
suis le parrain d’une scène quelconque. Je pense que
j’ai procuré un super studio et une très bonne
compréhension de la musique aux groupes prometteurs de Detroit
pendant toutes ces années.
D.I : Quels sont les trucs les plus bizarres que tu
as enregistrés ? Du genre les bouteilles explosées avec
les New Bomb Turks ou l’ordinateur volant avec les Sights...
J. : Je pense que les bouteilles
éclatées ou l’ordinateur s’envolant par la
fenêtre sont de très bons exemples. Mick Collins et moi
avons aussi enregistré un drum-set dévalant
l’escalier du studio mais ce n’est pas encore apparu sur un
disque. Peut-être qu’on va en faire un 45 tours.
D.I : Qui préfères-tu : Phil Spector ou Shadow Morton ?
J. : I mean... Phil Spector est génial et il
avait une certaine vision mais j’adore vraiment Shadow Morton. Il
n’avait pas la moindre foutue idée de ce qu’il
faisait quand il a commencé, et il a produit ces disques des
Shangri Las qui font partie de mes préférés de
tous les temps. J’ai une légère
préférence pour Shadow.
D.I : Tu peux nous parler de tes dernières sessions ? Des groupes à surveiller ?
J. : Je viens juste de faire quelques chansons avec
un groupe appelé Velvet Audio qui m’excitent pas mal.
D’authentiques noirs de Detroit qui jouent du rock and roll, leur
groupe préféré est Love ! Un autre groupe dingue
à pister, c’est The Dead Stream Corners. On a fait un
disque de dix morceaux entièrement mixés,
mastérisés et mis en boîte en sept heures ! Et je
ne plaisante pas là non plus. J’ai aussi écrit et
joué des chansons pour une comédie horrifique à
petit budget intitulée Santa’s Slay qui contient des
titres des Gore Gore Girls et de Jim Diamond’s Pop Monsoon. Mick
Collins et The Sights participent à mes morceaux. Ça
sortira en DVD en décembre.
D.I : Des films, des livres ou des disques à recommander ?
J. : Seigneur, il y en a tellement. Je dirais que
n’importe quelle nouvelle d’Ernest Hemingway serait en haut
de ma liste. Tous les disques du Jefferson Airplane ont une certaine
valeur pour moi. Et aussi les nouvelles de A. A. Milne. Il y a
tellement de disques, la musique est ce que j’aime le plus dans
la vie, des choses comme “Wild Weekend” par The Rebel
Rousers, “Louie Louie” des Kingsmen, “Le Sacre Du
Printemps” de Stravinsky. Où s’arrêter ?
D.I : Tu écoutes quoi en ce moment ?
J. : Dans ma voiture en ce moment même
j’ai le box-set Nuggets, il y a tellement de bonnes chansons
là-dessus. J’ai aussi écouté les Smiths hier.
D.I : Quels sont tes groupes de Detroit préférés, actuels ou passés ?
J. : J’aime la plupart des trucs de Troy
Gregory avec les Witches ou son autre groupe Troy Gregory And The
Stepsisters. The High Strung sont bons. J’aime les Sights bien
sûr. Je ne continuerai pas parce que je laisserai trop de bons
groupes de côté ! Les Detroit Emeralds étaient
très bons aussi, est-ce que ce n’est pas un meilleur nom
que les Detroit Cobras ? Haha.
D.I : Tu te sens relié à tous les
héros de Motor City, le MC5, les Stooges, les groupes Fortune ou
Motown, etc. ?
J. : J’ai le sentiment que je fais partie
d’une lignée qui remonte très loin dans le
passé. Je suis très fier du rock’n’roll que
j’ai produit et je ressens une connection avec toute la super
musique du passé de Detroit.
D.I : Quels sont tes projets ?
J. : Je ne suis pas exactement sûr de ce que
tu veux dire par “projets”. Hobbies ? Ce que je fais en
dehors du studio ? J’adore délirer avec de
l’équipement stéréo et voyager et aussi
cuisiner. Je viens juste de préparer une casserole de chili
super méchant !
S. C.
On pige vite l’esprit de Detroit en jetant un
oeil sur sa collec’ de disques. D’ailleurs j’ai
failli prendre ses LP blues et jazz sur la tronche en pétant une
étagère dès le premier soir... Plein de
classiques, les Stones, Dylan, du sixties, du garage, du psyché,
de la soul, du R&B, du folk, du jazz manouche, du punk, de la
techno... Eclectisme à gogo ! Il y a de tout sur son I-pod, on
s’est même tapé “Detroit Rock City” de
Kiss sur une plage en apparence tranquille, face aux eaux
émeraudes du lac Huron, harcelés par des mouches
piqueuses minuscules et féroces. Un grand moment. A Dig It! on
avait craqué sur le morceau “You Can Radiate” de The
Alphabet, son versant pop psychédélique. Avec The
Volebeats il explore la country/pop alternative, avec Medusa Cyclone
l’électro-rock spatial, avec les Witches et Electric Six,
il balance des solos wah-wah torrides et des déchirades
venimeuses. John Nash, alias Johnny Na$hinal, c’est le roi du
hamburger végétarien fait maison, mais aussi l’un
des plus fins guitaristes de la ville. Un hôte hyper-cool et
discret qu’on a fini par coincer pour un interrogatoire, pack de
bières et paquet neuf d’American Spirit - le tabac bio qui
arrache - à portée de la main.
D.I : Premier disque rock’n’roll écouté ?
John Nash : “Kids Are Allright” des Who,
mon premier disque, pour Noël, j’avais six ans, je
l’ai passé en boucle pendant des années.
J’étais un grand fan de Keith Moon. En fait, avant de
jouer de la guitare, j’ai commencé par la batterie, en
5ème, j’en ai joué pendant une paire
d’années avant de casser mon drum set.
D.I : Normal, si tu jouais à la Keith Moon !
J. : Ouais, ouais, je crois ! Je ne m’en
rappelle pas vraiment et il n’y a aucun enregistrement pour
vérifier !
D.I : Ton premier concert rock’n’roll ?
J. : Ce show, j’y étais avec Dick
Valentine, le chanteur d’Electric Six, même si je ne le
connaissais pas encore à l’époque... INXS et Men At
Work en 1983, et c’est aussi le premier concert auquel j’ai
assisté... C’était dans un endroit gigantesque
partiellement à découvert. On était tous les deux
assis quelque part sur la colline où se situaient les places bon
marché, qui n’étaient pas couvertes par cette
espèce de pavillon.
D.I : Tes premiers groupes ?
J. : Mon premier groupe n’a jamais eu de nom,
c’est quand je jouais de la batterie. Mon premier groupe avec un
nom devait être Alloy (Alliage), on jouait du Black Sabbath et du
Iron Maiden, très metal... Ça devait être en 86 je
crois.
D.I : C’était sur Detroit ?
J. : Ouaip ! A Warren, pour être plus exact, une banlieue de Detroit...
D.I : Premiers enregistrements ?
J. : Hmm, c’était avec Mice Termite, le
groupe de Troy Gregory et de son frère, avant les Witches. Il y
a un 45t appelé “Mother’s Little Leper”,
ça ressemble à de la musique de carnaval un peu
effrayante, une influence Nick Cave, des guitares surf mais en accords
mineurs, des sons inquiétants... Deux de mes groupes ont
enregistré mais n’ont jamais rien sorti. Il y a eu Ick,
qui est devenu Topswil, une sorte de néo-punk avec un son assez
grunge. C’était un bon groupe, j’aurais aimé
qu’on sorte quelque chose. On ne savait simplement pas à
qui s’adresser ni où aller pour faire un disque. Je
pensais que c’était impossible à
l’époque ! Donc on n’est jamais allé
jusqu’au bout.
D.I : Ensuite il y a eu les Witches ?
J. : J’ai rejoint les Witches après
Mice Termite. Ce groupe jouait dans le coin depuis un moment. Tous mes
potes musiciens y sont passés, c’est le groupe qui a le
plus joué au Gold Dollar, quand c’était encore
ouvert, deux fois par mois au moins. J’ai aussi enregistré
de mon côté pendant que je jouais avec les Witches, des
projets comme Ghost World (en hommage au Comics du même nom -
nda). J’ai monté un groupe pour quelques shows, puis Ghost
World est devenu The Alphabet, qui a joué pendant environ deux
ans, surtout des morceaux de Ghost World (avec Noëlle à la
basse, Amanda Porter aux claviers, Eugene Strobe des Witches à
la guitare et Korky Winters à la batterie - nda). En fait le
label d’Alan McGhee Poptones devait sortir le disque. On a
tourné dans le Michigan, joué encore et encore à
Detroit, on est allé à Chicago, dans l’Ohio, on
essayait de se faire connaître, puis il y a eu les attaques du 11
septembre, et tous les investisseurs d’Alan McGhee qui avaient
mis de l’argent dans son label ont eu la trouille, et ils ont
retiré leurs billes. Il a plus ou moins dû virer tous ses
groupes, je crois qu’il n’a gardé que les Hives, il
a sorti le premier Hives en Angleterre. (John a finalement fondé
Nashinal Sound Recordings pour publier lui-même l’album
When The Sun Calls Your Name… or, Ghost World - nda). Ensuite
j’ai joué de la guitare acoustique avec les Volebeats...
Des super vocaux, de super morceaux mais c’était un peu un
groupe à temps partiel, tous les membres jouaient aussi dans
cinq autres projets ! J’étais aussi dans Medusa Cyclone,
une sorte de groupe space rock, comme un tour de montagnes russes.
J’ai fait d’autres trucs un moment puis
j’ai rejoint Electric Six. Deux membres ont quitté le
groupe, puis peu de temps après un troisième est parti.
C’était au moment de la première ou deuxième
tournée anglaise, juste avant que le premier album ne sorte, il
y avait déjà le single. Le groupe a implosé en
quelque sorte, c’était pas bon, ils ne s’entendaient
plus, trois sont partis. Ils avaient d’autres tournées,
des festivals prévus, je suis arrivé avec pas mal de
pression. On a fait cette tournée anglaise avec tous ces
festivals, c’était dingue. On a joué à Rock
En Seine, d’autres gros festivals à Amsterdam, à
Rotterdam, on a arpenté toute la carte cet été
là.
D.I : Pour en revenir aux Volebeats, tu peux nous en
dire plus ? On ne connaît que les morceaux sur la compil
Ghettoblaster...
J. : Les Volebeats doivent avoir cinq ou six CD
maintenant, je suis sur le dernier, ça s’appelle Like Her,
ça vient juste de paraître, il y a un mois environ, mais
on l’a enregistré il y a deux ou trois ans, ça a
pris un moment pour qu’il sorte. Les Volebeats travaillent
très lentement, ils commencent un truc, des années plus
tard c’est fini, et plusieurs années après, les
gens peuvent l’écouter !
D.I : En fait tout le monde à Detroit a plusieurs groupes on dirait...
J. : Oui, oui, pas autant qu’avant, mais il y
a toujours des potes qui aiment jouer ensemble. Je crois que les gens
de Detroit aiment tellement de types de musique différents
qu’ils ne peuvent les jouer tous avec un seul groupe, ils jouent
dans un groupe garage rock mais ils aiment aussi la musique
expérimentale alors ils jouent dans des groupes noise, certains
aiment la country alors ils jouent dans un groupe country, certains
aiment le rockabilly etc. C’est pourquoi mon nouveau projet
appelé Na$hinal Debt est ma tentative pour essayer de faire le
tour de mes styles musicaux préférés sans avoir
à jouer dans différents groupes. Je vais tout faire avec
un seul groupe et voir comment ça marche.
D.I : Quel genre de styles tu vas mixer ?
J. : C’est un mix de lo-fi, musique techno,
Walker Brothers, teen metal avec un peu de twang, de country, de surf,
de musique psychédélique et de soul, tout ça
à la fois, je ne sais pas si ça fonctionne, je ne le
saurai pas avant que les gens puissent l’écouter !
D.I : Donc, tu as rejoint Electric Six juste après le premier album ?
J. : En fait, juste avant que l’album ne
sorte. On démarrait la tournée anglaise quand il est
paru. Le premier single, “Danger High Voltage”, venait se
sortir et il était numéro 2, puis “Gay Bar”
est devenu numéro 5, quelque chose comme ça. Il y avait
beaucoup d’excitation autour de cette première
tournée. C’était étrange, je ne savais pas
comment le gérer parce que je n’étais pas dans le
groupe à l’époque des enregistrements, je venais
juste de les rejoindre et il y avait cet énorme succès,
je ne pouvais pas le revendiquer comme le mien mais je pouvais
l’apprécier. Une bonne tournée.
D.I : D’où vient le nom Electric Six ?
J. : Ils en étaient à se jeter des
bouteilles sur la tronche quand ce nom est sorti ! Ils
n’arrivaient pas à s’entendre sur un nouveau nom,
ils s’appelaient The Wild Bunch (trois singles sur Uchu Cult et
Flying Bomb Rds - nda) Et le nom était déjà
déposé par quelqu’un en Europe, ils ne pouvaient
plus l’utiliser. Il y a eu plein de propositions, mais ils
n’arrivaient pas à s’entendre, c’était
probablement celui qui paraissait le moins dérangeant pour tout
le monde ! Je ne l’aime guère mais ça va bien avec
les éclairs... électriques, et maintenant il y a six
membres dans le groupe alors... (il y a une liste des noms
rejetés sur leur site ! - nda)
D.I : Le premier album est devenu disque d’or en Angleterre, c’est bien ça ?
J. : Ça représente 100 000 copies. Il
a plutôt bien marché. Et il se trouve que le label XL a
viré le groupe. Ils ont dû se dire, wow, on a un disque
d’or, on n’a plus besoin de ces mecs. Hé, hé !
D.I : Quel est ton sentiment à propos des
majors et de l’underground vu que tu as connu les deux ?
J. : Oh, personnellement, je préfère
faire de la musique underground, tu peux travailler avec des gens qui
ne sont là que pour la musique, qui ne se sentent pas
concer-nés par les chiffres et le côté business.
Mais il faut bien que tu t’y intéresses un peu si tu veux
faire une carrière, tu dois y réfléchir. Je pense
que quelque part entre les indépendants et les majors,
c’est le meilleur endroit où te nicher, si tu veux juste
te faire assez d’argent pour payer le loyer, partir en
tournée et faire en sorte que les gens entendent ta musique.
D.I : J’ai lu quelque part que les Electric
Six avaient choisi la cover de Roky Erickson “I Am A Demon”
pour la compil Ghettoblaster parce que le label ne voulait pas
qu’ils y mettent un original...
J. : Hmm, j’ai entendu dire que le groupe
était trop bourré et que c’est le seul morceau
qu’ils ont pu mener jusqu’au bout ! C’est la rumeur
que j’ai entendue ! C’est celui qui paraissait le moins
horrible cette nuit-là.
D.I : C’est vrai que c’était dans une brasserie !
J. : Ouaaais, et voilà ce qui arrive ! Il y
avait ces énormes cuves de bière, il n’y avait plus
qu’à mettre un robinet !
D.I : Tu peux nous en dire plus sur le nouvel album d’Electric Six ?
J. : Ça s’appelle Señor Smoke,
un nom qui vient d’une célèbre affiche 80’s
des Detroit Tigers, l’équipe de baseball. Il a du style,
il a le speed, il a la chaleur. Il y a beaucoup de claviers, beaucoup
plus que sur le premier album, et ils sonnent mieux, les guitares
sonnent mieux aussi que sur le premier disque. On l’a fait ici,
à Ann Arbor, le frère du bassiste a un studio, et ils ont
fait du bon boulot, ils l’ont fait sonner comme un gros disque de
rock massif. Il y a des petites chansons un peu délirantes qui
relient entre eux certains titres, le premier album était
d’une facture plus classique. Il y a une dimension nouvelle, plus
de dynamique, mais apparemment pas autant de hits que le premier.
Ça semble être le problème de cet album
côté business, mais c’est un bon disque.
D.I : C’est quoi votre label maintenant ?
J. : Rushmore, c’est une sous-division de
Warner au Royaume Uni. Je pense que ça n’a
été créé que pour sortir l’album
d’Electric Six. Ça, c’est pour le Royaume Uni et une
partie de l’Europe. Je ne suis pas sûr pour le reste du
monde, mais en tout cas il n’est pas sorti aux Etats-Unis. On a
eu pas mal de plaintes et de regrets de la part des fans lors des
dernières tournées américaines parce qu’on
ne pouvait pas leur vendre le nouvel album. Ils vont être
obligé de le télécharger gratuitement. Mais je
pense que ce n’est pas si terrible, je suis plutôt de leur
côté sur ce coup !
D.I : Que penses-tu du
téléchargement, justement, de façon
générale ?
J. : C’est une épée
à double tranchant ! C’est super d’avoir de la
musique gratuite. C’est merveilleux de pouvoir chercher
simplement sur ton ordinateur une chanson, la trouver et
l’écouter. Mais le problème est que la personne qui
a créé le morceau ne touche aucun argent là-dessus
la plupart du temps, et c’est dommage. La musique doit être
partagée mais... On n’a pas encore de label pour le nouvel
album des Witches, mais tu peux le télécharger sur le
site, et il y a une option pour donner de l’argent... Combien
penses-tu que ça vaut ? C’est une bonne idée de la
part de Troy. Tu donnes une chance au disque et si tu l’aimes
vraiment, tu payes cinq, dix, cent dollars ! Et si le disque est nul,
tu demandes au groupe de te donner de l’argent !
D.I : Et ça marche ?
J. : Ça marche un petit peu, oui. Pour
l’instant ça va. Le téléchargement
c’est bien quand tu es dans une partie du monde où tu
n’as pas accès aux disques. C’est frustrant quand il
y a une musique que tu aimes, que tu as l’argent dans la poche et
que tu ne peux pas trouver le disque. On a parlé de ceux que tu
essayais de trouver en France, à Toulouse, c’est bien
d’avoir cette option, ça peut te donner envie
d’aller voir le groupe quand il est en tournée et
d’acheter des tee-shirts ou des disques. Donc, je pense que pour
les gens qui aiment vraiment la musique, le
téléchargement ne suffira pas, ils iront supporter les
groupes, acheter du merchandising et leur payer des bières ! Je
pense que ce n’est pas une si mauvaise chose, le problème
est que les majors deviennent trop gourmandes et qu’elles veulent
absolument tout contrôler, elles veulent contrôler le
monde. Coller un procès à un gamin de douze ans parce
qu’il a téléchargé le nouveau single de
Christine Aguilera qui a déjà rapporté quatre
millions de dollars au label, à quoi bon ? En gagner mille de
plus sur le gamin qui l’a téléchargé ?
Peut-être que ça fera comprendre aux gros labels
qu’ils ont besoin d’investir leur argent plus
intelligemment dans des groupes qui écrivent de bons morceaux.
Ils ne peuvent pas foutre en l’air leur pognon avec tous ces
groupes de jolies jeunes filles et de jolis garçons avec des
guitares et des coupes punk rock et des tatouages de méchants,
qui sortent tout juste de l’emballage. Peut-être
qu’ils devront passer plus de temps à
réfléchir sur où ils doivent mettre leur argent,
en réalisant qu’il y a beaucoup de gens qui
préfèrent chercher la musique qu’ils aiment
plutôt que de se faire simplement gaver par les gros labels. Mais
je rêve certainement !
D.I : C’est sûr qu’ils pourraient
donner moins de fric aux stars pour signer plus de groupes.
J. : Avec Electric Six - et c’est beaucoup
d’argent selon les critères de Detroit - on va enregistrer
le prochain album pour vingt mille dollars. Si tu compares ça
avec U2 ou Metallica ! On parle de millions de dollars pour enregistrer
dix morceaux ! C’est totalement absurde. Tu peux acheter un
studio entier pour trois mille dollars ou moins, ça
dépend jusqu’où tu veux être
sophistiqué, et enregistrer album après album
après album en y investissant tout ton temps de musicien.
Peut-être que les labels comprendront, et qu’ils feront
ça quand ils auront des groupes qui s’enregistrent
eux-mêmes, qui créent leur propre son, plutôt que de
les pousser dans une usine à tube avec des crétins de
producteurs sur-payés qui te disent comment jouer ta chanson. Il
y a de plus en plus de gens qui inventent leur propre son, qui sont
plus créatifs... Mais il y a aussi beaucoup de gens qui ne
devraient vraiment pas jouer de la musique, qui n’ont vraiment
aucun talent ! Qui dépensent tout leur argent dans leur
équipement et enregistrent des nullités qui polluent les
ondes !
D.I : Ou qui embauchent des psychiatres pour les sessions comme Metallica !
J. : Ouais ! C’est pourquoi leur disque
coûte dix-huit dollars ! La cure de désimbibation
d’un an d’Hatfield... Tout se paye d’une façon
ou d’une autre !
D.I : Pour en revenir au deuxième album
d’Electric Six, j’ai noté qu’il y avait une
reprise de Queen...
J. : Oui. (Silence, puis éclats de rire...)
D.I : Un petit mot peut-être...
J. : Disons que c’était une obligation,
he, he. On a enregistré cette version de “Radio
Gaga” avant que le groupe ne soit remercié par le premier
label. On était encore sur XL, c’était prévu
pour un single de Noël 2003, et c’est finalement paru sur un
single de Noël en 2004 sur Warner Bros. La chanson était
enregistrée depuis un an, mais Rushmore a demandé que ce
soit le single parce qu’elle était prête et que
l’album n’était pas fini. Du coup on a
été obligé de la mettre sur l’album.
D.I : J’ai vu qu’on peut chanter sur du Electric Six dans les Karaoke du coin !
J. : Oui, c’est nouveau ! C’est dingue
non ? Je n’aurai jamais pensé que ça puisse
arriver. Pas seulement pour un groupe dans lequel je joue, mais
même entendre un jour un morceau d’un copain dans un
endroit où les gens font du karaoke ! Pareil pour les White
Stripes... Les White Stripes au karaoke... C’est amusant,
c’est une nouvelle dimension dans la musique. (Et les Electric
Six de célébrer la chose en braillant “We karaoke
all night long” dans un des titres de Señor Smoke ! - nda)
D.I : L’autre soir, on a entendu pas mal de
tubes Motown aussi. Quels sont tes artistes
préférés de Detroit ?
J. : Je vais démarrer dans le passé...
Parliament/Funkadelic, une grosse influence... Les Temptations, surtout
la période psyché, Marvin Gaye, The Stooges, le MC5 bien
sûr. Alice Cooper, qui n’était pas vraiment de
Detroit mais qui a fait pas mal de ses premiers trucs ici, des super
disques à l’époque de l’Alice Cooper Band (et
qui chantait dans “Be My Lover” : “Told her that I
came / From Detroit City / And I played guitar / In a long haired rock
and roll band” - nda). Il y a aussi quel-ques groupes assez
obscurs mais vraiment très bons, The Spike Drivers, un groupe
des sixties qui n’a enregistré que sur des labels locaux,
et qui a failli avoir un deal avec Atlantic, mais ils l’ont
sabordé, ils ne voulaient pas vraiment le faire, ils avaient de
super morceaux et un incroyable guitariste, vraiment bon. Il y en a un
autre appelé Joint Effort, plutôt obscur lui aussi, mais
ça a été réédité en CD il y a
deux ans environ, c’est plus folk-rock, acid folk-rock. Et hmm...
Il y a comme un trou dans les seventies... Iggy Pop, j’aime ce
qu’il a fait tout au long des seventies. The Idiot et Lust For
Life sont des disques géniaux. Je ne suis pas vraiment fan de
Bob Seger mais “2+2” et les premiers singles sont vraiment
bons, jusqu’à ce qu’il ait du succès,
après il a perdu le truc je pense. Mes groupes
préférés du moment, je dirai Outrageous Cherry,
Troy Gregory & The Stepsisters... Ce sont tous mes amis bien
sûr mais c’est dur à éviter à Detroit.
Les Dirtbombs assurent... Il y avait ce groupe appelé Gravitar
que je trouvais vraiment bon, mais plus du côté noisy
extrême et expérimental. Le leader du groupe n’est
plus dans le coin, il est parti à San Francisco. Ils ont sorti
une poignée de disques, c’était un peu comme
Throbbing Gristle, un mur de guitares, des pédales
d’effets, un super batteur... Bantam Rooster étaient
géniaux, ils n’enregistrent plus sous ce nom je pense, ils
étaient toujours marrants à voir, ça me
ramène à l’époque du Gold Dollar. Ça
doit être ça mes groupes préférés,
bien sûr je n’ai pas mentionné ceux dans lesquels je
joue ! Ils font partie de mes favoris ! Il y a aussi ce groupe
appelé Little Claw. On les a vus la nuit où vous
êtes arrivés. Quand vous êtes allés dormir,
avec Noëlle on est allés traîner et c’est
là qu’on les a vus, une sorte de pop cacophonique et
noisy, je dirais. J’ai bien aimé parce qu’ils
m’ont rappelé une chose que j’appréciais
beaucoup à Detroit avant la grande explosion garage. Il y avait
ce bon gros mélange... Au Gold Dollar, il y avait Gravitar puis
les Volebeats puis Outrageous Cherry à la même affiche, un
groupe noise pêchu, un groupe country, un groupe pop
psychédélique, et ça fonctionnait. Maintenant,
avec les Greenhornes, les White Stripes et les Von Bondies... Ils ont
tous leur mérite mais on dirait qu’ils ont fait
naître un tas de groupes qui veulent sonner comme ça et
pas autrement. Il n’y a plus qu’un son maintenant à
Detroit. Avant les White Stripes et les autres, il y avait un bon mix,
et c’est peut-être pour ça que la scène de
Detroit n’était pas connue, parce qu’il n’y
avait pas qu’un seul son commun pour la décrire, il a
fallu pour ça qu’ils collent cette étiquette
garage. Avant ça partait un peu dans tous les sens, musicalement
c’était plus multi-culturel, c’était
multi-musical ! Comme à New York où cohabitent tout un
tas de différentes cultures, Detroit c’était la
New-York des villes musicales, tout un tas de musiques
différentes, se nourrissant les unes les autres, travaillant
ensemble. C’est mon seul reproche sur ce qui se passe
aujourd’hui... Oh, il y a des tas de groupes différents,
beaucoup de groupes heavy metal qui restent dans leur petite
scène, beaucoup de musique électronique comme il y en a
toujours eu ici, mais ça reste dans les clubs, il n’y a
pas vraiment de contacts avec la scène garage. J’aimerais
bien qu’il y ait plus de mélanges. Parce qu’il y a
beaucoup de trucs super à Detroit. J’ai oublié de
mentionner que j’étais un grand fan
d’électro, j’aime Kraftwerk, et j’ai
oublié de parler d’un autre de mes groupes
préférés de Detroit, c’est Adult. Ils
appellent ça “Electroclash”, c’est de
l’électro lo-fi, avec boîte à rythmes, des
claviers, c’est vraiment bon et c’est un de ces groupes qui
prennent l’électro et la mélangent avec un feeling
punk-rock. J’aimerais voir plus de groupes comme ceux-là.
Mais bon il s’en passe, avec Troy et les Stepsisters, Electric
Six, des groupes qui pensent qu’on peut jouer des claviers et des
guitares, et que ça ne sonnera pas forcément comme du
Abba !
D.I : Tu écoutes de la musique française aussi ?
J. : Serge Gainsbourg, France Gall, Brigitte Bardot, les
égéries de Gainsbourg, les premiers trucs de Johnny
Halliday (rassurez-vous, je l’ai briefé - nda), j’ai
écouté du Gong aussi, il y avait des Anglais et des
Français, euh...
D.I : Et des trucs plus récents ?
J. : Je vais écouter tes cassettes,
j’en saurai un peu plus ! Non, honnêtement, je ne connais
pas vraiment de groupes français contemporains. Je
n’explore probablement plus autant que je ne le faisais.
J’avais l’habitude de lire un tas de magazines et de
chercher les groupes dont ils disaient du bien. C’était
pas Rolling Stone, plutôt des petits magazines underground ou
indépendants... Ils se trompaient souvent, le groupe
n’était pas toujours si bon que ça ! He he he !
Maintenant, je me fie au bouche à oreille, aux discussions avec
les gens. Est-ce que tu as entendu parler de Dungen ? Des
Suédois je crois. Ça sonne seventies, mais c’est un
nouveau groupe, très heavy prog rock, et ça sonne comme
si ça avait été enregistré en 1972 ! La
pochette n’a pas le look ‘72. Je crois que c’est
basé autour de deux gars et d’autres musiciens qui
viennent collaborer.
D.I : Tes projets ?
J : Il y a une tournée avec Electric Six qui
s’annonce. Ensuite je dois trouver quelqu’un pour sortir
quelque chose de Na$hinal Debt. Peut-être un 45 tours. Ou
quelqu’un qui me file un coup de main, qui me donne des
idées pour sortir ces morceaux. Si je n’ai pas de chance
sur ce coup, je vais mettre les chansons sur un site ou vendre les CD
sur internet. Déjà, j’ai des morceaux à
télécharger gratuitement en MP3. J’en mettrai plus
si c’est difficile de trouver quelqu’un pour les sortir. Et
puis j’aimerais rattraper quelques films que j’ai à
voir, sinon je vais me préparer pour les vacances de Noël,
les années passent si rapidement !
D.I : Des livres ou des films à recommander ?
J. : La Conjuration Des Imbéciles de John
Kennedy Toole, je vais viens juste de le commencer, c’est un
super bouquin, je suis sûr que beaucoup l’ont
déjà lu. Women de Bukowski, je ne l’ai lu que
récemmment, un grand style, le mec genre “Salt of the
Earth”, qui raconte ses histoires avec les filles. Le
Maître et Marguerite de Boulgakof, c’est un chef
d’oeuvre, je suis en train de relire ou de lire pour la
première fois des classiques, j’ai commencé par
celui-là. Pour les films, je dirais Dawn Of The Dead (Zombie) de
George Romero, si vous ne l’avez jamais vu, regardez-le et
après vous pouvez aussi jeter un coup d’oeil sur le
remake... Le Charme Discret De La Bourgeoisie de Luis Buñuel...
Taxi Driver est aussi un de mes favoris. Holy Mountain (La Montagne
Sacrée) d’Alejandro Jodorowski, et l’autre... il y a
deux films qui vont de pair, Holy Mountain est génial,
l’autre, j’arrive pas à me souvenir du nom... El
Topo ! C’est ça, on s’est maté les deux en
suivant, Holy Mountain une nuit, et El Topo la nuit suivante. Faut
carburer pas mal au hash et au café !
D.I : Quelque chose à ajouter ?
J : J’aimerais bien revenir en France, pour
une petite tournée. Je n’ai pas vu grand-chose du pays...
Quand tu veux mon gars ! On aurait pu tailler une
bavette toute la nuit sans avoir le temps de faire le tour de ses
différentes collaborations avec Gravitar/ Gravitarkestra,
Monster Island, Blaze Sherman Fury, ou DJ Booth. Ou encore Kim Fowley.
John a joué sur Michigan Babylon, l’album de Kim et
Matthew Smith (sorti en 1996 sur le propre label de Smith, Detroit
Electric), puis enregistré et co-produit Culture of Despair du
même Kim Fowley (“Un mec qui semble toujours avoir des tas
de plans pour faire de l’argent avec sa musique”, nous a
dit John en substance).
Un peu plus tard, il nous a fait écouter ses
premiers enregistrements sous le nom de Na$hinal Debt (la dette
nationale, un sujet d’actualité chez eux aussi !),
bricolés dans le petit coin studio de son living sur une table
de mixage digitale Korg (deux fois seize pistes quand même !). Et
c’est grandiose : un mur du son impressionnant genre Phil Spector
meets Motown, de la soul funky torride, de la pop lumineuse, des riffs
aplatissants... Sans méthode préétablie, à
l’inspiration, il élabore lentement les chansons, jouant
de presque tous les instruments, empilant les pistes, faisant
participer toute la bande : Noëlle, Amanda, Matt... Un travail
d’artisan minutieux et inspiré. Il a prévu de
former un groupe pour jouer ces morceaux, et Noëlle devrait tenir
la basse. Ça promet ! En attendant, il vient de
s’embarquer sur une tournée de sept semaines avec Electric
Six, sans doute pour fêter la sortie américaine du
deuxième album, longtemps retardée. Mais il a fallu
qu’ils se dégottent encore un autre label, Metropolis Rds.
Du coup, ils en ont prévu un troisième pour
l’automne. Préparez-vous au Dance-A-Thon 2006 !
S. C.
www.electric6.com
www.witchesonparade.com
www.volebeats.com
TROY GREGORY
Après une première carrière de
bassiste mercenaire dans des groupes à succès, Troy
Gregory s’est imposé depuis son retour à Detroit
comme un des piliers de la scène underground locale. Son
accession au poste de second bassiste des Dirtbombs l’a fait
connaître dans tous les garages, mais ça fait un bail
qu’il écume les repères les plus chauds de la
ville, notamment avec les étonnants Witches, nés selon la
légende lors de la nuit d’Halloween 1996, quand Troy
enregistra treize morceaux d’affilée après une
beuverie mémorable. Ce fan de films d’horreur est du genre
vampire, il compose en général entre minuit et cinq
heures du mat’, à la lueur des réverbères.
Toujours une guitare et un magnéto à portée de
main, au cas où surgirait l’inspiration. Sur son premier
album solo, Sybil, il a fait défiler le gratin de Motor City
(Bantam Rooster, Sights, Outrageous Cherry, Wild Bunch, Come Ons,
Dirtbombs, etc.). Le suivant, Laura, plus intimiste, s’est
posé plus d’une fois sur les platines de
l’émission Dig It!, quand on voulait virer vers le
psyché zarbi. Bien sûr, on avait suivi de près son
nouveau projet, Troy & The Stepsisters, Troy et trois filles, dont
notre complice Noëlle à la batterie.
Leur concert au Belmont d’Hamtramck fut une
belle claque. Devant une foule modeste (y’a concurrence dans le
coin), Troy et les filles ont assuré un show prenant et
magnétique, à base de mid-tempos hypnotiques, qui
s’installent à petit feu, menacent d’exploser
à tout instant, puis gravitent vers des pics
d’intensité tétanisants. Les choeurs des filles, le
beat sobre et inventif de Noëlle, l’orgue mutant de Mary, le
groove tranquille de Teri, la guitare tendue et le chant intense de
Troy... Pas forcément une musique facile, mais le style de gang
à pouvoir devenir culte.
Exubérant, loquace et allumé, Troy
paraissait un bon client. “Il est un peu fou mais dans le bon
sens du terme !” dixit une des filles. On lui a collé le
walkman sous le nez tandis que le barbecue organisé par
Noëlle et John battait son plein, et que les réserves de
bière diminuaient à vue d’oeil. Effectivement, il
démarre au quart de tour dès qu’on enclenche un
sujet. Les autres se foutaient de nous : bon courage, à la
vitesse où il parle ! Il a dû faire un effort...
D.I : OK, question rituelle : premier morceau R’n’R qui t’ait vraiment marqué ?
Troy : Il y en a eu plusieurs en même temps,
parce que vers trois ans, j’ai commencé à jouer
avec le tourne-disque de mes parents et les vieux disques de ma
mère, et c’étaient des morceaux
rock’n’roll : “Ain’t Got No Home” de
Clarence Frogman Henry (il se met à chanter - nda)...
C’était ma favorite. Notre stéréo avait
quatre vitesses : 16, 33, 45 et 78 tours, donc j’écoutais
ce disque à chacune des vitesses ! C’était parfait
de l’entendre au ralenti (il chante au ralenti ! - nda). Je
faisais ça avec tous les disques de la maison, mais j’ai
surtout écouté celui-là, et “Hanky
Panky” de Tommy James & The Shondells, “I’m
Down”, la face B du single “Help” des Beatles,
“You’re So Good To Me” des Beach Boys,
“Steppin’ Out” de Paul Revere & The Raiders, tout
ça à la même époque... Je suis né en
66, et vers 69 ou 70, une des premières choses que j’ai
appris à faire c’est d’utiliser le tourne-disque.
Finalement mon père nous en a acheté un petit pour moi,
mon frère et ma soeur. On avait des disques pour enfants bien
sûr mais on n’en voulait pas. En fait on avait tous ces
vinyles de rock’n’roll à la maison qui venaient de
mon oncle qui est mort très jeune, à 28 ans. Il jouait de
la guitare, j’ai toujours sa guitare Airline... A la
différence de la plupart des enfants de mon âge,
j’ai grandi avec les disques qu’écoutaient les
gamins dix ans plus vieux que moi.
D.I : Tu es tombé dedans plutôt jeune !
T. : Ouais, ça a été un de mes
premiers trucs. Et mon père était fan d’Orange
Mécanique, le film de Kubrick en 69. Il l’adorait
tellement qu’il a acheté la bande-son et on le passait
tout le temps à la maison. Quand je réécoute
ça, c’est comme entendre “Hanky Panky”, tu
vois ! Tout ce genre de morceaux... J’adore aussi ces vieux
disques fifties avec des OVNIS, tu vois de quoi je parle ? On entend
des annonces à la radio et ensuite une chanson, ce genre de
novelty songs, y’a un DJ qui lance “Les OVNIS attaquent
!” et ça enchaîne avec “Papa Oom Mow
Mow” ! Ouais, j’adorais ce genre de trucs... A
différentes vitesses bien sûr !
D.I : Premier concert rock’n’roll ?
T. : En 1978... Well, tu veux dire le premier
concert “professionnel”, je suppose... J’ai vu des
tas de groupes dans des foires quand j’étais môme.
Je me souviens quand j’ai rendu visite à ma famille en
Roumanie, on est allé sur la mer Noire pour quelques jours, et
on a vu un groupe qui jouait “We’re An American Band”
de Grand Funk ! C’était plutôt excitant parce que
ça ressemblait à un vrai concert rock’n’roll.
Mais le premier vrai concert c’était Kiss en 1978. Mes
parents m’ont laissé y aller, je les suppliais depuis des
années de m’amener voir Kiss, et finalement à
Noël, j’ai trouvé le ticket dans mes souliers ! Toute
ma famille y est allée. Et c’était bien, parce que
mes parents se sont rendus compte qu’aller à un concert en
ville avec les gamins, c’était cool. Donc on a
commencé à aller voir tout ce qui passait. Parfois ils
nous déposaient simplement. Pour Frank Zappa, j’avais
douze ans et mon frère quatorze, ils nous ont laissés
devant l’entrée, ‘A tout à l’heure,
amusez-vous bien !’. Et c’était rarissime de se
comporter de cette façon à l’époque pour des
parents. Surtout qu’il y avait toujours à ce moment
là cette “peur blanche” à Detroit.
D.I : Après les émeutes de 67 ?
T. : Oui, c’était juste
quelques années après. Ça s’est
atténué depuis, mais ça existe toujours, il y a
des gens qui n’iront pas au centre ville... Ils vivent dans leur
environnement contrôlé. Comme a dit George Clinton :
“Que Dieu bénisse la ville chocolat et ses banlieues
vanille !”
D.I : Kiss, c’était aussi mon premier concert !
T. : Wow, en quelle année ?
D.I : 1980.
T. : Quel album venait de sortir ? Double Platinum ?
D.I : Ça devait
être juste après Dynasty en fait. Il y avait encore Ace
Frehley...
T. : Ouais, moi c’était juste
après Alive II, et j’ai adoré, c’était
génial, mieux que tout ce que j’avais pu imaginer.
J’ai senti plus que jamais que c’était ce que je
voulais faire...
Plus tard, on s’est payé une bonne
tranche de rigolade en discutant des Ace’s High - ainsi
dénommé “parce que Ace’s Stoned, ça
sonnait stupide” - un gang local hommage à Kiss dont tous
les membres sont déguisés en Ace Frehley ! Sur une de
leurs vidéos, un journaliste leur demande s’il leur arrive
de se disputer vu qu’ils sont tous des clones du
guitar-héros. Préservant son anonymat derrière un
grand foulard, un des Ace répond : “Oui, parfois on
s’engueule pour savoir qui va porter la cape de Dynasty !”
Eh, eh ! Refermons la parenthèse...
D.I : Quel a été ton premier groupe ?
T. : C’était avec Matt Smith des
Outrageous Cherry et le batteur Mike Alonso, qui a été
dans Bantam Rooster et Electric Six. On se connaissait depuis tout
petit, je connais Mike depuis que j’ai quatre ans, et j’ai
rencontré Matt vers neuf ou dix ans. Il avait une guitare. On a
commencé à jouer ensemble dans la cave, on essayait de
reprendre Led Zeppelin, Black Sabbath, je me souviens d’avoir
essayé de jouer la version Ten Years After de “Good
Morning Little Schoolgirl” de J.L. Hooker, et des trucs du
même genre. Puis Devo est arrivé, on était de
grands fans. On a essayé de jouer des morceaux de Devo, puis
Captain Beefheart, beaucoup de trucs des Who... On était
très jeunes. Ce groupe n’a joué que dans des
“Talent shows”. Après, quand j’étais au
Lycée, j’ai continué à jouer et à
écrire de la musique dans différents groupes, ça
n’a jamais vraiment marché, c’était difficile
de trouver des gens, parce que j’avais grandi dans mon propre
petit monde, j’aimais beaucoup de choses différentes et il
y en avait que je n’aimais pas du tout, j’avais des avis
tranchés, je n’aimais pas la musique qui passait à
la radio, la musique populaire... C’était dur de trouver
des musiciens qui aimaient les Residents et Ray Charles, les New York
Dolls et Ornette Coleman, Petula Clarke et Throbbing Gristle, tu vois
le genre ! Je ne pouvais pas l’exprimer aussi clairement à
l’époque mais je cherchais juste des gens qui
n’avaient pas d’idées préconcues sur la
couleur, la tonalité, l’atmosphère de
l’instrumentation... Des gens qui ne se fixaient pas de limites
sur ce que ça pouvait être. Je rencontrais plutôt
des gens qui disaient “On va former un groupe de metal et
c’est comme ça que ça doit sonner”, “on
va faire un groupe de ska et ça sonnera comme ça”,
“on fait un groupe punk etc.” Chacun jouait le rôle
de ce qu’il était supposé être. Tu rejoins un
groupe rockabilly, tu as une belle chemise, des tatouages avec des
dés...
D.I : Comme un uniforme...
T. : Oui, c’est juste de la comédie,
jouer un personnage, et j’ai assez joué la comédie
quand j’étais gamin, en sautant en l’air en
écoutant les disques et en faisant semblant d’être
dans un groupe. J’en avais marre de faire semblant, je voulais
juste faire ce que je voulais, et ça m’a pris quelques
années. J’ai joué dans tellement de groupes et
j’ai rencontré tellement d’idiots... Je me suis
concentré un moment sur l’écriture... La musique
était plus un passe-temps. J’ai rejoint différents
groupes, des groupes de heavy metal, j’ai accompagné un
“enfant-star”... N’importe, c’était
juste un moyen de voyager un peu, je m’en foutais... (il a
tourné en première partie de Megadeth, WASP ou King
Diamond, et même auditionné pour Metallica à la
basse : ils ne l’ont pas pris parce qu’il parlait trop ! -
nda). Quand je suis revenu à la maison - parce que j’ai
quitté Detroit après le Lycée - j’ai
traî-né avec différen-tes personnes et j’ai
fini par trouver ici ce que je n’arrivais pas à
dénicher jusqu’à présent. Je me suis
reconnecté avec Matt quand je suis revenu il y a une douzaine
d’années, j’ai rencontré Mick Collins, John
Nash... C’était juste ce dont j’avais besoin,
c’était comme si je démarrais la musique à
nouveau, tu vois ?
D.I : Et il y a eu les Witches ?
T. : Oui, ça a commencé avec Matt et
John, sur un quatre pistes que j’avais à la maison.
J’enregistrais des morceaux pour un autre groupe avec mon
frère et John, appelé Mice Termite, on a fait quelques
singles... C’était une sorte de groupe space,
psychédélique, de façon plutôt
non-intentionnelle ! On a enregistré des morceaux sur ce quatre
pistes, et j’ai appelé le projet The Witches. Matt a fait
passer des copies à différentes personnes autour de
Detroit. On nous a proposé un show au Hare Krishna Mansion avec
Cary Loren de Destroy All Monsters et Monster Island, il avait
monté l’affaire et il voulait qu’on y joue. Mary des
Stepsisters jouait du violon avec nous. Ce fut le premier show des
Witches. Pendant longtemps, c’était surtout John et moi et
différentes personnes qui gravitaient autour, un peu comme Pere
Ubu quoi ! Phil joue de la basse avec nous maintenant depuis quelques
années (Phil Skarich des Deadstring Brothers -nda). On a aussi
notre pote Eugene Strobe, qui jouait avec les Sirens je crois,
c’est un de leurs amis. Les Witches c’est quand
l’occasion se présente... On a toujours eu la poisse en
fait, on n’a pas envie de gérer les choses comme des
capitalistes, on a refusé certaines offres qui auraient pu nous
aider. Aucun d’entre nous n’a vraiment l’esprit
business. On sait écrire des chansons, on peut monter un super
show, mais personne n’a envie de forcer sur la promo, et
malheureusement dans le monde de la musique c’est ce qu’il
faut faire. Mais d’une façon ou d’une autre, par le
bouche à oreille, on a reçu des lettres de Moscou,
d’Amérique du Sud, de Nouvelle Zélande, de Tokyo,
de partout en fait, France, Italie, Allemagne, Finlande... Les gens ont
les disques, tous les disques, et ils les aiment ! C’est
plutôt cool, juste par le bouche à oreille. On n’a
plus de label maintenant. Le gars qui sortait nos disques a des soucis
financiers, sa femme vient juste d’avoir un bébé,
et il s’est dit qu’il n’allait plus dépenser
de l’argent à sortir des disques, qu’il y avait des
choses plus importantes ! On ne peut pas le blâmer. Du coup on
n’a plus personne pour le faire, on a un disque qui vient
d’être enregistré, mais personne dans le groupe ne
veut l’envoyer à des labels, personne ne veut le faire, du
genre : je devrais sûrement, mais je ne le fais pas ! Je vais
sûrement le sortir gratuit sur le site web, vu qu’on ne se
fera pas d’argent avec de toute façon ! Du moment que les
gens l’entendent... Quand je tourne avec les Dirtbombs, je
rencontre toujours des personnes qui connaissent les Witches et qui
demandent après le nouvel album, ouais...
D.I : Les Witches apparaissent sur les deux
compil’ Ghetto Blaster, dont le deuxième volume
était enregistré live dans la fameuse brasserie Motor
City Brewery. Comment c’était ?
T. : C’était génial, on y a
joué deux ou trois fois après parce que j’avais
trouvé ça super. Le boss John Linardos m’avait
déjà laissé faire des shows acoustiques, les sons
se répercutent partout, parce que ça se passe dans une
toute petite section de la brasserie où on trouve tous les
machins... tout l’équipement pour faire la bière !
Ces énormes trucs métalliques ! Le son se
réverbère... C’était cool. Ça
s’est fait sur plusieurs soirées...
D.I : La bière a dû couler à flot...
T. : Ouais, j’ai bu pas mal ce soir là,
pas mal... En fait notre batteur Cory Martin avait du mal à
tenir debout à la fin de la soirée. On enregistrait notre
album au même moment au bout de la rue chez Jim, et je crois
qu’on est allé directement du studio à la brasserie
et on était déjà bien partis quand on est
arrivés ! C’était marrant...
D.I : Il y a eu aussi The Alphabet...
T. : The Alphabet, c’était John Nash en
fait qui avait commencé à enregistrer des morceaux
où il jouait de tous les instruments, et il a choisi un nom de
groupe plutôt que son propre nom. C’est très commun
dans le Michigan d’avoir une mauvaise image de soi ! De
s’auto-déprécier ! Je ne vais pas mettre mon nom,
je vais mettre un nom de groupe ! On est quelques-uns à
être comme ça, c’est bizarre... C’est un truc
ici qui consiste à te contrôler quand tu es gamin pour que
tu n’aies jamais envie d’avoir du succès ou
d’être mieux que la moyenne, juste rester au ras du
caniveau !
D.I : Un peu comme Mick Collins avec les Dirtbombs ?
T. : Ouais, ouais, exactement. Donc John a
enregistré et sorti un album, When The Sun Calls Your Name, et
je crois qu’il en a assez pour un autre disque. Il les jouait
depuis un moment, il avait du mal à trouver un batteur. Eugene
des Witches m’a prêté un drum-set que j’ai
gardé un moment dans mon sous-sol, et j’ai joué sur
le disque de The Alphabet. J’ai demandé à John :
“Est-ce que je peux jouer de la batterie pour toi ? Je connais
les morceaux, je te jure !”. Il a fait quelques concerts sous ce
nom-là, mais quand il est devenu trop occupé avec
Electric Six, The Alphabet ont disparu... En fait, c’est devenu
ce truc qu’il fait maintenant, Na$hinal Debt. Tu devrais lui
demander de te faire écouter quelques morceaux de Na$hinal Debt.
C’est vraiment bon, ouais.
D.I : Mais toi, tu as bien enregistré des albums solo sous ton nom ?!
T. : Ouais, je m’en fous moi ! Aussi bizarre
que ça paraisse, je n’ai jamais voulu avoir ma photo sur
une pochette, mais j’ai mis ma photo sur les deux ! Matt a
suggéré que la pochette ressemble plus à un disque
de Scott Walker, une photo du genre “Non, je ne veux pas me voir
sur une pochette de disque !” J’ai appelé le premier
disque Sybil, et le deuxième Laura (tous deux sur Fall Of Rome,
en 2001 et 2004 - nda). J’ai fait des disques avec
différents noms féminins qui ont une certaine relation
avec les chansons, ou la façon dont le disque a
été fait...
D.I : Laura, c’est le nom de ta femme...
T. : Ouais, et il y a aussi le film Laura avec Gene
Tierney, un film noir. Pendant la moitié du film tu penses
qu’elle est morte, et un détective tombe amoureux
d’un portrait d’elle. Et il s’avère
qu’elle n’est pas morte. Un grand film. Il y a aussi Laura
Palmer de Twin Peaks, le film de David Lynch. Cette femme pleine de
mystères et de secrets. Ma femme est une fille tranquille,
très compliquée et intelligente... On est ensemble depuis
douze ans, mariés depuis dix et elle dit ou fait toujours des
trucs... et je ne sais pas d’où ça sort ! Tu vois
ce que je veux dire ? Elle m’a laissé m’interroger
sur chaque histoire un million de fois ! La femme mystérieuse,
c’était l’idée, la femme énigmatique,
aux multiples personnalités... C’est aussi basé sur
l’histoire clinique d’une femme qui avait plusieurs
personnalités.
D.I : Laura est un disque très personnel,
très original, mais je vais quand même lâcher
quelques noms qui me sont venus en l’écoutant, par exemple
Suicide ...
T. : Oh, j’adore Suicide. Alan Vega est aussi
un grand parolier. Il y a eu un bouquin tiré de ses textes, je
ne l’ai pas acheté mais je l’ai lu dans une
librairie. Parfois tu ne peux pas discerner ce qu’il dit, tu
vois. Et ça se lit comme de la poésie. Tellement
d’auteurs de chansons pensent qu’ils écrivent de la
poésie, il n’y en a pas tant que ça qui en
écrivent vraiment. Bob Dylan, oui, bien sûr, et Alan Vega
aussi sans aucun doute.
D.I : Et l’écho dans la voix ?
T. : Ouais, ouais, ouais, ça vient
probablement de là et du Dub, de Lee Perry... J’aime ce
son. Tu dis ça aux gens, ils répondront “Mais
ça ne sonne pas reggae !”. Non, c’est le concept que
j’aime bien, j’aime ce son... Mais j’avais jamais
pensé que ça pouvait aussi venir d’Alan Vega,
c’est probablement le cas. J’aime le son des disques. Bien
sûr tu fais sonner un disque de façon plaisante à
tes oreilles, et ça peut avoir un lien avec quelqu’un
d’autre, quelqu’un que tu aimes bien.
D.I : Black Sabbath pour les moments les plus riffus ?
T. : Ouais, j’aime Black Sabbath. J’aime
leurs morceaux qui ne sonnent pas trop heavy metal, les premiers
disques... Il y a vraiment une atmosphère, l’ouverture du
premier album avec cette cloche et la pluie ! J’adore toujours
cette ambiance. J’ai eu l’occasion de tourner en
première partie pour eux, quand Dio est revenu pour chanter un
moment. C’était assez marrant. Ils ont fait un paquet de
disques merdiques, mais il reste une poignée de bonnes chansons.
Le premier album et Sabotage, j’adore vraiment. Paranoïd, je
l’ai eu très jeune et j’ai appris à jouer
“Hand Of Doom”... et j’ai aussi pu tourner avec Ozzy
Osbourne une fois, pendant deux mois, en première partie. On a
joué à Detroit deux nuits de suite. Je suis allé
voir mes parents le premier soir, et je suis tombé sur ma copie
de Paranoïd, et je me suis dit “Wow, je vais me le faire
signer !”. Je suis allé dans les loges et il était
vautré sur un canapé, je lui dit : “Ozzy, il faut
que tu signes ma copie de Paranoid.” (Il imite l’accent
british et le phrasé pateux d’Ozzy - nda)
“D’accord, d’accord... Wooow, mec, d’où
tu sors ça ? Depuis combien de temps tu l’as ce disque
?” “Je sais pas, depuis que j’ai neuf ou dix
ans...” “Oooh, tu avais neuf ans ! Putain ce qu’on
vieillit bordel !” (Poilade générale)
D.I : Dans un autre genre, ça m’évoque Joy Division aussi...
T. : Ouais, c’était un groupe que
j’écoutais beaucoup. Tu m’as cerné ! Je
n’ai pas vraiment écouté tout ça depuis un
moment, sauf Suicide, j’ai mis “Ghost Rider” dans la
voiture l’autre jour. Ouais, j’ai pas trop
réécouté tout ça ces derniers temps mais
Joy Division, l’album Unknown Pleasures, ouais je
l’avais... parce que pendant un certain temps je n’avais
pas de maison, et, euh, je parle trop vite désolé... Euh,
tu n’aurais pas une cigarette ? Je l’avais en cassette
donc, je l’ai écouté plus d’une fois, parce
que je joue de la basse aussi, tu vois, j’aimais bien jouer les
lignes de Peter Hook, et de plus il y avait cette ambiance qui leur est
propre, pas vraiment ce que les gothiques apprécient... (il se
met à chanter d’une voix lugubre - nda)... pas vraiment
ça, mais plutôt ce côté très lent, tu
vois ? Il se passe quelque chose que j’aime beaucoup, je
préfère Joy Division aux Doors.
D.I : Syd Barrett ?
T. : Oui, c’est quelqu’un que
j’écoute beaucoup aussi. Mad Cap Laughs
particulièrement, plus que Barrett, uniquement parce que mon
frère avait Barrett et qu’il refusait de me le
prêter alors je suis passé à côté.
Oui, je l’aime beaucoup... Piper At The Gates Of Dawn, les
premiers Pink Floyd, surtout ce morceau “Take Out That
Sthetoscope And Walk”... Avec les Witches on a essayé de
reprendre en concert “No Good Trying” de The Madcap Laughs.
(il se remet à chanter - nda) Celle-là, oui,
j’adore.
D.I : En fait j’ai même pensé à Bowie...
T. : Oui, je l’aime aussi !
D.I : La façon dont tu chantes parfois...
T. : Ah ouais ? Cool ! Parfois il essaie de chanter
comme Anthony Newley, parfois il essaie cette voix à la Scott
Walker, je trouvais ça amusant, c’est comme quand Sting
essaie de chanter comme s’il venait de la Jamaïque. Par
contre j’arrive pas à accrocher à Memory Of A Free
Festival, The Laughing Gnome, les premiers trucs acoustiques de Bowie,
j’en ai certains... J’ai sur une cassette...
C’était quoi le groupe où il était...
Mannish Boys ? C’est pas mal, c’est un peu dans le genre
Pretty Things. Je n’aime pas les paroles de certains morceaux,
sur “Memory Of A Free Festival” elles sont absolument
horribles. Mais j’adore les Spiders From Mars, les albums
qu’il a faits à Berlin, mais aussi les disques
d’Iggy de cette époque comme Lust For Life et The Idiot.
Tout ce que Bowie a fait en Allemagne, Heroes, Low, Lodger, Scary
Monsters... J’aime beaucoup ces dis-ques, mais pas grand chose de
ce qu’il a fait après, à part cette chanson
“Loving The Alien”.
D.I : Et peut-être parce qu’on vient
juste de voir le film Dig, sur certains passages, j’ai
pensé à Brian Jonestown Massacre...
T. : Tu vois, ces mecs, je les avais jamais entendus
jusqu’à il y a deux ans. Je crois que Matt en connaissait
un qui était sur Detroit, et il me l’a
présenté, il avait l’air sympa. Je pense
qu’avec cette scène de Californie, Black Rebel Motorcycle
Club, The Warlocks... il y a des similarités avec ce qui se
passe ici, un réseau de gens comme il en existe un ici à
Detroit, tous ces musiciens différents qui travaillent les uns
avec les autres dans un tas de groupes différents... C’est
un peu lié, mais on n’a pas vraiment de relations, on ne
les connaît pas vraiment. Detroit, LA... Tu vois, à
Detroit tout le monde estime apparemment qu’à LA ils
essaient trop de se la jouer comme s’ils étaient de la
bande à Manson... Le démon, Altamont, la Californie
obscure... Ici on n’a pas vraiment besoin de faire semblant !
Mais sur ce que j’ai entendu, j’aime bien, c’est sans
aucun doute un bon compositeur.
D.I : Et leur côté bricolo,
l’album qui a coûté 14,95 dollars, ça
t’inspire quoi ?
T. : Génial ! ... J’ai pas vu le film
cela-dit, mais c’est ce dont on a besoin ici. C’est quelque
chose qui n’arrive jamais à Detroit... Et puis il
n’y a personne ici qui essaie vraiment de monter un label. Je
veux dire, il y a des gens qui sortent un ou deux trucs, Dave Buick
fait ses trucs (il tient le label Italy Rds - nda), Ben à Cass
Rds (Ben Blackwell, un des batteurs des Dirtbombs - nda)... Mais
personne ne s’est dit sérieusement : OK, on va prendre
tous ces groupes et les sortir sur un label, ensemble comme Motown, tu
vois, quelque chose comme ça. Parce que les gens ici sont
incroyablement pauvres, je veux dire, on s’en sort tout juste.
Quand je dis pauvre, personne ne crève de faim, mais personne
n’a suffisamment de cash, et à la fin du mois tout le
monde est à sec. Tout le monde vit d’une paye à
l’autre, d’une facture à l’autre. C’est
un des trucs, on est des prolos. Tu vois, pour pouvoir tourner et
jouer, il faut un job qui te le permette, donc on ne peut pas avoir des
jobs qui payent bien !
D.I : Sympathy, le label californien, a édité pas mal de groupes de Detroit...
T. : Ouais, et Fall Of Rome qui a sorti les Witches, The Sights, l’album des Voltaire Brothers aussi...
D.I : Et ton nouveau groupe, les Stepsisters ?
T. : Après les disques solos, John
était occupé et les Witches ne faisaient plus rien et il
fallait que je joue ! Alors j’essayais de chercher un groupe pour
pouvoir jouer ces chansons. J’ai rencontré Teri, la
bassiste, qui travaillait dans une librairie... Elle parlait toujours
de ces mecs qui la chambraient parce qu’elle jouait de la basse,
les hommes sont toujours chauvins sur ce qu’une femme peut faire
avec un instrument... Alors je lui ai donné quelques
leçons pour l’encourager. Puis Mary qui jouait du violon
avec les Witches était à nouveau dans le coin, elle
jouait des claviers. Et Noëlle qui jouait de la batterie avec The
Alphabet. Je l’avais rencontrée en même temps que
Jim et Tommy Potter, ils font partie d’un contingent de Lansing
qui a bougé sur Detroit. On les a tous rencontrés quand
les Witches ont joué à Lansing. Jim a fait le son pour
nous, Tommy Potter et les Bantam Roosters ont joué avec nous, et
c’est aussi là que j’ai rencontré
Noëlle. On est tous devenus amis. Tom est arrivé en
gueulant : “Oh mec, vous devriez faire une reprise des Banana
Splits !!!” C’est comme ça qu’on s’est
rencontrés. Donc les Stepsisters c’était pour jouer
les morceaux des albums solos. J’ai vu Teri dans le cinéma
où je bossais. Je réfléchissais à un
bassiste, je l’ai vue et je me suis dit voilà, ça y
est ! Je suis allé la voir : “Est-ce que tu es
occupée ?” “Je suis dans un ou deux
groupes...” “C’est bien, moi aussi ! Je vais te
prévoir un truc !”. Puis j’ai réalisé
qu’il pourrait y avoir plus de filles. Je pensais que ce serait
vraiment cool d’être dans un groupe où il n’y
aurait pas de mecs pour une fois. C’est ce qui s’est
passé, et j’aime ça. Elles ont un langage
définitivement plus obscène que les mecs ! Ça ne
devait durer qu’un certain temps, on ne devait jouer que quelques
concerts, mais j’adorais comme ça sonnait, et on
s’entendait tellement bien que j’ai commencé
à écrire des morceaux pour le groupe, et c’est
devenu mon projet principal. C’est le groupe avec lequel je veux
tourner et enregistrer, et c’est probablement le dernier groupe
rock que je vais faire... J’ai le sentiment que si ça se
dissout pour une raison ou une autre, je ne peux pas vraiment imaginer
faire un autre groupe rock, quand je dis rock, je veux dire utilisant
batterie, guitare, basse, vocaux, pour jouer live dans les clubs, je
vais probablement travailler sur des films dans lesquels je veux
vraiment m’investir. J’ai beaucoup de scripts que je veux
filmer, des accompagnements musicaux... J’ai commencé
à travailler là-dessus, j’ai réfléchi
à l’idée de sortir le premier album des Stepsisters
en DVD, avec des vidéos pour chaque morceaux, et des trucs en
interlude... J’aimerais faire ça si c’est possible,
l’argent est toujours un problème...
D.I : Vous avez deux morceaux qui viennent de sortir...
T. : Il y en a un sur une compilation avec le
fanzine Carbon 14, et un autre sur une autre compilation de groupes de
Detroit pour un magasin de bonbons qui vient d’ouvrir...
D.I : Un magasin de bonbons ?!
T. : Ouais, et il voulait des morceaux à
propos de bonbons. Outrageous Cherry ont une chanson titrée
“Marshmallow” sur cette compil, et on avait
déjà un morceau qui s’appelait “Tippin’
The Candy Machine”, tu vois quand tu mets de l’argent dans
un distributeur de bonbons et qu’ils ne descendent pas et que tu
es obligé de secouer la machine. En fait c’était au
départ une chanson à propos de relations sexuelles avec
Audrey Tautou dans une piscine municipale à la tombée de
la nuit...
D.I : Eh, eh, c’est le nouveau sex-symbol français alors ?
T. : Ouais, ouais ! J’ai enlevé son nom
mais ça s’appelait “Audrey Tautou” à
l’origine. Mais il y avait la ligne “Tippin’ the
candy machine” dans les paroles, donc... Je ne voulais pas la
mettre dans l’embarras ! Il y en a une autre, une chanson que je
n’ai jamais enregistrée, mais j’en ai une version
à la maison, qui s’appelle, je suis désolé,
“Isabelle Adjani, Can I Get You Off ?”. J’ai une
lé-gère obsession pour Audrey Tautou et Isabelle Adjani.
D.I : On peut comprendre... Tu joues aussi avec les Dirtbombs bien sûr...
T. : J’ai joué avec les Dirtbombs pour
la première fois il y a des années. J’ai
joué de la fuzz sur un enregistrement, je ne me souviens plus,
c’est sorti sur une des innombrables compil où figurent
les Dirtbombs. Ensuite j’ai joué avec eux à un show
à Chicago, ou Detroit, je crois que c’était
Detroit... Mick sait tout ça, il se rappelle des dates et
tout... J’ai tenu la fuzz pendant un moment, avant Potter.
J’avais les Witches, donc je me disais OK, je vais faire
ça juste pour un certain temps, puis Tommy est revenu. Il y a
des trucs comme ce single “Cedar Point 76”, avec ma photo
en couverture, alors que je ne joue pas dessus. J’arrivais au
studio pour enregistrer, et Mick était déjà en
train d’en partir : “Troy, j’ai besoin de ta photo,
tu fais partie du groupe !”. J’ai dû aussi en
remplacer certains sur quel-ques shows de temps en temps. Donc depuis
pratiquement cinq ans je fais des allers-retours. Les Dirtbombs ont
participé à mon disque Sybil, on a fait “Born In A
Haunted Barn” sur celui-là, puis Mick est venu faire les
choeurs sur une chanson de Laura. Ils allaient en Australie et Ko ne
pouvait pas venir, alors j’ai joué la fuzz et Jim a
joué la basse, c’était assez récemment, il y
a deux ans peut-être, un an et demie. Et il y a eu une autre
tournée, et Jim ne voulait pas la faire, il n’aime pas
tourner. Il en faisait tout un cinéma ! Mick m’a
demandé de le remplacer, je pensais juste que j’allais
faire quelques dates, puis Jim les a quittés et je suis
resté ! J’aime ça, j’aime beaucoup ce groupe.
Je n’avais pas joué de basse depuis un moment, la
dernière personne pour qui j’ai tenu la basse était
Andre Williams. J’ai joué de la basse pour d’autres
groupes comme Killing Joke (avec qui il a joué au Pied, dans la
campagne toulousaine, il y a quelques années, avant que la
boîte ne soit plus ou moins dynamitée - nda), The Swans,
Prong et tout ça (Flotsam & Jetsam ou Simon Bonney aussi -
nda), mais je ne jouais pas... comme je joue vraiment. Tu vois, quand
tu es dans le groupe de quelqu’un d’autre, tu as tendance
à adapter ta façon de jouer à leur musique. Mais
avec les Dirtbombs, je n’ai pas besoin de faire ça, ni
pour Andre. C’est peut-être simpliste, mais quand tu
grandis à Detroit avec la Motown, tu es plus proche de
ça, une basse groove... Donc j’aime faire ça avec
les Dirtbombs, en plus, ils voyagent beaucoup, je suis payé, et
je peux plus ou moins m’en tirer, aider à payer les
factures à la maison et c’est valable, tant
qu’à prendre ça comme un job, c’est un putain
de bon job. Je les apprécie tous, c’est super. Je peux
prendre mon ordinateur portable en tournée, je travaille sur des
chansons, sur des films, j’écris... C’est bien. En
plus, ça amène des fans des Dirtbombs à
découvrir les Witches et les Stepsisters, ce qui est cool.
D.I : Est-ce que tu vas participer à l’album Bubblegum dont nous a parlé Mick ?
T. : Je vais probablement être sur
celui-là, oui. Il veut faire une version Bubblegum de
“Strange Fruit” de Billie Holiday. La version de Billie
Holiday est la plus connue, c’est une chanson qui parle du
lynchage des noirs dans le Sud. En fait c’est un juif qui a
écrit la chanson même si Billie Holiday la chante bien
sûr du point de vue d’une femme noire... Nina Simone en a
fait une bonne version aussi. Tu roules vers le sud, et tu vois ces
fruits étranges qui pendent aux arbres, ces corps noirs dans la
brise d’été... C’est une chanson puissante et
sombre, et Mick veut en faire une version bubblegum ! On a eu une
sérieuse controverse un matin au petit déjeuner, Ben,
Patrick, Mick et moi, au sujet de l’éthique d’une
version bubblegum de “Strange Fruit” ! C’était
assez intéressant !
D.I : J’ai lu dans une chronique quelque chose
comme “Troy apporte aux Dirtbombs son amour pour Alice Cooper et
Black Sabbath”.
T. : Ouais, c’est très bizarre.
J’ai vu ça aussi, je crois que ça vient de la fille
qui tient le site du fanclub des Dirtbombs, elle vit en Floride. Elle
m’a envoyé un e-mail pour que je jette un coup
d’oeil et je lui ai répondu que je n’étais
pas si fan de Black Sabbath et d’Alice Cooper... Je veux dire, je
l’étais quand j’étais môme, mais je
n’écoute plus vraiment ça, mais elle l’a
gardé quand même. C’est marrant parce que de temps
en temps sur scène on joue un bout de “War Pigs” de
Black Sabbath, et tout le monde pense que c’est à cause de
moi, et ce n’est pas vrai. C’est Ko qui veut tout le temps
la jouer ! Mais elle ne connaît pas les paroles, et Mick dit que
lui non plus. Par défaut, je dois la chanter, parce que je les
connais, mais je ne veux jamais le faire. Quand on a fini le set et que
les gens en veulent plus et nous rappellent, on se dit : OK,
qu’est-ce que tu veux faire, qu’est-ce que tu veux faire ?
Parce qu’on change tous les soirs d’habitude... Et
c’est toujours : OK, “War Pigs” bla bla bla... Noooon
! Pas “War Pigs” ce soir ! Pareil pour “Lust For
Life”, on la fait de temps en temps et je dois la chanter vu que
je connais les textes, et je n’en ai pas envie. J’aime la
chanson, mais il n’y a aucune raison de la faire. Parfois on fait
“Baby’s On Fire” d’Eno, et je dois la chanter,
en fait celle-là, ça ne me dérange pas tant que
ça.
D.I : Vous avez joué un petit bout de “War Pigs” à Toulouse !
T. : C’est vrai, c’est vrai. Ça
tombe accidentellement de temps en temps et tout le monde pense que
c’est moi !
D.I : Je ne sais pas s’il y a grand monde qui l’a reconnu dans le public !
T. : Ouais, c’est toujours marrant !
D.I : Quels sont tes projets ?
T. : Je vais m’occuper de l’album des
Stepsisters. Qui est plus que prêt, on a assez de matériel
pour deux albums en fait. On va probablement enregistrer dans mon
sous-sol, on va faire ce disque et j’espère quelques
singles si c’est possible. Je dois trouver quelqu’un pour
sortir ces trucs n’importe où et partout. J’ai aussi
un album instrumental qui est fini, qui devrait s’appeler The
Teddy Bear Science. J’ai aussi un disque de dance électro,
dont tous les samples proviennent des Witches ou de mes propres disques
! Le titre complet est Agent Vampire Versus The Jellybean Machine The
Earth Will Be Destroyed By Force Cheap Evil (!?!). Il y en a aussi un,
dont certaines chansons ont déjà été
enregistrées, qui rassemble des morceaux tristes, plus
mélancoliques, des chansons chiantes ! Que je ne joue pas
souvent parce que les gens n’ont pas envie d’écouter
ce genre de choses, ils veulent s’amuser, mais je voudrais toutes
les mettre sur un album appelé I Am Nowhere You Are Dreaming, un
titre tiré du bouquin de Boulgakov Le Maître Et
Marguerite. Ça ressemble plus à Leonard Cohen
qu’à Alice Cooper ! Il y en a un dans le genre Erasure, un
à la Léonard Cohen et l’autre plus à la
Stockhausen ! Je veux faire les trois, et j’aimerais produire un
autre album avec les Witches si c’est possible, je vais
probablement atterrir sur quelques enregistrements des Dirtbombs. Et
Mick a mentionné que je pourrais participer aux disques de Man
Ray Man Ray. Mais je veux aussi commencer à travailler sur mes
films, c’est le truc que j’ai de plus en plus envie de
faire. A force de mettre du fric de côté, je devrais avoir
de quoi filmer et éditer moi-même. Je n’envisage pas
de film sur une major à Hollywood. J’aimerais juste faire
le genre de film que j’aime voir, comme pour la musique, je fais
le genre de disques que j’aimerais entendre. Ça peut
paraître égocentrique et arty, mais je fais mes disques
favoris ! J’aime les groupes dans lesquels je suis, leur
façon de jouer. J’en suis assez content, je ferai mes
films de la façon dont je fais ma musique. Juste ce que je sens
bien. Si c’est mauvais, il y aura toujours d’autres bons
disques et bons films.
D.I : Pour terminer, une autre question rituelle, quels sont tes artistes favoris de Detroit ?
T. : Diana Ross, pour sa voix, son phrasé,
tout quoi, et les disques des Supremes. Si tu joues “Nothing But
Heartaches” du 33t en 45t elle sonne comme Curtis Mayfield ! Je
suis sérieux, c’est un coup à essayer, c’est
incroyable ! David Ruffin des Temptations, j’aime sa voix... Iggy
& The Stooges... Ici à Detroit, il faut toujours avoir une
préférence entre Raw Power et Funhouse, mais j’aime
les deux, j’aime le premier aussi, je les ai beaucoup
écoutés ! J’aime Carey Loren de Destroy All
Monsters, on a pas mal bossé ensemble avec ces autres artistes
fantastiques, Mike Kelley, Jim Shaw, Niagara... (Destroy All Monsters
est un collectif d’art contemporain actif depuis le début
des seventies - nda) J’aime la façon dont il
s’empare de chaque aspect de la culture du Michigan pour les
articuler dans son travail des façons les plus macabres qui
soient. Je l’aime beaucoup (Troy a aussi joué avec lui au
sein de Troy Gregory & The Skeleton Friends, super groupe
éphémère rassemblant aussi Mick Collins et Matthew
Smith entre autres - nda). Je pense que Matt Smith est un songwriter
fabuleux, c’est incroyable, j’aime pratiquement tout ce
qu’il écrit, il a quelque chose que j’aime vraiment
. Il se vend comme des petits pains, il y a des gens qui trouvent que
c’est fantastique ! De Detroit, mmmmh... en fait surtout les gens
qu’on connaît, comme mon pote McDonald qui a sorti des
disques sous le nom de Medusa Cyclone (John Nash, Mike Alonso ou Matt
Smith sont encore dans le coup - nda), ça sonne comme Neue, Can,
ce genre de trucs, tu vois... John Nash aussi... Tout le monde semble
apporter sa propre personnalité plutôt que
d’être le fantôme d’un autre musicien...
J’aime aussi Gino Washington, Andre Wil-liams... Tous les trucs
évidents... Le trio serait probablement Diana Ross, Carey Loren,
Iggy Pop.
D.I : Quelque chose à ajouter ?
T. : Non, c’est bon pour moi. Il faut
qu’on trouve un deal en France pour le disque des Stepsisters,
pour qu’on puisse venir jouer. J’adorerais ça ! Je
veux franchement qu’on voyage et qu’on joue le plus
possible. Maintenant, on doit juste trouver quelqu’un avec de
bons goûts musicaux et un porte-feuille !
On est reparti s’abreuver, et déguster
des petits délices confectionnés par nos hôtes. Qui
a dit qu’on bouffait mal dans ce pays ? En fin de soirée,
on commence à être largués, on pige plus toutes
leurs vannes. Ce doit être ce foutu accent du Michigan... ou
toutes ces bouteilles de rouge exotiques et délectables
qu’on a testé toute la soirée. Le pif gaulois est
mal barré à l’export, j’vous le dis... En
tout cas on s’est bien marré. Une joyeuse bande !
Mais récemment, une nouvelle est venue casser
l’ambiance : Troy a viré Noëlle des Stepsisters pour
la remplacer par une boîte à rythme. Pas sûr que ce
soit une bonne idée... Ça fait un bail qu’on ne
dégaine plus la batte de base ball quand on entend ces engins,
mais quand même. Et sale coup pour Noëlle à qui les
Stepsisters doivent beaucoup. Ici comme partout, les groupes se font et
se défont. Mais à Detroit, les opportunités ne
manquent pas, comme on le verra. Depuis, les sites internet des Witches
et des Stepsisters semblent être en hibernation (quatre titres
à télécharger sur ce dernier, avec donation
possible !). On sait juste que Troy a repris la route, cette fois avec
sa vieille idole Gino Washington. Groove un jour...
S. C.
www.witchesonparade.com
www.stepsistersassemble.com
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