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Dig It! # 36

 
Spécial Detroit !
MICK COLLINS
DEMOLITION DOLL RODS
JIM DIAMOND
JOHNNY NA$HINAL
TROY GREGORY

 
 



MICK COLLINS

    La première fois qu’on a rencontré Mick Collins, c’était en juin 92. “Fuck, we’re getting fucking old !” comme dirait Ozzy. Les Gories à la salle FMR : un concert épique ! Stoppé net par les flics après une dizaine de morceaux rugueux et flamboyants. Presque comme aux plus beaux jours du MC5 à Detroit ! Quand on se pointe au Belmont pour le concert des Stepsisters, c’est Mick en personne qui ouvre la porte. Noëlle nous avait prévenu qu’il était le DJ de la soirée. Check up rapide : walkman ? OK, dans la poche... Les questions ? Euh, on va improviser. Le club est chouette, assez spatieux, un long bar, une scène au fond et un patio attenant où on s’arsouille en essayant de discuter le coup avec la faune locale - qui fait de louables efforts pour ne pas parler trop vite et bien ar-ti-cu-ler. Le groupe de première partie démarre son set quand Noëlle nous annonce que Mick est prêt pour l’interview. On le suit dans les sous-sols. Oups, faut pas oublier cette histoire de liste... Dans les notes de pochette de leur compilation If You Don’t Already Have A Look, il évoque la liste des futurs albums des Dirtbombs, une liste déjà écrite. La fin programmée ? D’abord, voyons si comme on le dit, il a bien une mémoire d’éléphant...

    D.I : Te souviens-tu de ta première venue à Toulouse avec les Gories ?
    Mick Collins : Oh oui. Je ne pense pas que je l’oublierai jamais... Ah ah ah ah ! (premier d’une série d’éclats de rires homériques ! - nda). Il y a eu plusieurs choses, ouais. Ça a été un des moments les plus embarrassants de ma vie. Et puis les flics sont arrivés ! Ah ah ah !

    D.I : Et les autres "moments embarrassants" ?
    M. : On a fait une interview à la radio. Quel était le nom de la radio déjà ? FMR ? Ouais c’est ça... Et un mec nous a demandé quel genre de sous-vêtements on avait. J’étais en train de me moquer du slip de Dan quand j’ai réalisé que le mien était tricolore sur le devant, et j’ai dû avouer à des centaines de milliers d’auditeurs que je portais leur drapeau sur mon calbute. Hé hé hé ! Ça a été le moment le plus embarrassant de ma vie !

    D.I : On y était ! C’était à l’émission Dig It!. Mais c’est pas moi qui ait posé la question ! (grosse poilade). Euh, bon, et à propos de la liste ?
    M. : La liste... Ah ah ah ah ah !

    D.I : Elle est encore longue au moins ?!?
    M. : Non, en fait on en a presque fini avec elle, pour être honnête, il en reste un ou deux. Il y a le disque Bubblegum, et celui pour lequel tout l’équipement, tous les instruments devront être soit cassés, soit trouvés, soit des jouets.

    D.I : Ça c’est un concept !
    M. : C’est l’album à la Tom Waits des Dirtbombs, ha ha ! On a plein de matos bouzillé, ça devrait être un disque facile à faire.

    D.I : Dans les notes de pochette de la compil, tu parle aussi d’Henry Cow, des Piranhas et de musique “art-damaged”...
    M. : Oui, les Piranhas, le “art noise”... Je considère les Dirtbombs comme un groupe "art-rock". Parce qu’on n’est pas vraiment un groupe punk rock ou quoi que ce soit de ce genre, c’est essentiellement un véhicule que j’utilise pour faire de la musique basée sur le rock (“rock based music”). Il n’y a pas qu’une sorte de musique... C’est “rock-ish”. J’ai dit ça à quelqu’un hier, je pense que les Dirtbombs sont plus proches de Roxy Music que des Hives.

    D.I : C’est une sorte d’expérimentation depuis le début ?
    M. : Oui, c’est entièrement expérimental. Je veux dire, à la base on se déguise en groupe rock’n’roll. Un peu... Les gens croient qu’on en est un, et c’est très bien ! Ah ah ah ! Jusqu’à ce qu’ils se mettent à poser des questions vraiment pointues sur le sujet ! Eh eh !

    D.I : Sur scène vous êtes VRAIMENT un groupe rock’n’roll...
    M. : Oui, exactement ! Sur scène, c’est un groupe rock’n’roll ! Il y a beaucoup d’expérimentation sur les disques mais sur scène c’est un groupe rock’n’roll. La plupart des groupes punk rock se la jouent tranquille dans le studio et défient leur public sur scène. Je prends l’approche opposée. Sur scène, on est un groupe rock’n’roll, on joue les hits, tout le monde danse, tout le monde est content... En studio, je vais te défier, tu dois décider, tu vois, si tu seras toujours cool après avoir acheté le disque ! Ah ah ah ah ! Ouais, la confrontation pour nous est dans le magasin de disques, pas sur scène.

    D.I : C’est pour ça que vous avez sorti autant de 45 tours ?
    M. : Oui, mais aussi parce que j’aime les singles. J’aime faire des 45 tours. C’est plus facile d’abord, c’est moins cher et tout ça... Je pense personnellement qu’avec un single, tu en as plus pour ton argent. Sur un simple, tu dois te concentrer sur le fait de graver des morceaux que les gens achèteront. Sur un album tu peux faire deux ou trois chansons que les gens voudront et le reste peut être nul. Tu n’as pas cette opportunité avec un 45 tours, tout doit être bon. Ça t’oblige à être bon.

    D.I : Et sur un CD, on n'a besoin que d’un seul bon morceau, le premier...
    M. : Ouais ! Ah ah ah ! Je déteste les CD parce que tout le monde pense que maintenant  que tu as soixante-quinze minutes sur un CD, tu dois faire un disque de soixante-quinze minutes ! Et tu sais qu’il y aura des trucs nuls ! Personne n’est bon pendant soixante-quinze minutes ! Même les Who n’étaient pas bons pendant soixante-quinze minutes d’affilée. Ah ah ah ah !
   
    D.I : En concert peut-être ?
    M. : Yeah, peut-être en concert...

    Troy Gregory débarque dans les loges et balance une vanne qui provoque une nouvelle crise d’hilarité chez Mick...

    D.I : C’étaient de longs morceaux aussi...
    M. : Ouais, ouais, tu vois, les singles c’est chouette parce que tu en as pour cinq minutes, et j’ai une attention plutôt volatile, après trente minutes de n’importe quoi, je suis prêt à passer à autre chose... Est-ce qu’ils ont fini ?

    On n’entend plus le groupe de première partie, Mick qui doit enchaîner aux platines tend l’oreille... Le barouf reprend. Ouf, on a un petit délai...

    D.I : A propos de la compil que vous venez de sortir, où avez-vous déniché le morceau de cet Allemand, Hubert Kah ?
    M. : Yeah, ha ha ! Les Dirtbombs étaient aux Pays-Bas en 1997, on est allé faire du shoping dans les magasins de disques et j’ai vu cet album, il avait l’air intéressant, c’est tout, c’est la seule raison pour laquelle je l’ai acheté. Il avait juste l’air plutôt cool. Il y a une photo hideuse d’Hubert sur la couverture, eh eh, comme si elle était dessinée à main levée. C’est en noir et blanc, et les seules couleurs sont le bleu clair et le rose clair. C’était très new-wave, je me suis dit ça peut être vraiment cool ou vraiment horrible, et ça valait... C’'était quoi déjà la monnaie là-bas ? Le gulden... c’était huit guldens, quelque chose comme deux dollars et demi, et je me suis dit ‘allez je l’achète, ça va être marrant’, je l’ai ramené à la maison et il était OK. Je l’ai rangé dans un coin et je n’y ai plus pensé pendant des années. Quand on nous a demandé de faire ce disque et de chanter en allemand, j’ai pensé ‘Hé, j’ai ce disque quelque part !’ C’était la seule raison, j’avais ce disque depuis des années dans ma collection.
   
D.I : Et tu ne sais toujours pas de quoi ça parle ?
    M. : Pas la moindre idée. Ils m’ont dit que c’était à propos de se trouver une fille et de sortir pour aller danser. Parfait ! Tant que je ne chante pas que je suis en train d’embrasser des mecs ou quelque chose comme ça ! Je capte certaines bribes, j’ai étudié les langues à l’école, puis comme hobby, et je peux en lire une partie. Ça a l’air OK, j’aime la chanson, le reste du groupe aimait la chanson aussi. On l’a jouée live une fois ou deux récemment. En fait j’arrive pas à me rappeler des paroles, je les invente au fur et à mesure, ah ah ah ah ! J’invente deux ou trois trucs et j’essaie de ne pas dire ‘Scheisse’ trop souvent !

    D.I : Et la reprise de Soft Cell ? Je ne connais pas l’original à vrai dire...
    M. : Ah ah ah ah !
    D.I : ...ça sonne un peu comme “Tainted Love”, non ?
    M. : Ouais, un peu... “Tainted Love” n’était pas d’eux, c’était une reprise, celui qu’on fait est un de leurs originaux. Je voulais juste... Je ne sais pas vraiment trop quoi dire là-dessus. J’ai pensé OK, il y a tous ces fans de garage punk qui vont nous voir jouer un morceau de Soft Cell, ils vont hurler “Seigneur, c’est pas un groupe garage punk ! Ils sont nazes, allons voir ailleurs !” Non, tu vois, je pensais juste que ce serait marrant de voir ce qui arriverait, je voulais juste voir les réactions à nouveau, c’est la confrontation. Je voulais voir les réactions de tout le monde si on faisait une cover de Soft Cell. Hé bien les gens pensent toujours qu’on est un groupe de garage punk, donc... Eh eh eh ! Je ne sais plus quoi faire maintenant !

    D.I : Quoi faire de pire !?
    M. : Exactement ! Qu’est-ce qui reste ? J’ai fait une reprise de Soft Cell !

    D.I : Et des Bee Gees aussi !
    M. : Yeah, on a fait ça, ah ah ah ah !
    D.I : On a passé l’original de “I Started A Joke” sur notre show radio, et dans la foulée un auditeur a envoyé un e-mail vengeur : “Qu’est-ce que c’est que ce truc pop sixties immonde ?” (salut Dr Crock !)
    M. : Hihihihihihi !
    D.I : Donc ça doit marcher quand vous essayez de défier le public !
    M. : Oui, j’essaie toujours. Avec plus ou moins de succès.

    D.I : Comme votre chanson “They Hate Us In Scandinavia”...
    M. : Et bien, c’était le cas. Ah ah ah ah ! Qu’est-ce que je peux dire là-dessus ! Ils nous détestaient ! C’est pourquoi la chanson a été écrite !

    D.I : Des nouvelles du zine suédois qui avait descendu votre premier album ?
    M. : Hum, je crois qu’ils ont coulé. J’ai gagné ! Eh eh eh eh eh !

    D.I : Des projets ? L’album bubblegum des Dirtbombs ?
    M. : Je pense que les Dirtbombs vont faire des 45 tours pendant une année à peu près. Juste des singles, peut-être un par mois ou quelque chose comme ça. Tant qu’on peut en faire... On nous en a déjà demandés cinq au moins, et il y en aura d’autres. Et j’ai un autre groupe appelé Man Ray Man Ray (c’était déjà le nom de son projet solo au début des Gories en 1986 - nda), on va enregistrer un album. Et il y a le nouveau disque des Voltaire Brothers sur lequel on a commencé à travailler, et probablement un ou plusieurs 33t techno. J’en ai un qui arrive, lorsqu’il sera enfin mixé. Mais je vais probablement en faire d’autres. C’est de la dance music, j’aime faire ça, je me fous de ce que quiconque en pense, pour moi c’est tout de la dance. Les Dirtbombs et, tu vois, Mayday, c’est la même chose pour moi. (Derrick May, alias Mayday, est un DJ black de Detroit à l’origine de la techno au début des années 80. Par ailleurs Mick a déjà gravé un single de house en 88 - nda)

    D.I : Peut-être que les disques techno ça va être un peu rude pour nous, mais bon...
    M. : Ah ah ah ah ! Le truc à ce propos, c’est que si je fais un disque techno et que les garage punkers l’aiment, je me suis planté. Je ne le fais pas pour les garage punkers, je le fais pour les fans de techno. Eh eh eh ! Donc s’il se trouve que tu ne l’aimes pas, c’est OK ! Ah ah ah !
   
    D.I : Et si on l’aime ?
    M. : Si vous l’aimez, c’est génial !
    D.I : Parce qu’on est fans, on accepte n’importe quoi  ?
    M. : Ça, ce serait idiot ! Wouahahaha ! Je ne sais pas si j’ai vraiment beaucoup de fans de ce genre, on verra bien quand les disques techno sortiront, si les gens m’apprécient toujours. En fait, j’ai écrit une nouvelle, et quelqu’un à New York m’a dit avant un concert qu’il venait d’acheter le bouquin, et je lui ai répondu ‘Je ne te verrai probablement plus jamais à un concert, tu ne viendras plus jamais me voir après avoir lu ça !’ (Il a déjà publié plusieurs textes dans des anthologies de SF et de fantasy “anthropomorphique”, un sous-genre qui met en scène des animaux, mutants génétiques, aliens ou monstres - une de ses vieilles obsessions, voir la pochette du premier Dirtbombs - nda). Yeah, enfin, tu vois, je ne sais même pas si j’ai un noyau de fans qui aiment tout ce que je fais. Je sais que certains aiment ça ou ça, ou plutôt ça... Je fais des disques avant tout pour moi-même, mais je sais qu’il y a pas mal de gens qui les apprécient... S’il y avait des gens qui aiment tout, ce serait fantastique, mais je ne crois pas qu’ils existent réellement !

    D.I : Y a-t-il une question que j’aurais oublié de poser ?
    M. : Eh eh eh ! Well, je ne sais pas, je ne fais jamais d’interview dans l’idée de faire de grandes déclarations de principe. Je ne suis pas du genre à pontifier ou à prêcher à qui que ce soit. C’est comme quand on me demande si j’ai quelque chose à rajouter. Je ne sais pas, je n’ai pensé à rien de particulier !
    D.I : Tu nous a raconté le moment le plus embarrassant de ta vie, quel est ton pire souvenir sur scène ?
    M. : Je me suis pris le micro dans la bouche en Allemagne pendant la dernière tournée. Ça m’a ouvert la lèvre.
    Troy Gregory : Et la fois où t'as perdu tes deux paires de lunettes. D’abord les lunettes de soleil, qui se sont cassées...
    M. : Et pour le rappel j’ai mis mes lunettes de vue, et elles sont tombées aussi...
    T. : T'as perdu un des verres...
    M. : Ouais ! Ah ah ah !
    T. : ...et il est tombé de mon côté de la scène et j’ai réussi à l’attraper (il mime les contorsions du musicos qui ramasse un truc sans lâcher son instrument - nda).
    M. : Il essayait de jouer avec mon carreau à la main !
    T. : Jusqu’à la fin du morceau, j’ai pas eu le temps de lui faire passer !
    M. : Ouais, c’était OK, ce sont des verres en plastique à l’épreuve des balles ! Il ne se serait pas cassé. C’était pas du vrai verre heureusement ! Ça fait longtemps que j’ai arrêté d’en porter...

    Troy narre alors avec son débit mitraillette la fois où la guitare de Mick a valsé entre les deux batteurs avant de s’écraser sur un mur. Mick surveille ce qui se passe en haut, c’est le dernier morceau...

    D.I : A la fin de votre premier concert à Toulouse, Ben a balancé sa cymbale sur Pat ! Tu t’en souviens ?
    M. : Ah ah ah ah ! Je pense que Pat doit s’en rappeler ! Oh, ça y est, je crois qu’ils ont fini là-haut...
    T. : Et la fois où Ben s’est envolé pour me retomber dessus ! Je jouais avec cette basse blanche que j’avais empruntée, vraiment fragile, et il m’a sauté sur le dos, et j’étais là en train de tituber (il mime la scène bien sûr - nda). Et je gueulais : ‘N’abîme pas la basse ! N’abîme pas la basse !’. Et j’ai fini par balancer Ben dans le public !
    M. : Hihihihihi ! Je me souviens de ça ! Bon, je dois y aller, il va y avoir plein de disques français ce soir !

    En remontant, Troy commente la prestation du groupe de première partie (dont j’ai oublié le nom à vrai dire) : “Oh, c’était pas mal au début, ça ressemblait un peu à Roxy Music.” Décidément... Puis il fonce se préparer pour le show des Stepsisters. Pendant ce temps là, Mick enchaîne Benny Gordini et Nino Ferrer sur les platines ! Plus tard il viendra nous montrer fièrement la pochette du Benny Gordini With The Teen Axel Arkestra sur B-Soul ! Avant de se lancer dans un mix de soul vintage et de techno débridée, en passant par Gary Glitter et Steppenwolf. Et bien sûr, il a dansé avec les filles jusqu’au bout de la nuit...

S. C.

DEMOLITION DOLL RODS

    Après Mick Collins, nous revoilà face à Dan Kroha, son ancien complice au sein des Gories. Il n’a pas beaucoup changé, toujours cette allure lunaire et ce regard perçant et magnétique. Et Margaret est toujours aussi sexy et survoltée. On est chez elle, une jolie baraque, pas loin de chez Noelle, dans le style typique du coin, avec son porche, sa pelouse, et ses panneaux imitation bois, à part qu’elle est ornée de superbes guirlandes lumineuses. Elle se l’est payée après une intense et fructueuse carrière de gogo girl. Des aboiements enragés nous ont accueillis, on s’est reculé pour parer l’attaque du molosse. En fait c’est une sorte de bouledogue miniature, un carlin finalement très affectueux nommé Benny, qui vient se vautrer sur Nathalie, à peine installés sur le canapé.
    Quand Dan s’était pointé à la salle FMR avec les Gories accompagné de Margaret, on avait bien senti que ça chauffait entre elle et la batteuse Peg. On connaît la suite. Les Gories ont splitté peu après. Dan, Margaret et sa soeur Christine ont fondé les Demolition Doll Rods, un des gangs fétiches du Dig It! staff. On les a interviewés il y a une paye, on a vanté leurs trois albums Tasty (In The Red, 1996), TLA (Matador, 1999) et On (Swami, 2004). Il était temps de faire le point. Un entretien drôlatique et débridé avec deux vraies âmes rock’n’roll, et une dernière évocation nostalgique, douce-amère et passionnée de Detroit.

GORIES

    D.I : Est-ce que vous vous souvenez de votre premier passage à Toulouse, avec les Gories ?
    Margaret : (Après un petit silence) He he he... On essaie de se rappeler quelle ville peut bien être Toulouse... Est-ce que c’était celle avec Betty Page sur le tract ?

    D.I : Houla, je me rappelle plus du tract !
    M. : Je me souviens des shows des Gories.
    Dan : Quel était le nom de l’endroit ?

    D.I : C’était à la salle FMR, et le concert a été interrompu par la police.
    M. : Par la police ?
    D. : Je me rappelle vaguement de ça, mais pas en détail, désolé.
    M. : Et c’était bien ?

    D.I : Ouais ! Mais trop court !
    D. : Combien de temps on a joué ?

    D.I : Une demi-heure, quarante minutes maximum, puis les flics ont arrêté le show.
    D. : Et c’était grand comment ?
    D.I : Assez grand... Il y avait la salle de concert en haut, la radio et le bar en bas. On vous a interviewés en direct à la radio. Et Margaret était là aussi.
    D. : Vous nous avez interviewés ? On devrait vraiment s’en rappeler ! Il y a pas mal de choses dont je me souviens de cette tournée.
    M. : Je me souviens de la fois où on a mangé du porc et des haricots.
    D. : On a joué dans ce club en France et le patron nous a servi des haricots et des saucisses de Francfort.
    M. : Direct de la boîte de conserve.
    D. : Direct de la boîte ! Et tous les Gories étaient assis à cette longue table avec sa famille, sa femme et ses enfants, et on a tous bouffé des haricots et des saucisses, et c’est tout.
    M. : C’était tellement bizarre !
    D. : Je me souviens qu’il y avait des flippers dans son club...
    M. : Des miroirs partout...
    D. : Les murs étincelaient, c’était une grande salle, je ne me rappelle plus de la ville.
    M. : Je me souviens d’un très gros show en France, où il y avait ces deux énormes baffles de chaque côté de la scène, et j’ai dû me cacher derrière, sinon Peg n’aurait pas joué.
    D. : Ça, je m’en souviens.
    M. : Et elle m’a jeté une cigarette dessus mais elle m’a loupé. Est-ce que c’était en Hollande ?
    D. : Ça c’était en Autriche je crois. En France, je me rappelle de l’Ubu.
    M. : Ouais, ça s’est passé là !
    D. : Ah, c’était là ? Elle a jeté beaucoup de cigarettes sur cette tournée. Je me souviens que tu devais te cacher parce qu’elle devenait dingue quand tu te mettais à danser.
    M. : Qui était cette fille qui voulait censurer les pochettes de disques, cette femme d’un ponte politique...
    D. : Oh, Tipper Gore.
    M. : Ouais. Peg était la Tipper Gore du rock’n’roll ! Si tu ne te tenais pas correctement à un concert rock’n’roll, elle te rentrait dedans. Il fallait siroter sa bière, pas la vider.
    D. : Quoi ? Siroter sa bière !? En fait, Margaret avait l’habitude d’ôter son tee-shirt et de danser en soutien-gorge, Margaret montait sur scène et elle tournoyait pendant qu’on jouait et Peg n’aimait pas ça du tout, vraiment pas. Margaret se lâchait aux concerts des Gories et elle entraînait le public, parce que quand on jouait à cette époque les gens ne savaient absolument pas qui on était, ce qu’on était, et ils regardaient autour d’eux en se disant, qu’est-ce que c’est, j’ai l’impression que c’est plutôt cool mais je ne suis pas vraiment sûr, je ne sais pas trop ce que c’est. Margaret était en train de danser, de devenir dingue, en train de se secouer et de se déshabiller, et les gens étaient là : Wow, allons-y ! C’est cool ! Elle faisait vraiment délirer le public, mais en même temps parfois elle montait sur scène, elle faisait tous ces trucs sauvages, elle s’agitait entre nos jambes et Peg n’aimait pas ça du tout, pas du tout. Alors quand Margaret commençait à danser, Peg lui lançait des regards venimeux : tu ferais mieux de ne pas trop péter les plombs, sinon... Ce genre de choses... Je ne sais pas pourquoi j’ai oublié ce concert à Toulouse, parce que Mick lui s’en souvient.

      D.I : Il nous a dit qu’il avait vécu ce jour là le moment le plus embarrassant de sa vie ! Quand on vous a demandé de quelle couleur étaient vos sous-vêtements !
     D. : Je crois que ça me dit quelque chose !

    D.I : D’ailleurs Margaret, tu en as profité pour nous montrer les tiens !
      M. : Ah, ah ! Je te crois mais je ne m’en souviens plus.

      D.I : Et Mick avait un slip bleu-blanc-rouge, il a trouvé ça très embarrassant !
     M. : Ça, j’ai du mal à le croire !

FORTUNE

    D.I : La dernière fois qu’on vous a vus, c’était en octobre 2004, à Toulouse, avec les Buff Medways et les Magnetix...
    M. : Ouais, c’était très fun...
    D. : C’était très cool de jouer avec ces mecs et de rencontrer Billy Childish. Je ne l’avais jamais croisé avant. En 1992, il m’a envoyé une carte postale, enfin il a envoyé une carte à l’adresse indiquée sur le disque des Gories, c’était là que j’habitais à l’époque. Il adorait les Gories, ce qui voulait dire beaucoup pour moi parce que j’aimais vraiment énormément les Mighty Caesars. Je ne pense pas qu’il ait fait ça pour beaucoup de gens. Je ne le vois pas en train d’envoyer des tonnes de cartes postales ! Ah, ah ! J’avais vraiment apprécié, et j’étais très excité de le rencontrer. Et il semblait...
     M. : Il semblait tout aussi excité !
    D. : C’était un très bon concert, les groupes à l’affiche étaient bons et le public excellent.

    D.I : Que s’est-il passé depuis pour les Doll Rods ?
    D. : On a enregistré un album. On a tourné aux Etats-Unis, et au Canada...
    M. : On a fait deux DVD.
    D. : On a compilé un DVD de vieux concerts.
    M. : Des chansons jamais sorties.
    D. : Toutes inédites. Des morceaux qu’on joue sur scène mais qui n’ont jamais été enregistrés.
    M. : Et on en a sorti un autre, lui aussi enregistré live, dans les ruines du studio Fortune. Qui n’est plus là maintenant. Je rentrais à la maison quand j’ai vu ce grand D... Sur les bâtiments qui vont être détruits, ils peignent un grand D. J’ai appelé Dan : merde, ils vont démolir le bâtiment Fortune, on devrait y aller et enregistrer, maintenant ! Je leur ai dit de choisir des morceaux, et on les a tous appris sur le champ là-bas dans les ruines. Tu as joué sur un Boom Box, non ? Et moi sur un ampli jouet Barbie Star, parce qu’il n’y avait pas d’électricité. Christine avait amené sa batterie, on enregistrait, et la police a débarqué. Et je leur ai dit : oh, merci d’être venus, on est si content de vous voir ! Ils étaient venus pour nous dire d’arrêter. Mais je leur ai dit : venez, entrez ! Ils étaient là : bon, d’accord, on vient juste voir si tout est OK. Oui, tout va bien, on s’éclate ! Et ensuite ils sont revenus en pleine nuit.
    D. : On était toujours là.
    M. : On était toujours en train de bosser ! Et il faisait noir ! J’arrêtais pas de dire qu’il y avait une panne d’électricité, mais c’était juste qu’il faisait sombre dehors. Il fallait qu’on finisse mais on n’avait pas beaucoup de lumière, il n’y avait que l’éclairage de la rue. Ce n’était pas assez, alors je leur ai demandé s’ils voulaient bien nous aider et braquer leurs gros phares sur nous !
    D. : Et ils l’ont fait.
M. : Et ils l’ont fait ! C’était très cool ! On l’a finalement sorti. J’en suis très fière, c’est vraiment fantastique. Parce que beaucoup de gens sont allés là-bas, ils se sont fait prendre en photo devant le bâtiment, et ils se disent, oh, je suis trop cool, je suis allé à Fortune Rds. Mais ils ne connaissent pas ne serait-ce qu’une chanson enregistrée là-bas.
    D. : Certains si.
    M. : Certains peut-être, mais beaucoup je ne sais pas. Et on connaît plein de gens qui ont travaillé là-bas, enregistré là-bas, donc on y est juste allé et on l’a fait. J’en suis très fière parce que si nous ne pouvions pas faire un disque Fortune, c’est tout ce qu’on pouvait faire de plus proche. Et maintenant il n’y a plus rien, ce n’est plus qu’une parcelle vide. C’était important pour nous de faire ça.
    D. : Et c’est sur notre propre label.
    M. : Ouais, on est sur Swami, mais on sort aussi des trucs de notre côté.
    D. : Les DVD sont sur notre propre label.

PRO-CUL

    D.I : P.R.O.A.S.S. Records...
    M. : Professional Association of Super Sound. C’est ce que je raconte à la banque à chaque fois, ils me regardent bizarrement !
    D. : Ouais, parce que c’est écrit PROASS sur nos chéquiers !
    M. : Ouais... (elle prend une voix sirupeuse - nda) Professional Association of Super Souuunnnd ! Pour ce que j’en ai à faire ! On a fait aussi autre chose, j’essaie de me souvenir... Oui, on est aussi passé au Sleaze Festival. Le jour où on s’est vu, on venait juste de revenir, on était arrivé la veille dans l’après-midi. On était plutôt crevés parce qu’on avait roulé sacrément longtemps. Et on a pas mal joué, on a fait huit concerts d’affilée.

    D.I : Comment ça s’est passé au Sleazefest ?
    M. : C’était vraiment cool. Parce que pas mal de gens râlaient, disaient que le Sleazefest c’était plus ce que c’était. On avait l’habitude de s’y précipiter des quatre coins du pays, et je pense que c’est devenu moins gros, et les gens n’étaient pas aussi excités, mais il y a eu ce buzz autour du fait qu’on jouait là-bas. Nous, on était très excités. On a joué en ouverture de deux autres groupes de Detroit, tu vois, on est là depuis beaucoup plus longtemps qu’eux, on envoie à mon avis un peu plus, et on en a fait plus qu’eux, mais on se disait : génial, on va ouvrir pour eux. Les gens nous ont dit : vous voulez qu’on change l’ordre de passage ? On a dit : non, s’ils veulent ouvrir, ils ouvrent, sinon ils vont devoir passer après nous. On a monté un show comme celui avec Billy Childish multiplié par dix. Et on a transformé ça en une grande fête, on avait des danseurs dans des cages, je pensais que c’était important de le faire à fond, parce que tout le monde disait que ce n’était plus la fête comme avant, et on a transformé ça en une énorme fiesta. Je pense que c’était fun pour tous les groupes, ce qui est cool. Plutôt que de faire un show rock’n’roll classique... ce qui a toujours été le but des Doll Rods de toute façon. Parce que quand tu vas à un concert rock’n’roll, il faut que tu passes un super moment que tu n’oublieras jamais. C’est ce qu’on a fait, c’est bien.

DIDDLEY BOW

    D.I : Vous pouvez en dire plus sur le nouvel album ?
    D. (après un silence) : Que dire ?
    M. : Ah, ah, ah ! Alors ?
    D. : Il y a douze nouvelles chansons...
    M. : Certaines a capella, certaines gospel...
    D. : Ouais, ça devrait sortir en mars prochain...
    M. : Il y a de jolis enregistrements primitifs là-dessus...
    D. : Des chansons plus primitives...
    M. : Oui, une des chansons originales a été écrite au tout début du groupe et on l’avait oubliée. Et Dan joue du Diddley Bow.
    D. : Oui, je joue un peu de Diddley Bow, la guitare à une corde, sur un morceau. J’ai aussi utilisé un jouet pour gamin, un xylophone, sur un morceau.
    M. : Il sonne si bien !

    D.I : Des reprises ?
    D. : Il y en a une d’Elvis...
    M. : Tu l’as dit !
    D. : ... mais on ne dira pas laquelle.
    M. : Et quoi d’autre ?
    D. : Il y a une cover de Danny Albert (Margaret se fend la pêche - nda), qui était une sorte de chanteur soul.
    M. : Je joue d’un instrument très inhabituel sur celui-là, je ne pense pas que quiconque ait déjà joué de cet instrument.
    D. : Parce que ce n’est pas vraiment un instrument. He, hé, hé.
    M. : Et ils m’ont fait jouer ce truc encore et encore et encore jusqu’à ce qu’ils aient le son qu’ils voulaient, et j’ai cru que mes bras allaient tomber à terre.
    D. : Mais tu ne vas pas dire ce que c’est...
    M. : Non. C’est une surprise. On n’en dira pas plus.

BLOODSHOT BILL

    D.I : OK. L’autre jour, Dan a joué avec Bloodshot Bill, comment vous vous êtes rencontrés ?
    D. : C’est Margaret qui l’a rencontré. Margaret a son show solo maintenant...
    M. : Ah ouais, on s’est rencontré au...
    D. : ...festival des One-Man-Band...
    M. : ...à Chicago. Bob Log était en tête d’affiche, j’ai ouvert pour lui. Il y avait ce mec de La Nouvelle Orléans, j’arrive plus à me souvenir de son nom... C’était fantastique, tous ces one-man-band, et j’ai rencontré Bill, mais je n’ai pas vu son concert. Il était si sympa, il m’a dit : je peux te monter une tournée en solo jusqu’à Montreal. Je lui ai dit : d’accord, j’y vais. Et on a tourné tous les deux dans un van, parce que d’habitude il ne joue que tout seul, l’autre jour il a accompagné Danny uniquement parce que c’était mon anniversaire. D’ailleurs, il était venu jouer chez ma mère un peu plus tôt dans la journée. Parce que mes parents adorent ce genre de musique. Ah mon Dieu, ils ont dansé, ils étaient dingues, c’était vraiment, vraiment chouette. Parce que juste avant, ma mère disait : oh, j’ai une double hernie, je dois me faire opérer... bla bla bla... Après, yeah ! (elle se met à se secouer - nda) Une double hernie, mon cul !
    Donc j’ai rencontré Bill à ce festival, ensuite on a tourné jusqu’à Montreal, on a monté un super show tous les soirs, qu’il y ait du monde ou pas, on s’est bien marré, ensuite le van a commencé à se déglinguer. Pour le démarrer, tous les jours, il devait ramper dessous et frapper sur le starter avec un marteau pendant que je mettais les gaz ! Et on a fait ce petit manège, mais Bill m’a dit : Margaret, tu ne peux pas rentrer à la maison, tu vas être obligée d’éteindre le moteur, tu en as pour dix heures - il avait l’habitude du camion - tu vas devoir faire le plein... il faut changer ce starter. Et il n’est pas mécanicien, moi non plus, et on n’avait pas d’outils. On est allé dans un garage, ils nous ont vendu la pièce, ils nous ont prêté tous les outils et on l’a changée ensemble. Lui il a tout dévissé et moi j’ai mis les trucs dedans, je n’arrivais pas à dévisser, j’ai essayé, il a tout dévissé parce qu’il sentait à quel point j’avais envie de changer ce starter ! Il y avait de la graisse partout, j’étais recouverte de cambouis et de saletés. Mais j’étais si heureuse, j’avais fait ma première tournée solo par moi-même avec Bill, j’avais changé le starter. Je me suis fait arrêter à la frontière, je leur ai dit : j’ai changé le starter, vous pouvez vérifier le van, il n’y a rien... mais j’ai changé le starter ! C’était vraiment un bon moment, c’était archi-comble à Montreal. C’était fun. Et on est amis depuis. Il a pas mal roulé sa bosse, il a tourné en Europe pour la première fois cette année.

    D.I : Oui, avec King Automatic, un one-man-band français...
    M. : C’est ça... Mais comment s’appelait ce gars de La Nouvelle Orléans ?
    D. : King Louie.
    M. : Ouais, c’est ça, King Louie était à Chicago aussi.

    D.I : On dirait qu’il y a toujours plus de one-man-bands partout...
    M. : Oui, ça devient vraiment populaire.
    D. : C’est très tendance !
    M. : Je pense que je suis la seule fille, je ne crois pas qu’il y en ait d’autres. Je ne sais pas. J’ai pas vu d’autres filles le faire. Mais c’est le pied, c’est sûr.

JOHN LEE HOOKER

    D.I : Et toi Dan, tu as pensé à faire quelque chose en solo ?
    D. : J’ai fait un concert en solo cet été...
    M. : Au Soul Food Taste Festival...
    D. : Un gros festival au centre-ville. Mais je ne joue pas d’autre instrument que la guitare à mes concerts, je joue juste de la guitare et je chante. Je joue en acoustique essentiellement, mais parfois je prends l’électrique. Margaret m’a accompagné sur quelques morceaux, où elle a fait du finger picking sur une gratte acoustique et j’ai gardé la guitare électrique. Et j’ai joué du Diddley Bow. J’ai fait deux shows en solo en fait. Sur le premier, j’ai joué de la guitare et j’avais un harmonica. Mais ce n’est pas vraiment comme un one-man-band.

    D.I : C’est plus comme un bluesman...
    D. : Oui, mais il y a une certaine variété, je joue du blues, mais aussi...
    M. : Tu as joué un morceau brésilien.
    D. : Oui, je chante un morceau en portugais  écrit par Rita Lee, qui était dans Os Mutantes. Je joue un morceau de Bobbie Gentry (célèbre pour “Ode To Billie Joe” - nda), une chanson des New York Dolls à la guitare acoustique...
    D.I : Laquelle ?
    D. : “Looking For A Kiss”.
    M. : Et c’était bon, vraiment.
    D. : J’en joue une de Johnny Thunders, “I’m A Boy, I’m A Girl”. A la guitare acoustique aussi. Tu vois, des trucs comme ça. Et aussi de vieux blues traditionnels. Je fais du finger picking... (Benny se remet soudain à grogner et à japper comme un enragé, Margaret s’éclipse pour calmer la bête à coup de croquettes - nda) Je travaille en open tuning, tous ces vieux trucs...

    D.I : Tu es resté fidèle à tes vieilles racines blues depuis les Gories...
    D. : Oui, j’adore toujours autant ça, si ce n’est plus. Et j’en ai tellement appris sur la façon de jouer cette musique depuis les débuts des Gories. Quand j’étais dans les Gories, je n’imaginais pas que je pourrais un jour jouer ce que je sais jouer aujourd’hui. Je veux dire, je rêvais d’y arriver, j’espérais y arriver, mais les open tunings étaient un complet mystère pour moi à cette époque. Et même avec John Lee Hooker... Sur “Boogie Chillen”, il a fallu à la fois Mick et moi pour jouer ce qui était fait à l’origine par une seule personne, J. L. Hooker. Il a fallu qu’on soit deux pour y arriver. Maintenant je peux jouer cette chanson en open tuning et je sais comment il a fait, mais à l’époque je n’en savais foutre rien, j’écoutais John Lee Hooker et je n’avais pas la moindre idée de la façon dont il produisait ces sons. Et maintenant je peux m’asseoir avec le disque, ma guitare accordée en “open D”, disons, avec le capo... Un truc qui est dingue à propos de John Lee Hooker, c’est qu’il puisse jouer avec une telle variété de tonalités. Beaucoup de bluesman ne jouent que sur une ou deux tonalités, trois au mieux, peut-être un Mi, un La et un Sol, quelque chose comme ça. John Lee Hooker, ça part dans tous les sens, c’est dingue, chaque morceau est dans une série différente de tonalités... Je peux donc m’asseoir avec le capo et jouer par-dessus le disque, garder ce groove et rentrer dedans. J’étudie ça de plus en plus.
    M. : Mais qu’importe le temps que tu passes à étudier le style de quelqu’un d’autre, tu auras toujours ton propre son.
    D. : Oui, je pense. Le truc c’est que quand je joue une chanson, je ne peux pas vraiment la jouer comme quelqu’un d’autre, et avant, c’était ce que je voulais, mais maintenant j’en suis venu à aimer ma propre façon de l’interpréter.
    M. : Et si on va dans un magasin de guitares et que je ne sais pas où il est, je pourrai toujours le trouver si je l’entends, parce que tout le monde sonne pareil, mais Dan, il a son propre son.

SIRENS

    D.I : Et maintenant, il y a la soeur de Dan, Muffy, qui chante aussi...
    D. : Yeah...

    D.I : Avec les Sirens...
    D. : Yeah...

    D.I : Avec un costume différent tous les soirs, un peu comme les Doll Rods...
    D. : Yeah ! Ah, ah ah !

    D.I : Et ?
    M. : Et ? Ah, ah, ah !
    D. : Je ne sais pas quoi dire là-dessus... Je ne sais pas quoi dire... Je veux dire, si elle s’éclate, c’est super. On dirait qu’elle aime ça, donc c’est cool pour moi. En fait... je dirais qu’elle a toujours eu de bons goûts musicaux, je peux dire ça à son sujet, et elle a toujours été une bonne chanteuse, même si je ne l’ai jamais vraiment imaginée comme une chanteuse rock’n’roll...
    M. : Elle a toujours aimé les ballades au piano, elle adorait aller dans ces “piano bars”, et elle chantait toutes ces chansons accompagnée au piano.
    D. : Elle avait cette, comment dire, cette ambition, ou cette idée de chanter dans un bar à cocktails avec un piano.
    M. : C’était son truc. Maintenant elle a cet autre truc. Et c’est assez différent de nous, parce qu’on a toujours joué pratiquement nus, avec un petit truc par ci par là, en espérant que les gens comprennent que ça n’a rien à voir avec le costume, que c’est une question d’âme. C’était toute l’idée derrière le fait de jouer à moitié déshabillés, une ligne directe vers un moment de plaisir, parce que tu traites directement de l’âme à l’âme. On sait qu’elle s’est inspirée de nous, mais avec ces costumes et uniquement des covers...
    D. : Ça fait beaucoup de “couvertures” !
    M. : Et on se demande : où est Muffy là-dedans ? Où est l’âme de Muffy ?
    D. : On en a assez dit là-dessus. Ah, ah !

WHITE GODFATHER

    D.I : D’accord... Pour en revenir aux Doll Rods, on a été surpris de ne pas vous trouver sur la compil Sympathetic Sounds Of Detroit, où il y avait tous ces groupes produits par Jack White, sur Sympathy...
    D. : Yeah, on n’était pas sur celle-là. Jack m’a bien appelé, il m’a demandé si on voulait en être, il voulait produire et enregistrer tous les morceaux. Et on avait toujours produit et enregistré nous-mêmes, et on voulait, je pense, continuer à produire et enregistrer nous-mêmes...
    M. : On avait un paquet de raisons, on venait juste de finir deux très, très longues tournées. Et j’ai eu... (elle se retourne et montre une cicatrice sur sa colonne vertébrale - nda) ... là tu vois, il y a une marque, c’est permanent, c’est arrivé sur cette tournée européenne, juste avant de recevoir ce coup de fil, et je ne pouvais quasiment plus bouger le bras, je ne pouvais même pas porter mon sac pour aller aux toilettes, les nerfs étaient touchés. Les disques vertébraux étaient à la limite de la rupture. C’était comme si les forces de l’univers s’étaient liguées pour qu’on ne fasse pas partie de ça. Je veux dire, que Dieu bénisse tout le monde et tout ce qu’ils font, je suis tellement excitée par leur succès, mais quelque chose m’a toujours dit que l’on ne faisait pas vraiment partie de ça. On ne fait pas vraiment de musique garage, on n’est pas vraiment un groupe garage, ce n’est pas notre propos. On parle d’âme, d’honnêteté, ça a toujours été un sujet important pour nous, spécialement pour moi, la pureté, la vérité... Je suis vraiment excitée pour tous ceux qui ont du succès, je le suis vraiment, du fond du coeur, mais pour les Doll Rods, tu peux avoir du succès et garder ton âme, et être sincère avec toi même comme avec tous les autres. Et à cette époque... Meg... il y a quelque chose en Meg que j’aime beaucoup, mais Jack, je ne le sens pas, je ne le sentais pas, et je ne voulais pas y aller, et j’éprouvais beaucoup de douleurs physiques, mais maintenant je suis assez reconnaissante de ne pas avoir participé à ça. Il y a d’autres choses qu’on a faites comme la compilation hommage au Gun Club et j’ai adoré, j’ai aussi adoré travailler avec Niagara. Pour moi il s’agit de travailler avec tes amis, et non pas de laisser tes amis s’occuper de toi. Je pense que le talent peut vraiment s’exprimer quand tu travailles avec tes amis, comme pour l’album Silky. C’est probablement un des meilleurs albums de tous les temps. On a vu Andre il n’y a pas si longtemps et on était tellement heureux de se retrouver. On s’est bagarré, on a eu des moments difficiles...
    D. : Dans le passé...
    M. : Dans le passé... Et cette fois, on était si heureux de se revoir. Et c’est une chose que je peux dire pour expliquer pourquoi Silky est si génial, personne n’avait pour boulot de tout contrôler, je veux dire, tout le monde devait travailler ensemble, pour pouvoir lui extirper ses chansons avant qu’il ne soit trop bourré. Il fallait vraiment travailler ensemble pour rendre cet album aussi magnifique, et tout le monde l’a fait. C’est ce en quoi je crois. Je ne sais pas, je ne crois tout simplement pas que quelqu’un soit tellement meilleur que n’importe qui d’autre. Je pense que tout le monde a un don, à offrir. Et je pense que quand quelqu’un dit automatiquement je vais m’en occuper, je vais tout faire, il ne va pas obtenir le don que chaque âme a à partager. Mais, je veux dire, c’est comme ça que je vois les choses avec le recul, parce qu’à l’époque, même si je l’avais voulu, je n’aurais pas pu jouer. J’aurais pu chanter, mais je ne pouvais pas jouer, je ne pouvais même pas conduire.

BLACK GODFATHER

    D.I : Que devient Andre Williams alors ?
    M. : Il a un tout nouveau groupe.
    D. : Oui, il vit à Chicago maintenant, et il y a un gars là-bas qui s’est occupé de lui trouver un groupe, c’est ce qu’on pourrait appeler son directeur musical.
    M. : Ils sont tous très jeunes.
    D. : Il a engagé un nouveau groupe de mecs très jeunes et vraiment bons.
    M. : Et ils ont une sacrée allure, des gamins au super look !
    D. : Un organiste, un guitariste, un saxophone, un très bon batteur...
     M. : Et l’orgue a un son incroyable...
     D. : Ouais, un gros Hammond vintage...
    M. : Le son était somptueux... Et Danny a joué de la guitare solo avec eux sur scène, et je me suis bien éclatée. Pas tout à fait aussi bon qu’avec les Gories, mais c’était un bon moment. Parce qu’on n’avait pas vu Andre depuis longtemps, et beaucoup disaient : oh, mais on a déjà vu ça plus d’une fois. Mais il était bon. Je l’ai déjà vu dans des mauvais soirs. Et je serai sûrement la première à lui secouer les puces, ça a été mon job il y a longtemps, tu vois, Andre avait l’habitude de m’appeler le Boss ! Mais là il était bon. Ils étaient très bons.

    D.I : Il a eu un tas de groupes différents.
    D. : Ouais, et certains n’étaient pas aussi bons...
   M. : Ils n’étaient pas aussi bons, et, tu vois, j’aime les kids des Countdowns, j’aime Brian et tous les autres, mais ce nouveau groupe, je ne connais pas leurs noms, mais ils sont vraiment bons.

DETROIT SOUL

    D.I : Tu parlais d’honnêteté tout à l’heure, de l’âme... Quand vous êtes passés à Toulouse, le moment où Dan a joué ce vieux blues et que tu t’es mise à danser, c’était vraiment magique...
    M. : Quand j’étais petite ma mère dansait à l’église, tout le monde était très strict, mais c’était ma mère, totalement dingue ! Et je pense que ton corps est un instrument important, autant que n’importe quel instrument musical dont tu peux jouer, je pense que le corps est un des instruments les plus importants, et tout le monde en a un !

    D.I : Quels sont vos groupes préférés de Detroit ?
    D. : Les Stooges, définitivement. Tous ces mecs ont été une grosse influence. Tu vois, je les admire, disons, en tout : l’attitude, le jeu de guitare, les vocaux...
    M. : Des gens adorables...
    D. : Je me sens privilégié d’avoir pu les connaître un peu. J’aimerais rencontrer James Williamson. J’adore tous les trucs Fortune bien sûr, Nolan Strong...
    M. : Je crois que c’est mon chanteur préféré...
    D. : Et bien sûr le MC5, ces mecs étaient givrés, tout le monde le sait, mais c’était vraiment un grand groupe. Il y a aussi les Hysteric Narcotics, un groupe oublié qui faisait du garage dans les 80’s et qui le faisait très, très bien, un groupe excellent. Ils ont aussi joué dans 3-D Invisibles, ou The Zombie Surfers qui faisaient du surf, longtemps, longtemps avant que ça revienne à la mode.
    M. : Certains disent qu’ils ont démarré la scène ici.
    D. : C’était génial, ils étaient masqués, ils faisaient du surf dix ans avant le revival. Ça a été une de nos inspirations. Sinon à Detroit... Juste beaucoup de trucs Fortune en fait, car Fortune était un label fantastique, il y avait tellement de styles différents, il y avait du gospel, de la soul, du doo-wop...
    M. : Du hillbilly...
    D. : Hillbilly, rockabilly... Notre ami Tony Fusco qu’on aimait beaucoup et qui est mort l’année dernière, a eu une grosse influence sur nous. Il ne jouait pas d’instruments, mais il avait un tel amour et une telle passion pour la musique, pour toute la musique de Detroit...
    M. : Il y a des tas de trucs dont on n’aurait jamais entendu parler sans lui. Et la plupart des gens n’en ont jamais entendu parler, mais peut-être qu’en nous voyant jouer ces vieux trucs, ou en voyant quelqu’un les jouer...
    D. : S’asseoir et écouter un disque avec lui, c’était quelque chose. Il le ressentait tellement que c’était contagieux, tu pouvais ressentir la musique à travers lui. Il m’a ouvert les yeux avec sa passion.
    M. : Et il n’y avait pas vraiment grand monde qui se sentait concerné. Quand Nolan Strong est mort, sa famille ne pouvait pas lui payer une pierre tombale. Il faisait quoi, vigile ou quelque chose comme ça quand il est mort ? Tony a réuni tout un tas de groupes pour faire la fête et payer à cet homme une pierre tombale, pour qu’il ait au moins ça, sinon il n’y aurait même pas eu d’inscription sur sa tombe pour qu’on sache qui il était.
    D. : Oui, c’est un mec de Detroit qui nous a beaucoup inspirés même s’il ne jouait pas. Et il aimait tout un tas de musiques différentes : punk, rockabilly, hillbilly... le hillbilly du Sud que beaucoup de gens qui aiment le rock’n’roll n’écouteraient probablement pas, et tout le doo-wop, le vieux blues traditionnel...
    M. : Une des choses les plus géniales à propos de la musique, je pense, c’est qu’elle ne vient pas d’une certaine ville, ça ne vient pas de Detroit, ça ne vient pas de Chicago... C’est pas la ville qui est importante. S’ils ne viennent pas de Detroit, et alors ? Si tu penses comme ça, tu vas louper la musique que tout le monde a à offrir. Andre par exemple, il est à fond dans le mambo, et il a toujours infusé ça, mélangé... C’est ce qu’était Detroit...
    D. : Un melting-pot...
    M. : Un melting pot de toutes ces différentes sortes de musique. Et ils n’étaient pas nés ici, tous ces gens fameux de Detroit.
    D. : Non. Je ne savais même pas jusqu’à il y a peu que tous les musiciens de la Motown venaient du Sud. Ils étaient du Mississippi...
    M. : Ils sont venus ici...
    D. : De l’Alabama, de la Georgie, et toutes ces personnes sont montées ici pour bosser...
    M. : Pour faire de l’argent dans les usines de voitures...
    D. : Du Kentucky, du Tennessee, de tous ces états du sud... Il y avait ce riche mélange...
    M. : Et des gens du monde entier sont venus ici pour une raison ou une autre.
    D. : C’est comme si... Detroit n’est pas Detroit, tellement de gens de tellement d’endroits différents sont venus ici, et ce mélange unique, OK, ça c’est Detroit. Mais beaucoup n’étaient pas originaires d’ici. Beaucoup de ce qu’on appelle Detroit vient du Mississippi, tu vois ?
    M. : Et ce que ça a donné pour moi, c’est la voix... C’est ce que j’admire. Je ne parle pas d’un chanteur, c’est la voix de toutes sortes de gens différents...
    D. : Se rassemblant...
    M. : Toutes sortes d’âmes différentes...
    D. : Travaillant ensemble...
    M. : Se rassemblant, travaillant ensemble pour faire quelque chose de beau. Et ça, c’est la voix, que j’admire, de Detroit. J’espère qu’elle reviendra un jour.
    D. : Detroit, c’est triste, mais ce n’est plus que l’ombre de ce que ça a été, vraiment, et c’est comme si on jouait dans les ruines de ce qui a vraiment été grand un jour. Mais il y a toujours de la beauté par endroits. Les ruines sont toujours belles. Et les disques sont toujours là, tu vois.
    M. : Je dois dire qu’il y a quelqu’un qui vient de Detroit et que j’aime vraiment beaucoup, c’est Suzy Quatro.
    D. : Ah oui, oui...
    M. : J’adore vraiment Suzy Quatro. Je l’admire, je pense qu’elle est incroyable. Un jour je conduisais Andre, j’avais cette très vieille bagnole, j’avais un petit lecteur cassette à l’avant, j’ai mis une cassette de Suzy Quatro, et il a complètement fondu les plombs : (elle imite Andre qui braille - nda) “Ça c’est une sacrée BAD ASS !” Il a pété les plombs, il l’a adorée, il a dit que c’était le truc le plus rock qu’il ait jamais entendu ! Il était dingue de Suzy Quatro, il adorait... J’étais là : wow, du calme ! Parce qu’il était en train de danser ! Etre avec Andre dans une voiture c’est quelque chose, il tapait du pied, il tournoyait dans tous les sens, il était tellement excité ! Il disait : ELLE EST INCROYABLE...

    D.I : L’autre jour avec John, on a écouté les Pleasure Seekers, son groupe sixties...
    M. : Danny m’a offert un très joli poster en métal des Pleasure Seekers jouant dans...
    D. : Un spectacle de Hot Rods, de voitures.
    M. : Oui, c’était pour mon anniversaire il y a longtemps.
    D. : Je l’ai trouvé dans les ruines d’une ancienne imprimerie.

DESTROY SOUL

    D.I : Un des édifices détruits du centre ?
    D. : Oui. Ils imprimaient des tracts et des affiches, et c’était le master en métal avec lequel ils imprimaient les tracts.
    M. : Un des trucs aussi quand tu vis à Detroit, c’est que lorsque tu vas dans ces bâtiments... C’est tout ce que ça demande en fait, il suffit d’un regard sur un poster ou une photo pour savoir que tu vis dans l’ombre de quelque chose qui a été. Qu’importe ce que disent les gens, j’ai vu ces vidéos ou ce qui s’est écrit sur le People Mover. C’est vraiment le truc le plus craignos de la ville...
    D. : Ouais, le People Mover !
    M. : C’est une blague, c’est la plus grosse blague de Detroit !
    D. : C’est un piètre alibi pour des transports en commun, tu vois !

    D.I : La ligne est toute petite...
    M. : C’est minuscule, ça t’amène autour de quelques bars...
    D. : Et bien sûr, ça a coûté des millions de dollars, et le budget a été largement, largement dépassé, il y a tellement de corruption !
    M. : Ça a été fait pour attirer les cadres japonais de l’industrie automobile, c’est vraiment ça. Leur petite boucle passe devant deux ou trois bars, quelques restaurants, mais elle devait aussi passer devant la Joe Louis Arena et d’autres salles, et il y avait toute cette section qu’il fallait traverser pour boucler le circuit, qui était complètement abandonnée, les immeubles étaient à l’abandon. Alors ce qu’ils ont fait, c’est qu’ils ont recouvert les fenêtres, et il les ont peintes pour faire croire... qu’il y avait des gens à l’intérieur ! Qu’il se passait quelque chose ! (grosse poilade générale ! - nda) Il y avait ces façades de théâtre, et je pense que ça représente bien ce que c’est vraiment, c’est un show, une histoire imaginaire... Et je me dis : mais pourquoi ? Quand tu as encore une chance, tu peux vraiment faire quelque chose de réel... Une autre chose sur cette ville qui me stupéfie, c’est qu’il y a eu Eminem, Kid Rock, les White Stripes, ils marchent à fond, ils sont tous de Detroit... En fait je pense qu’Eminem est le seul qui soit réellement de Detroit...
    D. : Jack a grandi à Detroit...
    M. : Je ne sais pas. Mais, qu’est-ce qu’ils font pour Detroit ? Il y a tant de kids qui aiment leur musique... Et ils sont si riches. Je me dis : est-ce que vous ne pourriez pas donner une heure de votre temps à une école publique pour enseigner la musique ? Si vous faites ça vous aurez le plus fabuleux choeur dont vous puissiez rêver. Pourquoi vous ne donnez pas à la ville un peu de vous-même d’une façon ou d’une autre ? Un concert gratuit ? C’est pas vraiment comme si nous on pouvait se le permettre, tu vois, Danny doit bosser, moi j’ai dû en faire beaucoup, vous les gars, vous en avez plein les poches, pourquoi ne pas donner quelque chose qui pourrait transformer Detroit, comme un grand festival de musique, une grande fiesta, ça pourrait faire de Detroit une ville agréable à vivre. Pourquoi pas ?

8 MILE

    D.I : Eminem a fait ce film, 8 Mile...
    D. : Je l’ai trouvé bon.
    M. : Oui, c’est un bon film. Et on se sent connecté à ce film parce qu’on a eu un manager qui était aussi le manager d’Eminem. Il ne faisait pas grand chose pour nous, donc on l’a laissé partir. Mais je lui ai demandé encore et encore et encore : est-ce que tu peux nous faire entrer dans le Michigan Theater, je veux enregistrer là-bas.
    D. : C’est un vieux cinéma qu’ils ont transformé en parking.
    M. : Les Stooges y sont passés...
    D. : Metallic Ko y a été enregistré.
    M. : Tous ces gens ont joué là-bas, et on voulait y enregistrer, juste arriver en voiture, s’installer dans le parking et jouer. Et je lui demandais : est-ce que tu peux nous obtenir les autorisations ? Bien sûr, il n’a pas pu, mais il a pu le faire pour Eminem ! Au moins, c’est une bonne chose, de voir cet endroit utilisé comme ça, c’est cool.
    D. : J’ai grandi à côté de 8 Mile Road, c’est mon coin. C’est marrant, quand ils ont tourné ce film, ils ont pris différentes parties de Detroit tout autour de la ville pour les assembler et faire croire qu’elles étaient à côté. C’est marrant de voir comment Hollywood fonctionne, parce que je connais si bien la ville, et je vois comment ils ont pris différentes pièces pour les assembler comme dans un puzzle, c’est une sorte de vision fantastique de Detroit, tu vois, c’est comme si tu faisais un rêve sur Detroit, ces différents endroits se retrouveraient ensemble. Ils ont montré le Michigan Theater comme s’il était à côté d’un night club, ils sortent à pied du night-club et ils se retrouvent soudainement dans le parking. Ces deux bâtiments ne sont pas con-nectés bien sûr, ils ont fait ce genre de choses pour construire ce puzzle fantasmagorique de Detroit.
        M. : Et il y a ce restaurant dans lequel ils rentrent dans le film, qui était toujours fermé.
     D. : C’est un vieux restaurant exotique...
  M. : Et les portes é-taient tellement cool, je passais souvent en voiture devant.
     D. : Il y avait une grande peinture sur le côté avec le nom, Chin Tiki...
  M. : J’avais toujours voulu voir l’intérieur. Le Michigan Theater, on y entre comme on veut, si tu dis que tu vas voir un match de base ball, on te laisse te garer, j’y ai amené mes amis plus d’une fois. Mais le Chin Tiki, on ne pouvait pas y entrer. Et une nuit on est passé devant, et ce mec, je ne sais pas pourquoi, il l’avait réouvert...
    D. : Ils ont sûrement réouvert l’endroit à cause de la notoriété acquise grâce au film.
    M. : Ouais, il nous a laissé entrer, se balader à l’intérieur, il ne nous a même pas prêté attention, il nous a laissé faire. C’était cool, donc je pense qu’on est potes avec Eminem maintenant !

ELECTRO

    D.I : D’autres projets à part l’album ?
    M. : On part en tournée aux Etats-Unis fin octobre je crois, on fera un break pour les vacances. J’ai un nouveau mini-album solo. L’an dernier je suis allée au Brésil pour un mois et demi et je l’ai enregistré là-bas, je vais essayer de sortir ça rapidement, et Dan et moi avons un nouveau projet sur lequel on travaille appelé Lil’ Miss Led And The Pussy Patrol. Ce n’est pas du tout comme les Doll Rods, les gens ne savent pas vraiment que c’est nous, on est déguisé, on porte des perruques...
    D. : D’énormes perruques Afro...
    M. : Des perruques géantes, on dirait qu’elles sortent d’une poubelle ! J’en ai montré une à Andre, il a adoré ! C’est de la booty music...
    D. : Il y a un côté électro, j’utilise une drum-machine vraiment primitive, et j’envoie des lignes de basse sur un vieux synthétiseur, et Margaret rappe, chante et danse, je rappe et je chante aussi...
    M. : La danse que vous avez vue, c’est beaucoup de ça, mais de façon très exagérée...
    D. : De l’électro très primitive...
    M. : On fait des trucs à la early Gilda Radner façon Saturday Night Live. Tu vois à quel point c’était ridicule, les premiers Saturday Night Live, totalement débile ? C’est dans le même genre. Les gens aiment bien.
    D.I : Ça doit être un sacré spectacle !
    M. : On a fait trois shows, et à deux d’entre eux, les gens ont halluciné. Totalement halluciné. Et on n’avait, je crois, que cinq chansons. Il y a eu des rappels et on ne savait plus quoi jouer.
    D. : On en a joué cinq, et une d’entre elles à nouveau parce qu’on n’en connaissait pas d’autres.
    M. : On n’en connaissait pas d’autres ! C’était vraiment ridicule, et on a bien l’intention de creuser l’affaire. Parce que Christine aime tourner mais pas autant que Dan et moi. Alors on doit lui laisser un break parfois.
    D. : Et elle n’est pas vraiment intéressée par un projet solo.
    M. : Oh, non, non, pas du tout. C’est juste... Christine.

CHRISTINE SIXTEEN

    D.I : Elle est importante dans le son des Doll Rods...
    D. : Oui, très...
    M. : Oh, elle est incroyable. On le lui dit tout le temps.
      D. : Elle a une super voix aussi.
     M. : Bloodshot Bill nous a dit : pourquoi vous ne laissez pas Christine chanter ? On supplie, on la supplie, on la supplie tout le temps de chanter ! Aujourd’hui c’est la première fois qu’elle chante à une répétition.
    D. : La première fois qu’elle chante et qu’elle joue de la batterie en même temps. C’était un moment capital ! Aujourd’hui c’est arrivé, donc on espère que ça ira plus loin.
    M. : Elle a une voix cool !
    D. : Oui, vraiment, et ça ajoute tellement au groupe quand elle chante en plus, tu vois...
    M. : Elle chante déjà une chanson...
    D. : Ça le rend plus puissant, tu vois ?
    M. : Et ceux qui l’ont entendue demandent à ce qu’on la laisse chanter plus souvent. On la supplie ! Yeah, aujourd’hui elle a chanté. On enregistrait un nouveau morceau, et à un moment y’en a un qui voulait ce genre de feeling, et un autre qui voulait ce genre là, et j’arrange, j’essaie de mettre ça au point, OK, je prends toutes les idées, et Christine dit qu’elle voudrait avoir un feeling plus Kiss, quelque chose comme ça. Et on était là : vraiment ? Mais le batteur de Kiss, lui, il chantait ! Ah, ah, ah !

MOVIES

    D.I : Des films ou des bouquins à recommander ?
    M. : Ah, ah, ah, ah !
    D. : Hum, j’aime beaucoup de vieux films.  J’ai acheté un coffret DVD de tous les Little Rascals, tu connais ces comédies des années 20 et 30, avec Spanky, Alfalfa, Buckweed... Jamais entendu parler ? Oui, j’aime surtout les vieux films...

    D.I : Rien de récent ?
    D. : Je pourrais te citer beaucoup de films récents merdiques ! Je ne sais pas si je pourrais t’en citer des bons !
    M. : J’ai regardé Pumpkin l’autre jour, et j’ai bien aimé cette histoire d’une jolie fille qui tombe amoureuse d’un garçon handicapé mental, et je me sentais complètement en phase avec le garçon attardé. Les autres me voient comme une espèce de sex-symbol, mais souvent le monde me paraît confus, et si je trouve que quelqu’un est mignon je trippe à fond ! Je me suis vraiment sentie comme Pumpkin, je me suis dit : Yeah, une jolie fille qui tombe amoureuse d’un garçon attardé, WAOUUUH !
    D. : J’ai découvert pas mal de films des années trente et quarante, je pense que c’est mon époque préférée. Il y a cette chaîne cablée...
    M. : Turner Classic Movies !
    D. : TCM, ils ne passent que ça.
    M. : Je ne regarde pas tant de films que ça pour être honnête. Et j’ai juste commencé à lire cette année... Oui, je suis tellement occupée, à lâcher la bride à mon imagination, que je ne me suis jamais senti de lire, mais bon, j’ai commencé cette année. On a vu To Catch A Thief (La Main Au Collet) l’autre soir...
    D. : Avec Gary Grant et Grace Kelly. Du début des fifties.
    M. : Il y a aussi ce film qu’on a vu récemment, cette femme avec le singe...
    D. : Oh, Sunset Boulevard. Avec Gloria Swanson, cette vedette du cinéma muet des années vingt. Et ils ont fait ce film au début des années cinquante, c’était encore en noir et blanc, où elle joue une star vieillissante du cinéma, ce qu’elle était elle même...
    M. : Elle joue son propre rôle...
    D. : Oui, et elle vit dans cette grande demeure typique des glorieux jours d’Hollywood des années vingt, elle a cette vieille limousine. Dans la scène d’ouverture, elle enterre son singe apprivoisé ! Et il y a ces grandes funérailles... Outrancier ! Tout le film est outrancier. Elle est dans sa salle de bain, elle prie et elle pleure et son singe est dans son cercueil, puis elle va dans le jardin pour accompagner le cercueil en terre. C’est la première scène. Un excellent film.
    M. : Il y a des bouquins sur elle aussi...
    D. : Michael le chanteur des Cynics nous a parlé de ce film : “Il faut que tu vois ça !”.
    M. : Le livre sur Gloria Swanson est réputé être incroyable aussi. Je ne l’ai pas lu, mais c’est ce que j’ai entendu dire. J’essaie toujours de terminer mon bouquin sur Isadora Duncan. Dan me l’a acheté pour Noël, et... (elle farfouille sur la table, l’extirpe et l’ouvre au début - nda) ...j’en suis que là ! Ah, ah, ah !

SEXE, CENSURE ET CATHARISME

    Tandis que Benny se met à ronfler comme un bombardier, la discussion prend un tour un peu décousu, et assez inattendu...

    D. : Vous avez fait quelques magasins de disques ? Peoples, au centre-ville ? Maze ? Ce sont mes deux préférés, parce que ce sont de tous petits magasins pleins de vieux 45 tours. Beaucoup de bonne musique soul de Detroit, ce sont des mines d’or pour la soul de Detroit... Vous êtes allés à Chicago aussi ?
    M. : Detroit est une ville plus dure, Chicago est plus... (elle chantonne innocemment. - nda) C’est bien d’aller partout, j’adore bouger tout le temps, parler avec les gens...
    D. : J’adore voyager en France, vraiment, c’est un très beau pays. Il me paraît beaucoup  plus civilisé...
    M. : La dernière fois qu’on est venus, on est allé en pélerinage là où a vécu Marie-Madeleine.
    D. : Yeah ! Il y a cette légende qui dit que Marie-Madeleine après la mort de Jesus a pris la mer et a navigué jusqu’au sud de la France...
    M. : Et on est allé partout où il y avait sa trace.
    D. : C’est très intéressant, l’idée qu’elle ait fini ses jours dans le sud de la France où elle a donné naissance à une culture.
    M. : On était dans le van, on lisait des trucs sur les Cathares, on a fait ce pélerinage parce que je suis une grande fan de Marie-Madeleine ! C’est mon héroïne ! Parce qu’elle raconte cette histoire que tu n’es pas supposé connaître, elle a dévoilé ce que la religion ne voulais pas faire savoir, et je pense que c’est ce que je fais avec le rock’n’roll. Tout le monde dit “Sex, Drugs & Rock’n’Roll”, et finalement tout le monde conclut : “Bon, allons juste picoler” et je me dis : où est le sexe là-dedans !
    D. : Il y a cette théorie qui dit qu’elle était la femme de Jesus. Elle aurait eu des enfants de lui et serait venue en France avec eux, et ils se seraient installés et auraient établi une grande culture très éclairée pour l’époque, et qui fut écrasée par l’establishment religieux, c’est l’histoire des Cathares.
    M. : On est allé dans le bled de Jeanne d’Arc, on peut avoir des médaillons Jeanne D’Arc ou des marque-pages et des machins, mais partout où on est passé sur les traces de Marie Madeleine, personne n’était au courant. Marie-qui ? De quoi vous parlez !?
    D. : Il y a quelque chose d’intéressant dans cette version pure du christianisme qui a démarré là. C’est une histoire intéressante et une partie semble cachée. Il y a ces histoires qui disent que les cathares étaient en possession de morceaux censurés de la bible. Ils auraient reconstitué la version non censurée de la bible. Tout ce que la religion officielle ne voulait pas voir apparaître.
    M. : Et on retrouve ça encore aujourd’hui. Chez nous si tu veux un dictionnaire, il faut qu’il date d’avant les années soixante, parce qu’après ils l’ont modifié et ils ont commencé à le censurer, ils ont enlevé des tas de mots...
    D. : Et abandonné certains sens originels des mots... On a rencontré ce mec à Vancouver quand on tournait au Canada qui s’intéressait beaucoup à l’origine des mots, à la sémantique, il nous a expliqué tout ça.
    M. : Le gouvernement a occulté certains mots, ou certains sens, ils ne voulaient pas que nous connaissions le vrai sens de certains mots, car les mots permettent d’exercer un pouvoir sur les gens. Tu as des amis de différents pays, qui ne parlent pas ta langue comme toi, et dont tu ne parles pas la langue du tout, et on essaie de communiquer, et ils veulent connaître le sens des mots. Tu regardes dans un dictionnaire ordinaire, et il n’y est même pas. Dans un vieux, il y est et il y a toutes ces explications, tu te dis : oh, my  God ! Des mots comme clitoris... Wow ! Les vieux dictionnaires sont sexy ! Les dicos modernes sont comme des eunuques ! Qu’est-ce que c’est que ça ! Et ça continue dans notre société, bien sûr les gamins de treize ans peuvent avoir des relations sexuelles et faire des bébés, mais ils ne connaissent pas le sens des mots. Pourquoi ne pas partager avec eux cette incroyable chose qu’est la vie. C’est tellement excitant pour nous parce que c’est ce en quoi nous croyons. On veut être prêts ! Oui, c’est en ça qu’on croit : le ROCK et le ROLL. Le rock’n’roll des débuts, ça ne parlait que de ça : le faire ! Comment est-ce que vous êtes arrivés là ? Vous ne seriez jamais là s’il n’y avait pas le sexe ! On sort, on se saoule, on s’évanouit, on rentre à la maison, la bite en panne et il n’y a pas de génération suivante ! Ah ah ! Vous allez me prendre pour une obsédée !

    Pas du tout ! On est avec toi ! Et tant pis si les Parfaits Cathares devaient se serrer la ceinture côté sexe ! Faut secouer Benny qui paraît bien triste de voir son oreiller douillet décamper. Quelques photos, on salue Margaret, puis Dan nous raccompagne dans son break Dodge de 64, son année de naissance, avec vitesses au volant, trois places à l’avant, et un incroyable capharnaüm à l’arrière. Tandis que son énorme engin croise tel un paquebot dans les rues tranquilles de Ferndale, on devise de vieilles bagnoles françaises : la deux-chevaux - qu’il adore - la DS... Autre chose que ces informes tas de ferraille modernes... Ouaip, y’a un fond de nostalgie dans l’air, ça fait partie de l’âme de Motor City.

S. C.

JIM DIAMOND


    Quand on l’a croisé au show des Stepsisters, il est venu droit vers nous : “Vous êtes les amis français de Noëlle ? (merde, comment il a deviné ?) Passez un coup de fil si vous voulez voir le studio.” Il s’est tordu de rire quand on lui a dit qu’on s’était déjà arrêté devant, et qu’on l’avait pris en photo. On peut dire que Ghetto Recorders ne paye pas de mine : un bâtiment à la façade un brin délabrée d’un bleu craspec avec des grilles oranges genre barricades à la Mad Max 2, enchâssé entre deux hauts immeubles en briques, dans un quartier parsemé de terrains vagues et de bâtisses abandonnées, en plein centre-ville. Quelques jours plus tard, on grimpe un escalier un peu branlant, et on traverse un dédale de pièces d’habitation, avant de découvrir l’antre du sorcier de Detroit. Une vaste salle encombrée d’un bric à brac insolite et d’instruments variés, orgue antédiluvien, piano, batterie, amplis, sac d’entraînement de boxeur (reconverti en défouloir pour musicien), divers machins poussés dans les coins... Et un grand espace central dégagé où tout un big band de jazz pourrait taper le boeuf. “C’est un ancien abattoir à poulets !” indique Jim la mine réjouie. L’endroit a la réputation d’être glacial l’hiver et tropical l’été. “Voilà l’air conditionné.” assène-t-il en montrant un énorme ventilateur. Une pièce plus exiguë abrite une table de mixage mastoc, et un wagon de matos vintage - qu’il collecte à droite et à gauche - ou dernier cri. Il nous montre le banjo qu’il vient de récupérer. Le bonhomme est du genre jovial et fendard. On traîne un peu...
    Goddamn ! Depuis la fondation du studio fin 96, ils y ont tous traîné leurs boots : les Dirtbombs, Dirtys, White Stripes, Von Bondies, Voltaire Brothers, Detroit Cobras, Ruiners, Clone Defects, Witches, Sights, Come Ons, Bantam Rooster, Electric Six, Hentchmen, Paybacks, Powertrane, Gore Gore Girls, Sirens, Ko & The Knockouts, Freddy Fortune, Troy Gregory & The Stepsisters, Andre Williams... La crème de Motor City... Plus les Compulsive Gamblers, New Bomb Turks, Red Aunts, Baseball Furies, Jon Spencer, Mooney Suzuki et autres Fleshtones... (voir la liste avec un morceau à télécharger par groupe sur www.ghettorecorders.com). Respect ! On discute encore de Bob Seger, ou de la chambre d’écho des studios Motown, le fameux trou dans le plafond... Quelques photos, puis il nous raccompagne, il a du boulot. L’interview s’est faite par internet quelques semaines plus tard.

    Dig It ! : Comment es-tu tombé dans la marmite rock’n’roll ? Quels sont tes premiers souvenirs de disques ou de concerts ?
    Jim Diamond : J’ai plongé dans le rock’n’roll à cause des mauvais garçons plus âgés qui habitaient dans ma rue. Je me souviens qu’en 1969, j’avais quatre ans et les gamins plus âgés passaient les Beatles, Led Zeppelin, Steppenwolf, Jefferson Airplane, et je me souviens aussi des Shangri Las ! Je me rappelle avoir demandé à ma grand-mère de m’acheter un 45 tours (que j’ai toujours) de Creedence Clearwater Revival. Ma chanson préférée quand j’avais quatre ou cinq ans était “Hot Sand” par Shocking Blue. Je possède encore le 45t que j’ai eu en 1970.

    D.I : Ton premier groupe ?
    J. : Le premier groupe dans lequel j’ai joué s’appelait Inferno, j’avais treize ans. On reprenait Ted Nugent, Kiss et Aerosmith.

    D.I : Quand as-tu commencé à travailler dans un studio ?
J. : J’ai d’abord bossé dans un studio appelé Harvest Music And Sound Design en 1989 à l’âge de 24 ans. J’enregistrais des publicités pour bagnoles et du metal chrétien ! J’ai aussi enregistré Kill Devil Hill qui était le premier gang de Tom Potter !

    D.I : Pas de fantômes de poulets qui traînent aux Ghetto Recorders ?
    J. : Dans les années 20 ou 30, c’était effectivement une usine de transformation de poulets. Je n’ai pas vu de poulets fantômes. On les entend peut-être sur les disques que j’ai faits.

    D.I : Sur ton site web, il est écrit que le studio a “toutes les commodités d’une prison”. Drôle de publicité !
    J. : Mon ancien colocataire, Michael Rodriguez s’est pointé avec cette phrase, on a trouvé ça très marrant ! L’endroit est tellement horrible sur bien des plans. Je pense qu’il faut souffrir pour son art ! Je déteste ces studios qui sont si propres et parfaits que tu as l’impression d’aller chez le docteur !

    D.I : Il est situé au centre, dans un coin plutôt rude. Ça interfère avec ton job et ta musique ?
    J. : En fait cette partie de la ville est celle où on trouve les stades de base-ball et de football américain. C’est sacrément emmerdant quand il y a un évènement sportif !

    D.I : Tu as déniché d’autre matos vintage pour le studio récemment ?
    J. : Hmmm, j’ai ce compresseur dément de 1958 appelé Gates Sta-Level. On dirait que ça provient d’un sous-marin de la deuxième guerre mondiale et ça sonne super bien.

    D.I : T'as toujours ta collection de Playboy des années 70 ? Les New Bomb Turks l’avaient beaucoup appréciée !
    J. : Les vieux magazines sont toujours éparpillés ici et là. J’aime l’allure d’une femme naturelle, ces nouveaux Playboy, je ne considère absolument pas que ce soient de vraies femmes !

    D.I : Tu penses toujours que “le digital c’est pour les blaireaux” ?
    J. : J’utilise un ordinateur pour éditer et mixer la musique, mais pour enregistrer j’aime utiliser des bandes car je pense que ça sonne mieux et que ça oblige le groupe à jouer vraiment "ensemble", et non à se reposer sur des trucages à l’ordinateur pour avoir un bon son.

    D.I : Un mot sur la fameuse brasserie Motor City ?
    J. : Motor City Brewing Works appartient à mon vieil ami John Linardos. Lui et moi avons grandi dans la même ville et on se connaît depuis qu’on est gamin. Il avait à l’origine un studio huit pistes là où se trouve Ghetto Recorders maintenant. Il l’utilisait surtout pour enregistrer ses propres groupes. On a collaboré sur une série de CDs qu’il a sortis sous le nom de Ghettoblaster. Il fait une bière appelée Ghettoblaster et il a enregistré des groupes live dans sa brasserie qu’on a mixés et mastérisés ensemble. (www.motorcitybeer.com)

    D.I : Tu es de Lansing non ? Pourquoi as-tu déménagé sur Detroit ? Depuis les années soixante, beaucoup de gens ont plutôt quitté la ville...
    J. : Je suis seulement allé à l’école à Lansing, et j’ai travaillé dans ce petit studio là-bas quelques années. J’ai en fait grandi dans une ville à environ une demi-heure au sud de Detroit, appelé Trenton. Je me souviens d’avoir entendu BEAUCOUP de trucs Motown à la radio quand j’étais petit.

      D.I : Peut-être as-tu entendu parler des émeutes de novem-bre en France. Y a-t-il eu d’autres émeutes à Detroit depuis 1967 ? Et comment est la situation maintenant ?
    J. : Detroit est une zone de ségrégation raciale. Il n’y a pas eu d’émeutes depuis 67 mais il y a une grande ségrégation dans certaines parties de la ville. La ville dans laquelle j’ai grandi n’avait AUCUN habitant noir ! Je pense qu’il y avait une ou deux familles mexicaines et peut-être une ou deux familles asiatiques. Pas d’émeute là-bas mais c’était un endroit vraiment étrange, racialement totalement blanc.
        D.I : Comment as-tu intégré les Dirtbombs et pourquoi les as-tu quittés ?
    J. : J’ai rencontré Mick en 96 alors que je bossais dans un autre studio à Detroit. J’étais en train de lancer Ghetto et je lui ai demandé de monter jeter un coup d’oeil. On a commencé à enregistrer quelques chansons, et ensuite j’ai enregistré Horndog Fest (Le premier album des Dirtbombs - nda). Le bassiste Tom Lynch a alors quitté le groupe et a déménagé à San Francisco donc j’ai naturellement pris sa place vu que je joue de la basse depuis que j’ai treize ans. Mick et moi on s’est éclaté ensemble en faisant tous les singles et les albums. On a effectué toute la production ensemble et quand on enregistrait c’était toujours lui et moi. Les batteurs venaient jouer leur partie et rentraient à la maison et on finissait les disques ensemble. Tourner était plutôt fun LA PLUPART du temps, aller en Europe, en Australie et au Japon, c’était vraiment génial. J’ai décidé de quitter le groupe parce que j’étais trop occupé avec le studio et que les tournées me prenaient trop de temps loin de chez moi. Maintenant je suis à la maison assez souvent pour avoir une copine régulière ce qui est vraiment fabuleux !

    D.I : Et ton projet solo, Pop Monsoon ?
    J. : The Pop Monsoon est juste le nom que je donne à tout ce que j’enregistre moi-même. Ce n’est pas un groupe, juste quelqu’un à qui je pense pour jouer de la batterie et je me charge de tout le reste moi-même.

    D.I : Tu as fait deux 45t hommage à Bob Seger avec The Seger Liberation Army. Tu trouvais qu’il était sous-estimé ?
    J. : Les débuts de Bob Seger sont vraiment sous-estimés. Si tu mentionnes Bob Seger, les gens vont te rire au nez, mais ses vieux trucs sont vraiment très bons. On n’a pas prévu d’autres enregistrements, on a juste fait ça pour s’amuser un samedi alcoolisé.

    D.I : Des anecdotes à propos de tes sessions avec Andre Williams, Troy Gregory, les New Bomb Turks, ou plus récemment les Fleshtones ?
    J. : Hmm, chaque fois qu’Andre Williams est venu, j’aurais aimé avoir un magnéto pour enregistrer ce qu’il disait ! Je me souviens quand on mettait en boîte quelques morceaux avec les Compulsive Gamblers, Andre déambulait dans le studio avec des pantalons blancs trempés de sueur et torse nu, jetant un coup d’oeil par la fenêtre de derrière. Je suis au deuxième étage et on peut apercevoir un parking et un immeuble de bureaux. Il buvait du rhum blanc Bacardi (“Blanc, juste comme mes femmes...”) et il me dit qu’il devait faire un break parce qu’il avait vu une jolie secrétaire et qu’il allait se promener dehors (sans chemise et un peu bourré) pour l’emmener faire un tour ! Une autre fois, il a fait un disque avec un groupe appelé The Sadies pour le label Bloodshot. Lui et les Sadies ne s’étaient jamais rencontrés. Le groupe est arrivé dans le studio pour cinq jours d’enregistrement et Andre devait nous rejoindre. C’était le premier janvier 1999. Ce jour là il est tombé près de 70 cm de neige ! Andre n’a pas pu venir, alors les Sadies et moi on a commencé à enregistrer quelques morceaux en espérant qu’il pourrait les chan-ter ! Il est finalement arrivé deux jours plus tard, il avait dû prendre un jet de la FedEx (transport de marchandises - nda) parce que toutes les autres compagnies ne tournaient pas à cause de la neige. Après un moment d’hilarité générale on a pu finir le disque.
    J’ai tellement d’expériences géniales avec Troy Gregory, je me rappelle d’un des disques qu’on a faits, il faisait si chaud en haut, il était à terre, torse nu, hurlant au bassiste de jouer avec feeling, car en quoi sa vie avait la moindre importance si ce n’était pour jouer de la basse en ce moment précis ! Il faisait probablement trente degrés dans le studio.
    Les New Bomb Turks étaient fabuleux, je me souviens surtout que ma cinglée d’ex-femme m’a quitté pendant qu’ils enregistraient ! Cette fille était une malade mentale ! Oh oui, et Eric Davidson était vraiment un chanteur génial à enregistrer. Et Jim, Matt et Sam étaient d’incroyables musiciens et des mecs vraiment cool avec qui traîner.
    Pour le dernier disque que j’ai fait avec les Fleshtones, ils avaient retenu cinq jours pour faire six morceaux. Je trouvais que c’était beaucoup de temps à passer sur six chansons ! Ça s’est terminé avec un jour d’avance, et ils sont allés voir un match de baseball des Detroit Tigers. Et je les ai emmenés à la brasserie Motor City où on s’est enfilé une bonne quantité de bière.

    D.I : On a lu une interview des White Stripes où Jack White évoque des bisbilles judiciaires entre vous à propos de l’album De Stijl. Tu peux nous en dire plus ?
    J. : Jack et moi avons un désaccord concernant les deux premiers albums des White Stripes. C’est tout ce que je peux dire à ce sujet pour l’instant. (la première réponse était plus gratinée mais après réflexion, Jim a préféré s’en tenir là - nda)

    D.I : Tu as enregistré les meilleurs gangs de la ville depuis presque dix ans. Est-ce que tu ne te sens pas un peu comme le parrain de la scène de Detroit ?
    J. : C'est à vous de décider si je suis le parrain d’une scène quelconque. Je pense que j’ai procuré un super studio et une très bonne compréhension de la musique aux groupes prometteurs de Detroit pendant toutes ces années.

    D.I : Quels sont les trucs les plus bizarres que tu as enregistrés ? Du genre les bouteilles explosées avec les New Bomb Turks ou l’ordinateur volant avec les Sights...
    J. : Je pense que les bouteilles éclatées ou l’ordinateur s’envolant par la fenêtre sont de très bons exemples. Mick Collins et moi avons aussi enregistré un drum-set dévalant l’escalier du studio mais ce n’est pas encore apparu sur un disque. Peut-être qu’on va en faire un 45 tours.

    D.I : Qui préfères-tu : Phil Spector ou Shadow Morton ?
    J. : I mean... Phil Spector est génial et il avait une certaine vision mais j’adore vraiment Shadow Morton. Il n’avait pas la moindre foutue idée de ce qu’il faisait quand il a commencé, et il a produit ces disques des Shangri Las qui font partie de mes préférés de tous les temps. J’ai une légère préférence pour Shadow.

    D.I : Tu peux nous parler de tes dernières sessions ? Des groupes à surveiller ?
    J. : Je viens juste de faire quelques chansons avec un groupe appelé Velvet Audio qui m’excitent pas mal. D’authentiques noirs de Detroit qui jouent du rock and roll, leur groupe préféré est Love ! Un autre groupe dingue à pister, c’est The Dead Stream Corners. On a fait un disque de dix morceaux entièrement mixés, mastérisés et mis en boîte en sept heures ! Et je ne plaisante pas là non plus. J’ai aussi écrit et joué des chansons pour une comédie horrifique à petit budget intitulée Santa’s Slay qui contient des titres des Gore Gore Girls et de Jim Diamond’s Pop Monsoon. Mick Collins et The Sights participent à mes morceaux. Ça sortira en DVD en décembre.

    D.I : Des films, des livres ou des disques à recommander ?
    J. : Seigneur, il y en a tellement. Je dirais que n’importe quelle nouvelle d’Ernest Hemingway serait en haut de ma liste. Tous les disques du Jefferson Airplane ont une certaine valeur pour moi. Et aussi les nouvelles de A. A. Milne. Il y a tellement de disques, la musique est ce que j’aime le plus dans la vie, des choses comme “Wild Weekend” par The Rebel Rousers, “Louie Louie” des Kingsmen, “Le Sacre Du Printemps” de Stravinsky. Où s’arrêter ?

    D.I : Tu écoutes quoi en ce moment ?
    J. : Dans ma voiture en ce moment même j’ai le box-set Nuggets, il y a tellement de bonnes chansons là-dessus. J’ai aussi écouté les Smiths hier.

    D.I : Quels sont tes groupes de Detroit préférés, actuels ou passés ?
    J. : J’aime la plupart des trucs de Troy Gregory avec les Witches ou son autre groupe Troy Gregory And The Stepsisters. The High Strung sont bons. J’aime les Sights bien sûr. Je ne continuerai pas parce que je laisserai trop de bons groupes de côté ! Les Detroit Emeralds étaient très bons aussi, est-ce que ce n’est pas un meilleur nom que les Detroit Cobras ? Haha.

    D.I : Tu te sens relié à tous les héros de Motor City, le MC5, les Stooges, les groupes Fortune ou Motown, etc. ?
    J. : J’ai le sentiment que je fais partie d’une lignée qui remonte très loin dans le passé. Je suis très fier du rock’n’roll que j’ai produit et je ressens une connection avec toute la super musique du passé de Detroit.

    D.I : Quels sont tes projets ?
    J. : Je ne suis pas exactement sûr de ce que tu veux dire par “projets”. Hobbies ? Ce que je fais en dehors du studio ? J’adore délirer avec de l’équipement stéréo et voyager et aussi cuisiner. Je viens juste de préparer une casserole de chili super méchant !

S. C.

JOHN NASH

    On pige vite l’esprit de Detroit en jetant un oeil sur sa collec’ de disques. D’ailleurs j’ai failli prendre ses LP blues et jazz sur la tronche en pétant une étagère dès le premier soir... Plein de classiques, les Stones, Dylan, du sixties, du garage, du psyché, de la soul, du R&B, du folk, du jazz manouche, du punk, de la techno... Eclectisme à gogo ! Il y a de tout sur son I-pod, on s’est même tapé “Detroit Rock City” de Kiss sur une plage en apparence tranquille, face aux eaux émeraudes du lac Huron, harcelés par des mouches piqueuses minuscules et féroces. Un grand moment. A Dig It! on avait craqué sur le morceau “You Can Radiate” de The Alphabet, son versant pop psychédélique. Avec The Volebeats il explore la country/pop alternative, avec Medusa Cyclone l’électro-rock spatial, avec les Witches et Electric Six, il balance des solos wah-wah torrides et des déchirades venimeuses. John Nash, alias Johnny Na$hinal, c’est le roi du hamburger végétarien fait maison, mais aussi l’un des plus fins guitaristes de la ville. Un hôte hyper-cool et discret qu’on a fini par coincer pour un interrogatoire, pack de bières et paquet neuf d’American Spirit - le tabac bio qui arrache - à portée de la main.

    D.I : Premier disque rock’n’roll écouté ?
    John Nash : “Kids Are Allright” des Who, mon premier disque, pour Noël, j’avais six ans, je l’ai passé en boucle pendant des années. J’étais un grand fan de Keith Moon. En fait, avant de jouer de la guitare, j’ai commencé par la batterie, en 5ème, j’en ai joué pendant une paire d’années avant de casser mon drum set.

    D.I : Normal, si tu jouais à la Keith Moon !
    J. : Ouais, ouais, je crois ! Je ne m’en rappelle pas vraiment et il n’y a aucun enregistrement pour vérifier !

    D.I : Ton premier concert rock’n’roll ?
    J. : Ce show, j’y étais avec Dick Valentine, le chanteur d’Electric Six, même si je ne le connaissais pas encore à l’époque... INXS et Men At Work en 1983, et c’est aussi le premier concert auquel j’ai assisté... C’était dans un endroit gigantesque partiellement à découvert. On était tous les deux assis quelque part sur la colline où se situaient les places bon marché, qui n’étaient pas couvertes par cette espèce de pavillon.

    D.I : Tes premiers groupes ?
    J. : Mon premier groupe n’a jamais eu de nom, c’est quand je jouais de la batterie. Mon premier groupe avec un nom devait être Alloy (Alliage), on jouait du Black Sabbath et du Iron Maiden, très metal... Ça devait être en 86 je crois.

    D.I : C’était sur Detroit ?
    J. : Ouaip ! A Warren, pour être plus exact, une banlieue de Detroit...

    D.I : Premiers enregistrements ?
    J. : Hmm, c’était avec Mice Termite, le groupe de Troy Gregory et de son frère, avant les Witches. Il y a un 45t appelé “Mother’s Little Leper”, ça ressemble à de la musique de carnaval un peu effrayante, une influence Nick Cave, des guitares surf mais en accords mineurs, des sons inquiétants... Deux de mes groupes ont enregistré mais n’ont jamais rien sorti. Il y a eu Ick, qui est devenu Topswil, une sorte de néo-punk avec un son assez grunge. C’était un bon groupe, j’aurais aimé qu’on sorte quelque chose. On ne savait simplement pas à qui s’adresser ni où aller pour faire un disque. Je pensais que c’était impossible à l’époque ! Donc on n’est jamais allé jusqu’au bout.

    D.I : Ensuite il y a eu les Witches ?
    J. : J’ai rejoint les Witches après Mice Termite. Ce groupe jouait dans le coin depuis un moment. Tous mes potes musiciens y sont passés, c’est le groupe qui a le plus joué au Gold Dollar, quand c’était encore ouvert, deux fois par mois au moins. J’ai aussi enregistré de mon côté pendant que je jouais avec les Witches, des projets comme Ghost World (en hommage au Comics du même nom - nda). J’ai monté un groupe pour quelques shows, puis Ghost World est devenu The Alphabet, qui a joué pendant environ deux ans, surtout des morceaux de Ghost World (avec Noëlle à la basse, Amanda Porter aux claviers, Eugene Strobe des Witches à la guitare et Korky Winters à la batterie - nda). En fait le label d’Alan McGhee Poptones devait sortir le disque. On a tourné dans le Michigan, joué encore et encore à Detroit, on est allé à Chicago, dans l’Ohio, on essayait de se faire connaître, puis il y a eu les attaques du 11 septembre, et tous les investisseurs d’Alan McGhee qui avaient mis de l’argent dans son label ont eu la trouille, et ils ont retiré leurs billes. Il a plus ou moins dû virer tous ses groupes, je crois qu’il n’a gardé que les Hives, il a sorti le premier Hives en Angleterre. (John a finalement fondé Nashinal Sound Recordings pour publier lui-même l’album When The Sun Calls Your Name… or, Ghost World - nda). Ensuite j’ai joué de la guitare acoustique avec les Volebeats... Des super vocaux, de super morceaux mais c’était un peu un groupe à temps partiel, tous les membres jouaient aussi dans cinq autres projets ! J’étais aussi dans Medusa Cyclone, une sorte de groupe space rock, comme un tour de montagnes russes.
    J’ai fait d’autres trucs un moment puis j’ai rejoint Electric Six. Deux membres ont quitté le groupe, puis peu de temps après un troisième est parti. C’était au moment de la première ou deuxième tournée anglaise, juste avant que le premier album ne sorte, il y avait déjà le single. Le groupe a implosé en quelque sorte, c’était pas bon, ils ne s’entendaient plus, trois sont partis. Ils avaient d’autres tournées, des festivals prévus, je suis arrivé avec pas mal de pression. On a fait cette tournée anglaise avec tous ces festivals, c’était dingue. On a joué à Rock En Seine, d’autres gros festivals à Amsterdam, à Rotterdam, on a arpenté toute la carte cet été là.

    D.I : Pour en revenir aux Volebeats, tu peux nous en dire plus ? On ne connaît que les morceaux sur la compil Ghettoblaster...
    J. : Les Volebeats doivent avoir cinq ou six CD maintenant, je suis sur le dernier, ça s’appelle Like Her, ça vient juste de paraître, il y a un mois environ, mais on l’a enregistré il y a deux ou trois ans, ça a pris un moment pour qu’il sorte. Les Volebeats travaillent très lentement, ils commencent un truc, des années plus tard c’est fini, et plusieurs années après, les gens peuvent l’écouter !

    D.I : En fait tout le monde à Detroit a plusieurs groupes on dirait...
    J. : Oui, oui, pas autant qu’avant, mais il y a toujours des potes qui aiment jouer ensemble. Je crois que les gens de Detroit aiment tellement de types de musique différents qu’ils ne peuvent les jouer tous avec un seul groupe, ils jouent dans un groupe garage rock mais ils aiment aussi la musique expérimentale alors ils jouent dans des groupes noise, certains aiment la country alors ils jouent dans un groupe country, certains aiment le rockabilly etc. C’est pourquoi mon nouveau projet appelé Na$hinal Debt est ma tentative pour essayer de faire le tour de mes styles musicaux préférés sans avoir à jouer dans différents groupes. Je vais tout faire avec un seul groupe et voir comment ça marche.

    D.I : Quel genre de styles tu vas mixer ?
    J. : C’est un mix de lo-fi, musique techno, Walker Brothers, teen metal avec un peu de twang, de country, de surf, de musique psychédélique et de soul, tout ça à la fois, je ne sais pas si ça fonctionne, je ne le saurai pas avant que les gens puissent l’écouter !

    D.I : Donc, tu as rejoint Electric Six juste après le premier album ?
    J. : En fait, juste avant que l’album ne sorte. On démarrait la tournée anglaise quand il est paru. Le premier single, “Danger High Voltage”, venait se sortir et il était numéro 2, puis “Gay Bar” est devenu numéro 5, quelque chose comme ça. Il y avait beaucoup d’excitation autour de cette première tournée. C’était étrange, je ne savais pas comment le gérer parce que je n’étais pas dans le groupe à l’époque des enregistrements, je venais juste de les rejoindre et il y avait cet énorme succès, je ne pouvais pas le revendiquer comme le mien mais je pouvais l’apprécier. Une bonne tournée.

    D.I : D’où vient le nom Electric Six ?
    J. : Ils en étaient à se jeter des bouteilles sur la tronche quand ce nom est sorti ! Ils n’arrivaient pas à s’entendre sur un nouveau nom, ils s’appelaient The Wild Bunch (trois singles sur Uchu Cult et Flying Bomb Rds - nda) Et le nom était déjà déposé par quelqu’un en Europe, ils ne pouvaient plus l’utiliser. Il y a eu plein de propositions, mais ils n’arrivaient pas à s’entendre, c’était probablement celui qui paraissait le moins dérangeant pour tout le monde ! Je ne l’aime guère mais ça va bien avec les éclairs... électriques, et maintenant il y a six membres dans le groupe alors... (il y a une liste des noms rejetés sur leur site ! - nda)

    D.I : Le premier album est devenu disque d’or en Angleterre, c’est bien ça ?
    J. : Ça représente 100 000 copies. Il a plutôt bien marché. Et il se trouve que le label XL a viré le groupe. Ils ont dû se dire, wow, on a un disque d’or, on n’a plus besoin de ces mecs. Hé, hé !

    D.I : Quel est ton sentiment à propos des majors et de l’underground vu que tu as connu les deux ?
    J. : Oh, personnellement, je préfère faire de la musique underground, tu peux travailler avec des gens qui ne sont là que pour la musique, qui ne se sentent pas concer-nés par les chiffres et le côté business. Mais il faut bien que tu t’y intéresses un peu si tu veux faire une carrière, tu dois y réfléchir. Je pense que quelque part entre les indépendants et les majors, c’est le meilleur endroit où te nicher, si tu veux juste te faire assez d’argent pour payer le loyer, partir en tournée et faire en sorte que les gens entendent ta musique.

    D.I : J’ai lu quelque part que les Electric Six avaient choisi la cover de Roky Erickson “I Am A Demon” pour la compil Ghettoblaster parce que le label ne voulait pas qu’ils y mettent un original...
    J. : Hmm, j’ai entendu dire que le groupe était trop bourré et que c’est le seul morceau qu’ils ont pu mener jusqu’au bout ! C’est la rumeur que j’ai entendue ! C’est celui qui paraissait le moins horrible cette nuit-là.

    D.I : C’est vrai que c’était dans une brasserie !
    J. : Ouaaais, et voilà ce qui arrive ! Il y avait ces énormes cuves de bière, il n’y avait plus qu’à mettre un robinet !

    D.I : Tu peux nous en dire plus sur le nouvel album d’Electric Six ?
    J. : Ça s’appelle Señor Smoke, un nom qui vient d’une célèbre affiche 80’s des Detroit Tigers, l’équipe de baseball. Il a du style, il a le speed, il a la chaleur. Il y a beaucoup de claviers, beaucoup plus que sur le premier album, et ils sonnent mieux, les guitares sonnent mieux aussi que sur le premier disque. On l’a fait ici, à Ann Arbor, le frère du bassiste a un studio, et ils ont fait du bon boulot, ils l’ont fait sonner comme un gros disque de rock massif. Il y a des petites chansons un peu délirantes qui relient entre eux certains titres, le premier album était d’une facture plus classique. Il y a une dimension nouvelle, plus de dynamique, mais apparemment pas autant de hits que le premier. Ça semble être le problème de cet album côté business, mais c’est un bon disque.

    D.I : C’est quoi votre label maintenant ?
    J. : Rushmore, c’est une sous-division de Warner au Royaume Uni. Je pense que ça n’a été créé que pour sortir l’album d’Electric Six. Ça, c’est pour le Royaume Uni et une partie de l’Europe. Je ne suis pas sûr pour le reste du monde, mais en tout cas il n’est pas sorti aux Etats-Unis. On a eu pas mal de plaintes et de regrets de la part des fans lors des dernières tournées américaines parce qu’on ne pouvait pas leur vendre le nouvel album. Ils vont être obligé de le télécharger gratuitement. Mais je pense que ce n’est pas si terrible, je suis plutôt de leur côté sur ce coup !

     D.I : Que penses-tu du téléchargement, justement, de façon générale ?
     J. : C’est une épée à double tranchant ! C’est super d’avoir de la musique gratuite. C’est merveilleux de pouvoir chercher simplement sur ton ordinateur une chanson, la trouver et l’écouter. Mais le problème est que la personne qui a créé le morceau ne touche aucun argent là-dessus la plupart du temps, et c’est dommage. La musique doit être partagée mais... On n’a pas encore de label pour le nouvel album des Witches, mais tu peux le télécharger sur le site, et il y a une option pour donner de l’argent... Combien penses-tu que ça vaut ? C’est une bonne idée de la part de Troy. Tu donnes une chance au disque et si tu l’aimes vraiment, tu payes cinq, dix, cent dollars ! Et si le disque est nul, tu demandes au groupe de te donner de l’argent !
   
    D.I : Et ça marche ?
    J. : Ça marche un petit peu, oui. Pour l’instant ça va. Le téléchargement c’est bien quand tu es dans une partie du monde où tu n’as pas accès aux disques. C’est frustrant quand il y a une musique que tu aimes, que tu as l’argent dans la poche et que tu ne peux pas trouver le disque. On a parlé de ceux que tu essayais de trouver en France, à Toulouse, c’est bien d’avoir cette option, ça peut te donner envie d’aller voir le groupe quand il est en tournée et d’acheter des tee-shirts ou des disques. Donc, je pense que pour les gens qui aiment vraiment la musique, le téléchargement ne suffira pas, ils iront supporter les groupes, acheter du merchandising et leur payer des bières ! Je pense que ce n’est pas une si mauvaise chose, le problème est que les majors deviennent trop gourmandes et qu’elles veulent absolument tout contrôler, elles veulent contrôler le monde. Coller un procès à un gamin de douze ans parce qu’il a téléchargé le nouveau single de Christine Aguilera qui a déjà rapporté quatre millions de dollars au label, à quoi bon ? En gagner mille de plus sur le gamin qui l’a téléchargé ? Peut-être que ça fera comprendre aux gros labels qu’ils ont besoin d’investir leur argent plus intelligemment dans des groupes qui écrivent de bons morceaux. Ils ne peuvent pas foutre en l’air leur pognon avec tous ces groupes de jolies jeunes filles et de jolis garçons avec des guitares et des coupes punk rock et des tatouages de méchants, qui sortent tout juste de l’emballage. Peut-être qu’ils devront passer plus de temps à réfléchir sur où ils doivent mettre leur argent, en réalisant qu’il y a beaucoup de gens qui préfèrent chercher la musique qu’ils aiment plutôt que de se faire simplement gaver par les gros labels. Mais je rêve certainement !

    D.I : C’est sûr qu’ils pourraient donner moins de fric aux stars pour signer plus de groupes.
    J. : Avec Electric Six - et c’est beaucoup d’argent selon les critères de Detroit - on va enregistrer le prochain album pour vingt mille dollars. Si tu compares ça avec U2 ou Metallica ! On parle de millions de dollars pour enregistrer dix morceaux ! C’est totalement absurde. Tu peux acheter un studio entier pour trois mille dollars ou moins, ça dépend jusqu’où tu veux être sophistiqué, et enregistrer album après album après album en y investissant tout ton temps de musicien. Peut-être que les labels comprendront, et qu’ils feront ça quand ils auront des groupes qui s’enregistrent eux-mêmes, qui créent leur propre son, plutôt que de les pousser dans une usine à tube avec des crétins de producteurs sur-payés qui te disent comment jouer ta chanson. Il y a de plus en plus de gens qui inventent leur propre son, qui sont plus créatifs... Mais il y a aussi beaucoup de gens qui ne devraient vraiment pas jouer de la musique, qui n’ont vraiment aucun talent ! Qui dépensent tout leur argent dans leur équipement et enregistrent des nullités qui polluent les ondes !

    D.I : Ou qui embauchent des psychiatres pour les sessions comme Metallica !
    J. : Ouais ! C’est pourquoi leur disque coûte dix-huit dollars ! La cure de désimbibation d’un an d’Hatfield... Tout se paye d’une façon ou d’une autre !

    D.I : Pour en revenir au deuxième album d’Electric Six, j’ai noté qu’il y avait une reprise de Queen...
    J. : Oui. (Silence, puis éclats de rire...)
    D.I : Un petit mot peut-être...
    J. : Disons que c’était une obligation, he, he. On a enregistré cette version de “Radio Gaga” avant que le groupe ne soit remercié par le premier label. On était encore sur XL, c’était prévu pour un single de Noël 2003, et c’est finalement paru sur un single de Noël en 2004 sur Warner Bros. La chanson était enregistrée depuis un an, mais Rushmore a demandé que ce soit le single parce qu’elle était prête et que l’album n’était pas fini. Du coup on a été obligé de la mettre sur l’album.
    D.I : J’ai vu qu’on peut chanter sur du Electric Six dans les Karaoke du coin !
    J. : Oui, c’est nouveau ! C’est dingue non ? Je n’aurai jamais pensé que ça puisse arriver. Pas seulement pour un groupe dans lequel je joue, mais même entendre un jour un morceau d’un copain dans un endroit où les gens font du karaoke ! Pareil pour les White Stripes... Les White Stripes au karaoke... C’est amusant, c’est une nouvelle dimension dans la musique. (Et les Electric Six de célébrer la chose en braillant “We karaoke all night long” dans un des titres de Señor Smoke ! - nda)

    D.I : L’autre soir, on a entendu pas mal de tubes Motown aussi. Quels sont tes artistes préférés de Detroit ?
    J. : Je vais démarrer dans le passé... Parliament/Funkadelic, une grosse influence... Les Temptations, surtout la période psyché, Marvin Gaye, The Stooges, le MC5 bien sûr. Alice Cooper, qui n’était pas vraiment de Detroit mais qui a fait pas mal de ses premiers trucs ici, des super disques à l’époque de l’Alice Cooper Band (et qui chantait dans “Be My Lover” : “Told her that I came / From Detroit City / And I played guitar / In a long haired rock and roll band” - nda). Il y a aussi quel-ques groupes assez obscurs mais vraiment très bons, The Spike Drivers, un groupe des sixties qui n’a enregistré que sur des labels locaux, et qui a failli avoir un deal avec Atlantic, mais ils l’ont sabordé, ils ne voulaient pas vraiment le faire, ils avaient de super morceaux et un incroyable guitariste, vraiment bon. Il y en a un autre appelé Joint Effort, plutôt obscur lui aussi, mais ça a été réédité en CD il y a deux ans environ, c’est plus folk-rock, acid folk-rock. Et hmm... Il y a comme un trou dans les seventies... Iggy Pop, j’aime ce qu’il a fait tout au long des seventies. The Idiot et Lust For Life sont des disques géniaux. Je ne suis pas vraiment fan de Bob Seger mais “2+2” et les premiers singles sont vraiment bons, jusqu’à ce qu’il ait du succès, après il a perdu le truc je pense. Mes groupes préférés du moment, je dirai Outrageous Cherry, Troy Gregory & The Stepsisters... Ce sont tous mes amis bien sûr mais c’est dur à éviter à Detroit. Les Dirtbombs assurent... Il y avait ce groupe appelé Gravitar que je trouvais vraiment bon, mais plus du côté noisy extrême et expérimental. Le leader du groupe n’est plus dans le coin, il est parti à San Francisco. Ils ont sorti une poignée de disques, c’était un peu comme Throbbing Gristle, un mur de guitares, des pédales d’effets, un super batteur... Bantam Rooster étaient géniaux, ils n’enregistrent plus sous ce nom je pense, ils étaient toujours marrants à voir, ça me ramène à l’époque du Gold Dollar. Ça doit être ça mes groupes préférés, bien sûr je n’ai pas mentionné ceux dans lesquels je joue ! Ils font partie de mes favoris ! Il y a aussi ce groupe appelé Little Claw. On les a vus la nuit où vous êtes arrivés. Quand vous êtes allés dormir, avec Noëlle on est allés traîner et c’est là qu’on les a vus, une sorte de pop cacophonique et noisy, je dirais. J’ai bien aimé parce qu’ils m’ont rappelé une chose que j’appréciais beaucoup à Detroit avant la grande explosion garage. Il y avait ce bon gros mélange... Au Gold Dollar, il y avait Gravitar puis les Volebeats puis Outrageous Cherry à la même affiche, un groupe noise pêchu, un groupe country, un groupe pop psychédélique, et ça fonctionnait. Maintenant, avec les Greenhornes, les White Stripes et les Von Bondies... Ils ont tous leur mérite mais on dirait qu’ils ont fait naître un tas de groupes qui veulent sonner comme ça et pas autrement. Il n’y a plus qu’un son maintenant à Detroit. Avant les White Stripes et les autres, il y avait un bon mix, et c’est peut-être pour ça que la scène de Detroit n’était pas connue, parce qu’il n’y avait pas qu’un seul son commun pour la décrire, il a fallu pour ça qu’ils collent cette étiquette garage. Avant ça partait un peu dans tous les sens, musicalement c’était plus multi-culturel, c’était multi-musical ! Comme à New York où cohabitent tout un tas de différentes cultures, Detroit c’était la New-York des villes musicales, tout un tas de musiques différentes, se nourrissant les unes les autres, travaillant ensemble. C’est mon seul reproche sur ce qui se passe aujourd’hui... Oh, il y a des tas de groupes différents, beaucoup de groupes heavy metal qui restent dans leur petite scène, beaucoup de musique électronique comme il y en a toujours eu ici, mais ça reste dans les clubs, il n’y a pas vraiment de contacts avec la scène garage. J’aimerais bien qu’il y ait plus de mélanges. Parce qu’il y a beaucoup de trucs super à Detroit. J’ai oublié de mentionner que j’étais un grand fan d’électro, j’aime Kraftwerk, et j’ai oublié de parler d’un autre de mes groupes préférés de Detroit, c’est Adult. Ils appellent ça “Electroclash”, c’est de l’électro lo-fi, avec boîte à rythmes, des claviers, c’est vraiment bon et c’est un de ces groupes qui prennent l’électro et la mélangent avec un feeling punk-rock. J’aimerais voir plus de groupes comme ceux-là. Mais bon il s’en passe, avec Troy et les Stepsisters, Electric Six, des groupes qui pensent qu’on peut jouer des claviers et des guitares, et que ça ne sonnera pas forcément comme du Abba !
    D.I : Tu écoutes de la musique française aussi ?
  J. : Serge Gainsbourg, France Gall, Brigitte Bardot, les égéries de Gainsbourg, les premiers trucs de Johnny Halliday (rassurez-vous, je l’ai briefé - nda), j’ai écouté du Gong aussi, il y avait des Anglais et des Français, euh...

    D.I : Et des trucs plus récents ?
    J. : Je vais écouter tes cassettes, j’en saurai un peu plus ! Non, honnêtement, je ne connais pas vraiment de groupes français contemporains. Je n’explore probablement plus autant que je ne le faisais. J’avais l’habitude de lire un tas de magazines et de chercher les groupes dont ils disaient du bien. C’était pas Rolling Stone, plutôt des petits magazines underground ou indépendants... Ils se trompaient souvent, le groupe n’était pas toujours si bon que ça ! He he he ! Maintenant, je me fie au bouche à oreille, aux discussions avec les gens. Est-ce que tu as entendu parler de Dungen ? Des Suédois je crois. Ça sonne seventies, mais c’est un nouveau groupe, très heavy prog rock, et ça sonne comme si ça avait été enregistré en 1972 ! La pochette n’a pas le look ‘72. Je crois que c’est basé autour de deux gars et d’autres musiciens qui viennent collaborer.

    D.I : Tes projets ?
    J : Il y a une tournée avec Electric Six qui s’annonce. Ensuite je dois trouver quelqu’un pour sortir quelque chose de Na$hinal Debt. Peut-être un 45 tours. Ou quelqu’un qui me file un coup de main, qui me donne des idées pour sortir ces morceaux. Si je n’ai pas de chance sur ce coup, je vais mettre les chansons sur un site ou vendre les CD sur internet. Déjà, j’ai des morceaux à télécharger gratuitement en MP3. J’en mettrai plus si c’est difficile de trouver quelqu’un pour les sortir. Et puis j’aimerais rattraper quelques films que j’ai à voir, sinon je vais me préparer pour les vacances de Noël, les années passent si rapidement !

    D.I : Des livres ou des films à recommander ?
    J. : La Conjuration Des Imbéciles de John Kennedy Toole, je vais viens juste de le commencer, c’est un super bouquin, je suis sûr que beaucoup l’ont déjà lu. Women de Bukowski, je ne l’ai lu que récemmment, un grand style, le mec genre “Salt of the Earth”, qui raconte ses histoires avec les filles. Le Maître et Marguerite de Boulgakof, c’est un chef d’oeuvre, je suis en train de relire ou de lire pour la première fois des classiques, j’ai commencé par celui-là. Pour les films, je dirais Dawn Of The Dead (Zombie) de George Romero, si vous ne l’avez jamais vu, regardez-le et après vous pouvez aussi jeter un coup d’oeil sur le remake... Le Charme Discret De La Bourgeoisie de Luis Buñuel... Taxi Driver est aussi un de mes favoris. Holy Mountain (La Montagne Sacrée) d’Alejandro Jodorowski, et l’autre... il y a deux films qui vont de pair, Holy Mountain est génial, l’autre, j’arrive pas à me souvenir du nom... El Topo ! C’est ça, on s’est maté les deux en suivant, Holy Mountain une nuit, et El Topo la nuit suivante. Faut carburer pas mal au hash et au café !

    D.I : Quelque chose à ajouter ?
    J : J’aimerais bien revenir en France, pour une petite tournée. Je n’ai pas vu grand-chose du pays...

    Quand tu veux mon gars ! On aurait pu tailler une bavette toute la nuit sans avoir le temps de faire le tour de ses différentes collaborations avec Gravitar/ Gravitarkestra, Monster Island, Blaze Sherman Fury, ou DJ Booth. Ou encore Kim Fowley. John a joué sur Michigan Babylon, l’album de Kim et Matthew Smith (sorti en 1996 sur le propre label de Smith, Detroit Electric), puis enregistré et co-produit Culture of Despair du même Kim Fowley (“Un mec qui semble toujours avoir des tas de plans pour faire de l’argent avec sa musique”, nous a dit John en substance).

    Un peu plus tard, il nous a fait écouter ses premiers enregistrements sous le nom de Na$hinal Debt (la dette nationale, un sujet d’actualité chez eux aussi !), bricolés dans le petit coin studio de son living sur une table de mixage digitale Korg (deux fois seize pistes quand même !). Et c’est grandiose : un mur du son impressionnant genre Phil Spector meets Motown, de la soul funky torride, de la pop lumineuse, des riffs aplatissants... Sans méthode préétablie, à l’inspiration, il élabore lentement les chansons, jouant de presque tous les instruments, empilant les pistes, faisant participer toute la bande : Noëlle, Amanda, Matt... Un travail d’artisan minutieux et inspiré. Il a prévu de former un groupe pour jouer ces morceaux, et Noëlle devrait tenir la basse. Ça promet ! En attendant, il vient de s’embarquer sur une tournée de sept semaines avec Electric Six, sans doute pour fêter la sortie américaine du deuxième album, longtemps retardée. Mais il a fallu qu’ils se dégottent encore un autre label, Metropolis Rds. Du coup, ils en ont prévu un troisième pour l’automne. Préparez-vous au Dance-A-Thon 2006 !

S. C.

www.electric6.com
www.witchesonparade.com
www.volebeats.com

TROY GREGORY

    Après une première carrière de bassiste mercenaire dans des groupes à succès, Troy Gregory s’est imposé depuis son retour à Detroit comme un des piliers de la scène underground locale. Son accession au poste de second bassiste des Dirtbombs l’a fait connaître dans tous les garages, mais ça fait un bail qu’il écume les repères les plus chauds de la ville, notamment avec les étonnants Witches, nés selon la légende lors de la nuit d’Halloween 1996, quand Troy enregistra treize morceaux d’affilée après une beuverie mémorable. Ce fan de films d’horreur est du genre vampire, il compose en général entre minuit et cinq heures du mat’, à la lueur des réverbères. Toujours une guitare et un magnéto à portée de main, au cas où surgirait l’inspiration. Sur son premier album solo, Sybil, il a fait défiler le gratin de Motor City (Bantam Rooster, Sights, Outrageous Cherry, Wild Bunch, Come Ons, Dirtbombs, etc.). Le suivant, Laura, plus intimiste, s’est posé plus d’une fois sur les platines de l’émission Dig It!, quand on voulait virer vers le psyché zarbi. Bien sûr, on avait suivi de près son nouveau projet, Troy & The Stepsisters, Troy et trois filles, dont notre complice Noëlle à la batterie.

    Leur concert au Belmont d’Hamtramck fut une belle claque. Devant une foule modeste (y’a concurrence dans le coin), Troy et les filles ont assuré un show prenant et magnétique, à base de mid-tempos hypnotiques, qui s’installent à petit feu, menacent d’exploser à tout instant, puis gravitent vers des pics d’intensité tétanisants. Les choeurs des filles, le beat sobre et inventif de Noëlle, l’orgue mutant de Mary, le groove tranquille de Teri, la guitare tendue et le chant intense de Troy... Pas forcément une musique facile, mais le style de gang à pouvoir devenir culte.
    Exubérant, loquace et allumé, Troy paraissait un bon client. “Il est un peu fou mais dans le bon sens du terme !” dixit une des filles. On lui a collé le walkman sous le nez tandis que le barbecue organisé par Noëlle et John battait son plein, et que les réserves de bière diminuaient à vue d’oeil. Effectivement, il démarre au quart de tour dès qu’on enclenche un sujet. Les autres se foutaient de nous : bon courage, à la vitesse où il parle ! Il a dû faire un effort...

    D.I : OK, question rituelle : premier morceau R’n’R qui t’ait vraiment marqué ?
    Troy : Il y en a eu plusieurs en même temps, parce que vers trois ans, j’ai commencé à jouer avec le tourne-disque de mes parents et les vieux disques de ma mère, et c’étaient des morceaux rock’n’roll : “Ain’t Got No Home” de Clarence Frogman Henry (il se met à chanter - nda)... C’était ma favorite. Notre stéréo avait quatre vitesses : 16, 33, 45 et 78 tours, donc j’écoutais ce disque à chacune des vitesses ! C’était parfait de l’entendre au ralenti (il chante au ralenti ! - nda). Je faisais ça avec tous les disques de la maison, mais j’ai surtout écouté celui-là, et “Hanky Panky” de Tommy James & The Shondells, “I’m Down”, la face B du single “Help” des Beatles, “You’re So Good To Me” des Beach Boys, “Steppin’ Out” de Paul Revere & The Raiders, tout ça à la même époque... Je suis né en 66, et vers 69 ou 70, une des premières choses que j’ai appris à faire c’est d’utiliser le tourne-disque. Finalement mon père nous en a acheté un petit pour moi, mon frère et ma soeur. On avait des disques pour enfants bien sûr mais on n’en voulait pas. En fait on avait tous ces vinyles de rock’n’roll à la maison qui venaient de mon oncle qui est mort très jeune, à 28 ans. Il jouait de la guitare, j’ai toujours sa guitare Airline... A la différence de la plupart des enfants de mon âge, j’ai grandi avec les disques qu’écoutaient les gamins dix ans plus vieux que moi.

    D.I : Tu es tombé dedans plutôt jeune !
    T. : Ouais, ça a été un de mes premiers trucs. Et mon père était fan d’Orange Mécanique, le film de Kubrick en 69. Il l’adorait tellement qu’il a acheté la bande-son et on le passait tout le temps à la maison. Quand je réécoute ça, c’est comme entendre “Hanky Panky”, tu vois ! Tout ce genre de morceaux... J’adore aussi ces vieux disques fifties avec des OVNIS, tu vois de quoi je parle ? On entend des annonces à la radio et ensuite une chanson, ce genre de novelty songs, y’a un DJ qui lance “Les OVNIS attaquent !” et ça enchaîne avec “Papa Oom Mow Mow” ! Ouais, j’adorais ce genre de trucs... A différentes vitesses bien sûr !

    D.I : Premier concert rock’n’roll ?
    T. : En 1978... Well, tu veux dire le premier concert “professionnel”, je suppose... J’ai vu des tas de groupes dans des foires quand j’étais môme. Je me souviens quand j’ai rendu visite à ma famille en Roumanie, on est allé sur la mer Noire pour quelques jours, et on a vu un groupe qui jouait “We’re An American Band” de Grand Funk ! C’était plutôt excitant parce que ça ressemblait à un vrai concert rock’n’roll. Mais le premier vrai concert c’était Kiss en 1978. Mes parents m’ont laissé y aller, je les suppliais depuis des années de m’amener voir Kiss, et finalement à Noël, j’ai trouvé le ticket dans mes souliers ! Toute ma famille y est allée. Et c’était bien, parce que mes parents se sont rendus compte qu’aller à un concert en ville avec les gamins, c’était cool. Donc on a commencé à aller voir tout ce qui passait. Parfois ils nous déposaient simplement. Pour Frank Zappa, j’avais douze ans et mon frère quatorze, ils nous ont laissés devant l’entrée, ‘A tout à l’heure, amusez-vous bien !’. Et c’était rarissime de se comporter de cette façon à l’époque pour des parents. Surtout qu’il y avait toujours à ce moment là cette “peur blanche” à Detroit.

   D.I : Après les émeutes de 67 ?
      T. : Oui, c’était juste quelques années après. Ça s’est atténué depuis, mais ça existe toujours, il y a des gens qui n’iront pas au centre ville... Ils vivent dans leur environnement contrôlé. Comme a dit George Clinton : “Que Dieu bénisse la ville chocolat et ses banlieues vanille !”

    D.I : Kiss, c’était aussi mon premier concert !
      T. : Wow, en quelle année ?
   
       D.I : 1980.
      T. : Quel album venait de sortir ? Double Platinum ?
   
        D.I : Ça devait être juste après Dynasty en fait. Il y avait encore Ace Frehley...
    T. : Ouais, moi c’était juste après Alive II, et j’ai adoré, c’était génial, mieux que tout ce que j’avais pu imaginer. J’ai senti plus que jamais que c’était ce que je voulais faire...

    Plus tard, on s’est payé une bonne tranche de rigolade en discutant des Ace’s High - ainsi dénommé “parce que Ace’s Stoned, ça sonnait stupide” - un gang local hommage à Kiss dont tous les membres sont déguisés en Ace Frehley ! Sur une de leurs vidéos, un journaliste leur demande s’il leur arrive de se disputer vu qu’ils sont tous des clones du guitar-héros. Préservant son anonymat derrière un grand foulard, un des Ace répond : “Oui, parfois on s’engueule pour savoir qui va porter la cape de Dynasty !” Eh, eh ! Refermons la parenthèse...

    D.I : Quel a été ton premier groupe ?
    T. : C’était avec Matt Smith des Outrageous Cherry et le batteur Mike Alonso, qui a été dans Bantam Rooster et Electric Six. On se connaissait depuis tout petit, je connais Mike depuis que j’ai quatre ans, et j’ai rencontré Matt vers neuf ou dix ans. Il avait une guitare. On a commencé à jouer ensemble dans la cave, on essayait de reprendre Led Zeppelin, Black Sabbath, je me souviens d’avoir essayé de jouer la version Ten Years After de “Good Morning Little Schoolgirl” de J.L. Hooker, et des trucs du même genre. Puis Devo est arrivé, on était de grands fans. On a essayé de jouer des morceaux de Devo, puis Captain Beefheart, beaucoup de trucs des Who... On était très jeunes. Ce groupe n’a joué que dans des “Talent shows”. Après, quand j’étais au Lycée, j’ai continué à jouer et à écrire de la musique dans différents groupes, ça n’a jamais vraiment marché, c’était difficile de trouver des gens, parce que j’avais grandi dans mon propre petit monde, j’aimais beaucoup de choses différentes et il y en avait que je n’aimais pas du tout, j’avais des avis tranchés, je n’aimais pas la musique qui passait à la radio, la musique populaire... C’était dur de trouver des musiciens qui aimaient les Residents et Ray Charles, les New York Dolls et Ornette Coleman, Petula Clarke et Throbbing Gristle, tu vois le genre ! Je ne pouvais pas l’exprimer aussi clairement à l’époque mais je cherchais juste des gens qui n’avaient pas d’idées préconcues sur la couleur, la tonalité, l’atmosphère de l’instrumentation... Des gens qui ne se fixaient pas de limites sur ce que ça pouvait être. Je rencontrais plutôt des gens qui disaient “On va former un groupe de metal et c’est comme ça que ça doit sonner”, “on va faire un groupe de ska et ça sonnera comme ça”, “on fait un groupe punk etc.” Chacun jouait le rôle de ce qu’il était supposé être. Tu rejoins un groupe rockabilly, tu as une belle chemise, des tatouages avec des dés...
    D.I : Comme un uniforme...
    T. : Oui, c’est juste de la comédie, jouer un personnage, et j’ai assez joué la comédie quand j’étais gamin, en sautant en l’air en écoutant les disques et en faisant semblant d’être dans un groupe. J’en avais marre de faire semblant, je voulais juste faire ce que je voulais, et ça m’a pris quelques années. J’ai joué dans tellement de groupes et j’ai rencontré tellement d’idiots... Je me suis concentré un moment sur l’écriture... La musique était plus un passe-temps. J’ai rejoint différents groupes, des groupes de heavy metal, j’ai accompagné un “enfant-star”... N’importe, c’était juste un moyen de voyager un peu, je m’en foutais... (il a tourné en première partie de Megadeth, WASP ou King Diamond, et même auditionné pour Metallica à la basse : ils ne l’ont pas pris parce qu’il parlait trop ! - nda). Quand je suis revenu à la maison - parce que j’ai quitté Detroit après le Lycée - j’ai traî-né avec différen-tes personnes et j’ai fini par trouver ici ce que je n’arrivais pas à dénicher jusqu’à présent. Je me suis reconnecté avec Matt quand je suis revenu il y a une douzaine d’années, j’ai rencontré Mick Collins, John Nash... C’était juste ce dont j’avais besoin, c’était comme si je démarrais la musique à nouveau, tu vois ?

    D.I : Et il y a eu les Witches ?
    T. : Oui, ça a commencé avec Matt et John, sur un quatre pistes que j’avais à la maison. J’enregistrais des morceaux pour un autre groupe avec mon frère et John, appelé Mice Termite, on a fait quelques singles... C’était une sorte de groupe space, psychédélique, de façon plutôt non-intentionnelle ! On a enregistré des morceaux sur ce quatre pistes, et j’ai appelé le projet The Witches. Matt a fait passer des copies à différentes personnes autour de Detroit. On nous a proposé un show au Hare Krishna Mansion avec Cary Loren de Destroy All Monsters et Monster Island, il avait monté l’affaire et il voulait qu’on y joue. Mary des Stepsisters jouait du violon avec nous. Ce fut le premier show des Witches. Pendant longtemps, c’était surtout John et moi et différentes personnes qui gravitaient autour, un peu comme Pere Ubu quoi ! Phil joue de la basse avec nous maintenant depuis quelques années (Phil Skarich des Deadstring Brothers -nda). On a aussi notre pote Eugene Strobe, qui jouait avec les Sirens je crois, c’est un de leurs amis. Les Witches c’est quand l’occasion se présente... On a toujours eu la poisse en fait, on n’a pas envie de gérer les choses comme des capitalistes, on a refusé certaines offres qui auraient pu nous aider. Aucun d’entre nous n’a vraiment l’esprit business. On sait écrire des chansons, on peut monter un super show, mais personne n’a envie de forcer sur la promo, et malheureusement dans le monde de la musique c’est ce qu’il faut faire. Mais d’une façon ou d’une autre, par le bouche à oreille, on a reçu des lettres de Moscou, d’Amérique du Sud, de Nouvelle Zélande, de Tokyo, de partout en fait, France, Italie, Allemagne, Finlande... Les gens ont les disques, tous les disques, et ils les aiment ! C’est plutôt cool, juste par le bouche à oreille. On n’a plus de label maintenant. Le gars qui sortait nos disques a des soucis financiers, sa femme vient juste d’avoir un bébé, et il s’est dit qu’il n’allait plus dépenser de l’argent à sortir des disques, qu’il y avait des choses plus importantes ! On ne peut pas le blâmer. Du coup on n’a plus personne pour le faire, on a un disque qui vient d’être enregistré, mais personne dans le groupe ne veut l’envoyer à des labels, personne ne veut le faire, du genre : je devrais sûrement, mais je ne le fais pas ! Je vais sûrement le sortir gratuit sur le site web, vu qu’on ne se fera pas d’argent avec de toute façon ! Du moment que les gens l’entendent... Quand je tourne avec les Dirtbombs, je rencontre toujours des personnes qui connaissent les Witches et qui demandent après le nouvel album, ouais...

    D.I : Les Witches apparaissent sur les deux compil’ Ghetto Blaster, dont le deuxième volume était enregistré live dans la fameuse brasserie Motor City Brewery. Comment c’était ?
    T. : C’était génial, on y a joué deux ou trois fois après parce que j’avais trouvé ça super. Le boss John Linardos m’avait déjà laissé faire des shows acoustiques, les sons se répercutent partout, parce que ça se passe dans une toute petite section de la brasserie où on trouve tous les machins... tout l’équipement pour faire la bière ! Ces énormes trucs métalliques ! Le son se réverbère... C’était cool. Ça s’est fait sur plusieurs soirées...

    D.I : La bière a dû couler à flot...
    T. : Ouais, j’ai bu pas mal ce soir là, pas mal... En fait notre batteur Cory Martin avait du mal à tenir debout à la fin de la soirée. On enregistrait notre album au même moment au bout de la rue chez Jim, et je crois qu’on est allé directement du studio à la brasserie et on était déjà bien partis quand on est arrivés ! C’était marrant...

    D.I : Il y a eu aussi The Alphabet...
    T. : The Alphabet, c’était John Nash en fait qui avait commencé à enregistrer des morceaux où il jouait de tous les instruments, et il a choisi un nom de groupe plutôt que son propre nom. C’est très commun dans le Michigan d’avoir une mauvaise image de soi ! De s’auto-déprécier ! Je ne vais pas mettre mon nom, je vais mettre un nom de groupe ! On est quelques-uns à être comme ça, c’est bizarre... C’est un truc ici qui consiste à te contrôler quand tu es gamin pour que tu n’aies jamais envie d’avoir du succès ou d’être mieux que la moyenne, juste rester au ras du caniveau !

    D.I : Un peu comme Mick Collins avec les Dirtbombs ?
    T. : Ouais, ouais, exactement. Donc John a enregistré et sorti un album, When The Sun Calls Your Name, et je crois qu’il en a assez pour un autre disque. Il les jouait depuis un moment, il avait du mal à trouver un batteur. Eugene des Witches m’a prêté un drum-set que j’ai gardé un moment dans mon sous-sol, et j’ai joué sur le disque de The Alphabet. J’ai demandé à John : “Est-ce que je peux jouer de la batterie pour toi ? Je connais les morceaux, je te jure !”. Il a fait quelques concerts sous ce nom-là, mais quand il est devenu trop occupé avec Electric Six, The Alphabet ont disparu... En fait, c’est devenu ce truc qu’il fait maintenant, Na$hinal Debt. Tu devrais lui demander de te faire écouter quelques morceaux de Na$hinal Debt. C’est vraiment bon, ouais.

    D.I : Mais toi, tu as bien enregistré des albums solo sous ton nom ?!
    T. : Ouais, je m’en fous moi ! Aussi bizarre que ça paraisse, je n’ai jamais voulu avoir ma photo sur une pochette, mais j’ai mis ma photo sur les deux ! Matt a suggéré que la pochette ressemble plus à un disque de Scott Walker, une photo du genre “Non, je ne veux pas me voir sur une pochette de disque !” J’ai appelé le premier disque Sybil, et le deuxième Laura (tous deux sur Fall Of Rome, en 2001 et 2004 - nda). J’ai fait des disques avec différents noms féminins qui ont une certaine relation avec les chansons, ou la façon dont le disque a été fait...

    D.I : Laura, c’est le nom de ta femme...
    T. : Ouais, et il y a aussi le film Laura avec Gene Tierney, un film noir. Pendant la moitié du film tu penses qu’elle est morte, et un détective tombe amoureux d’un portrait d’elle. Et il s’avère qu’elle n’est pas morte. Un grand film. Il y a aussi Laura Palmer de Twin Peaks, le film de David Lynch. Cette femme pleine de mystères et de secrets. Ma femme est une fille tranquille, très compliquée et intelligente... On est ensemble depuis douze ans, mariés depuis dix et elle dit ou fait toujours des trucs... et je ne sais pas d’où ça sort ! Tu vois ce que je veux dire ? Elle m’a laissé m’interroger sur chaque histoire un million de fois ! La femme mystérieuse, c’était l’idée, la femme énigmatique, aux multiples personnalités... C’est aussi basé sur l’histoire clinique d’une femme qui avait plusieurs personnalités.

    D.I : Laura est un disque très personnel, très original, mais je vais quand même lâcher quelques noms qui me sont venus en l’écoutant, par exemple Suicide ...
    T. : Oh, j’adore Suicide. Alan Vega est aussi un grand parolier. Il y a eu un bouquin tiré de ses textes, je ne l’ai pas acheté mais je l’ai lu dans une librairie. Parfois tu ne peux pas discerner ce qu’il dit, tu vois. Et ça se lit comme de la poésie. Tellement d’auteurs de chansons pensent qu’ils écrivent de la poésie, il n’y en a pas tant que ça qui en écrivent vraiment. Bob Dylan, oui, bien sûr, et Alan Vega aussi sans aucun doute.

    D.I : Et l’écho dans la voix ?
    T. : Ouais, ouais, ouais, ça vient probablement de là et du Dub, de Lee Perry... J’aime ce son. Tu dis ça aux gens, ils répondront “Mais ça ne sonne pas reggae !”. Non, c’est le concept que j’aime bien, j’aime ce son... Mais j’avais jamais pensé que ça pouvait aussi venir d’Alan Vega, c’est probablement le cas. J’aime le son des disques. Bien sûr tu fais sonner un disque de façon plaisante à tes oreilles, et ça peut avoir un lien avec quelqu’un d’autre, quelqu’un que tu aimes bien.

    D.I : Black Sabbath pour les moments les plus riffus ?
    T. : Ouais, j’aime Black Sabbath. J’aime leurs morceaux qui ne sonnent pas trop heavy metal, les premiers disques... Il y a vraiment une atmosphère, l’ouverture du premier album avec cette cloche et la pluie ! J’adore toujours cette ambiance. J’ai eu l’occasion de tourner en première partie pour eux, quand Dio est revenu pour chanter un moment. C’était assez marrant. Ils ont fait un paquet de disques merdiques, mais il reste une poignée de bonnes chansons. Le premier album et Sabotage, j’adore vraiment. Paranoïd, je l’ai eu très jeune et j’ai appris à jouer “Hand Of Doom”... et j’ai aussi pu tourner avec Ozzy Osbourne une fois, pendant deux mois, en première partie. On a joué à Detroit deux nuits de suite. Je suis allé voir mes parents le premier soir, et je suis tombé sur ma copie de Paranoïd, et je me suis dit “Wow, je vais me le faire signer !”. Je suis allé dans les loges et il était vautré sur un canapé, je lui dit : “Ozzy, il faut que tu signes ma copie de Paranoid.” (Il imite l’accent british et le phrasé pateux d’Ozzy - nda) “D’accord, d’accord... Wooow, mec, d’où tu sors ça ? Depuis combien de temps tu l’as ce disque ?” “Je sais pas, depuis que j’ai neuf ou dix ans...” “Oooh, tu avais neuf ans ! Putain ce qu’on vieillit bordel !” (Poilade générale)

    D.I : Dans un autre genre, ça m’évoque Joy Division aussi...
    T. : Ouais, c’était un groupe que j’écoutais beaucoup. Tu m’as cerné ! Je n’ai pas vraiment écouté tout ça depuis un moment, sauf Suicide, j’ai mis “Ghost Rider” dans la voiture l’autre jour. Ouais, j’ai pas trop réécouté tout ça ces derniers temps mais Joy Division, l’album Unknown Pleasures, ouais je l’avais... parce que pendant un certain temps je n’avais pas de maison, et, euh, je parle trop vite désolé... Euh, tu n’aurais pas une cigarette ? Je l’avais en cassette donc, je l’ai écouté plus d’une fois, parce que je joue de la basse aussi, tu vois, j’aimais bien jouer les lignes de Peter Hook, et de plus il y avait cette ambiance qui leur est propre, pas vraiment ce que les gothiques apprécient... (il se met à chanter d’une voix lugubre - nda)... pas vraiment ça, mais plutôt ce côté très lent, tu vois ? Il se passe quelque chose que j’aime beaucoup, je préfère Joy Division aux Doors.

    D.I : Syd Barrett ?
    T. : Oui, c’est quelqu’un que j’écoute beaucoup aussi. Mad Cap Laughs particulièrement, plus que Barrett, uniquement parce que mon frère avait Barrett et qu’il refusait de me le prêter alors je suis passé à côté. Oui, je l’aime beaucoup... Piper At The Gates Of Dawn, les premiers Pink Floyd, surtout ce morceau “Take Out That Sthetoscope And Walk”... Avec les Witches on a essayé de reprendre en concert “No Good Trying” de The Madcap Laughs. (il se remet à chanter - nda) Celle-là, oui, j’adore.
    D.I : En fait j’ai même pensé à Bowie...
    T. : Oui, je l’aime aussi !

    D.I : La façon dont tu chantes parfois...
    T. : Ah ouais ? Cool ! Parfois il essaie de chanter comme Anthony Newley, parfois il essaie cette voix à la Scott Walker, je trouvais ça amusant, c’est comme quand Sting essaie de chanter comme s’il venait de la Jamaïque. Par contre j’arrive pas à accrocher à Memory Of A Free Festival, The Laughing Gnome, les premiers trucs acoustiques de Bowie, j’en ai certains... J’ai sur une cassette... C’était quoi le groupe où il était... Mannish Boys ? C’est pas mal, c’est un peu dans le genre Pretty Things. Je n’aime pas les paroles de certains morceaux, sur “Memory Of A Free Festival” elles sont absolument horribles. Mais j’adore les Spiders From Mars, les albums qu’il a faits à Berlin, mais aussi les disques d’Iggy de cette époque comme Lust For Life et The Idiot. Tout ce que Bowie a fait en Allemagne, Heroes, Low, Lodger, Scary Monsters... J’aime beaucoup ces dis-ques, mais pas grand chose de ce qu’il a fait après, à part cette chanson “Loving The Alien”.

    D.I : Et peut-être parce qu’on vient juste de voir le film Dig, sur certains passages, j’ai pensé à Brian Jonestown Massacre...
    T. : Tu vois, ces mecs, je les avais jamais entendus jusqu’à il y a deux ans. Je crois que Matt en connaissait un qui était sur Detroit, et il me l’a présenté, il avait l’air sympa. Je pense qu’avec cette scène de Californie, Black Rebel Motorcycle Club, The Warlocks... il y a des similarités avec ce qui se passe ici, un réseau de gens comme il en existe un ici à Detroit, tous ces musiciens différents qui travaillent les uns avec les autres dans un tas de groupes différents... C’est un peu lié, mais on n’a pas vraiment de relations, on ne les connaît pas vraiment. Detroit, LA... Tu vois, à Detroit tout le monde estime apparemment qu’à LA ils essaient trop de se la jouer comme s’ils étaient de la bande à Manson... Le démon, Altamont, la Californie obscure... Ici on n’a pas vraiment besoin de faire semblant ! Mais sur ce que j’ai entendu, j’aime bien, c’est sans aucun doute un bon compositeur.

    D.I : Et leur côté bricolo, l’album qui a coûté 14,95 dollars, ça t’inspire quoi ?
    T. : Génial ! ... J’ai pas vu le film cela-dit, mais c’est ce dont on a besoin ici. C’est quelque chose qui n’arrive jamais à Detroit... Et puis il n’y a personne ici qui essaie vraiment de monter un label. Je veux dire, il y a des gens qui sortent un ou deux trucs, Dave Buick fait ses trucs (il tient le label Italy Rds - nda), Ben à Cass Rds (Ben Blackwell, un des batteurs des Dirtbombs - nda)... Mais personne ne s’est dit sérieusement : OK, on va prendre tous ces groupes et les sortir sur un label, ensemble comme Motown, tu vois, quelque chose comme ça. Parce que les gens ici sont incroyablement pauvres, je veux dire, on s’en sort tout juste. Quand je dis pauvre, personne ne crève de faim, mais personne n’a suffisamment de cash, et à la fin du mois tout le monde est à sec. Tout le monde vit d’une paye à l’autre, d’une facture à l’autre. C’est un des trucs, on est des prolos. Tu vois, pour pouvoir tourner et jouer, il faut un job qui te le permette, donc on ne peut pas avoir des jobs qui payent bien !

    D.I : Sympathy, le label californien, a édité pas mal de groupes de Detroit...
    T. : Ouais, et Fall Of Rome qui a sorti les Witches, The Sights, l’album des Voltaire Brothers aussi...

    D.I : Et ton nouveau groupe, les Stepsisters ?
    T. : Après les disques solos, John était occupé et les Witches ne faisaient plus rien et il fallait que je joue ! Alors j’essayais de chercher un groupe pour pouvoir jouer ces chansons. J’ai rencontré Teri, la bassiste, qui travaillait dans une librairie... Elle parlait toujours de ces mecs qui la chambraient parce qu’elle jouait de la basse, les hommes sont toujours chauvins sur ce qu’une femme peut faire avec un instrument... Alors je lui ai donné quelques leçons pour l’encourager. Puis Mary qui jouait du violon avec les Witches était à nouveau dans le coin, elle jouait des claviers. Et Noëlle qui jouait de la batterie avec The Alphabet. Je l’avais rencontrée en même temps que Jim et Tommy Potter, ils font partie d’un contingent de Lansing qui a bougé sur Detroit. On les a tous rencontrés quand les Witches ont joué à Lansing. Jim a fait le son pour nous, Tommy Potter et les Bantam Roosters ont joué avec nous, et c’est aussi là que j’ai rencontré Noëlle. On est tous devenus amis. Tom est arrivé en gueulant : “Oh mec, vous devriez faire une reprise des Banana Splits !!!” C’est comme ça qu’on s’est rencontrés. Donc les Stepsisters c’était pour jouer les morceaux des albums solos. J’ai vu Teri dans le cinéma où je bossais. Je réfléchissais à un bassiste, je l’ai vue et je me suis dit voilà, ça y est ! Je suis allé la voir : “Est-ce que tu es occupée ?” “Je suis dans un ou deux groupes...” “C’est bien, moi aussi ! Je vais te prévoir un truc !”. Puis j’ai réalisé qu’il pourrait y avoir plus de filles. Je pensais que ce serait vraiment cool d’être dans un groupe où il n’y aurait pas de mecs pour une fois. C’est ce qui s’est passé, et j’aime ça. Elles ont un langage définitivement plus obscène que les mecs ! Ça ne devait durer qu’un certain temps, on ne devait jouer que quelques concerts, mais j’adorais comme ça sonnait, et on s’entendait tellement bien que j’ai commencé à écrire des morceaux pour le groupe, et c’est devenu mon projet principal. C’est le groupe avec lequel je veux tourner et enregistrer, et c’est probablement le dernier groupe rock que je vais faire... J’ai le sentiment que si ça se dissout pour une raison ou une autre, je ne peux pas vraiment imaginer faire un autre groupe rock, quand je dis rock, je veux dire utilisant batterie, guitare, basse, vocaux, pour jouer live dans les clubs, je vais probablement travailler sur des films dans lesquels je veux vraiment m’investir. J’ai beaucoup de scripts que je veux filmer, des accompagnements musicaux... J’ai commencé à travailler là-dessus, j’ai réfléchi à l’idée de sortir le premier album des Stepsisters en DVD, avec des vidéos pour chaque morceaux, et des trucs en interlude... J’aimerais faire ça si c’est possible, l’argent est toujours un problème...

    D.I : Vous avez deux morceaux qui viennent de sortir...
    T. : Il y en a un sur une compilation avec le fanzine Carbon 14, et un autre sur une autre compilation de groupes de Detroit pour un magasin de bonbons qui vient d’ouvrir...

    D.I : Un magasin de bonbons ?!
    T. : Ouais, et il voulait des morceaux à propos de bonbons. Outrageous Cherry ont une chanson titrée “Marshmallow” sur cette compil, et on avait déjà un morceau qui s’appelait “Tippin’ The Candy Machine”, tu vois quand tu mets de l’argent dans un distributeur de bonbons et qu’ils ne descendent pas et que tu es obligé de secouer la machine. En fait c’était au départ une chanson à propos de relations sexuelles avec Audrey Tautou dans une piscine municipale à la tombée de la nuit...

    D.I : Eh, eh, c’est le nouveau sex-symbol français alors ?
    T. : Ouais, ouais ! J’ai enlevé son nom mais ça s’appelait “Audrey Tautou” à l’origine. Mais il y avait la ligne “Tippin’ the candy machine” dans les paroles, donc... Je ne voulais pas la mettre dans l’embarras ! Il y en a une autre, une chanson que je n’ai jamais enregistrée, mais j’en ai une version à la maison, qui s’appelle, je suis désolé, “Isabelle Adjani, Can I Get You Off ?”. J’ai une lé-gère obsession pour Audrey Tautou et Isabelle Adjani.

    D.I : On peut comprendre... Tu joues aussi avec les Dirtbombs bien sûr...
    T. : J’ai joué avec les Dirtbombs pour la première fois il y a des années. J’ai joué de la fuzz sur un enregistrement, je ne me souviens plus, c’est sorti sur une des innombrables compil où figurent les Dirtbombs. Ensuite j’ai joué avec eux à un show à Chicago, ou Detroit, je crois que c’était Detroit... Mick sait tout ça, il se rappelle des dates et tout... J’ai tenu la fuzz pendant un moment, avant Potter. J’avais les Witches, donc je me disais OK, je vais faire ça juste pour un certain temps, puis Tommy est revenu. Il y a des trucs comme ce single “Cedar Point 76”, avec ma photo en couverture, alors que je ne joue pas dessus. J’arrivais au studio pour enregistrer, et Mick était déjà en train d’en partir : “Troy, j’ai besoin de ta photo, tu fais partie du groupe !”. J’ai dû aussi en remplacer certains sur quel-ques shows de temps en temps. Donc depuis pratiquement cinq ans je fais des allers-retours. Les Dirtbombs ont participé à mon disque Sybil, on a fait “Born In A Haunted Barn” sur celui-là, puis Mick est venu faire les choeurs sur une chanson de Laura. Ils allaient en Australie et Ko ne pouvait pas venir, alors j’ai joué la fuzz et Jim a joué la basse, c’était assez récemment, il y a deux ans peut-être, un an et demie. Et il y a eu une autre tournée, et Jim ne voulait pas la faire, il n’aime pas tourner. Il en faisait tout un cinéma ! Mick m’a demandé de le remplacer, je pensais juste que j’allais faire quelques dates, puis Jim les a quittés et je suis resté ! J’aime ça, j’aime beaucoup ce groupe. Je n’avais pas joué de basse depuis un moment, la dernière personne pour qui j’ai tenu la basse était Andre Williams. J’ai joué de la basse pour d’autres groupes comme Killing Joke (avec qui il a joué au Pied, dans la campagne toulousaine, il y a quelques années, avant que la boîte ne soit plus ou moins dynamitée - nda), The Swans, Prong et tout ça (Flotsam & Jetsam ou Simon Bonney aussi - nda), mais je ne jouais pas... comme je joue vraiment. Tu vois, quand tu es dans le groupe de quelqu’un d’autre, tu as tendance à adapter ta façon de jouer à leur musique. Mais avec les Dirtbombs, je n’ai pas besoin de faire ça, ni pour Andre. C’est peut-être simpliste, mais quand tu grandis à Detroit avec la Motown, tu es plus proche de ça, une basse groove... Donc j’aime faire ça avec les Dirtbombs, en plus, ils voyagent beaucoup, je suis payé, et je peux plus ou moins m’en tirer, aider à payer les factures à la maison et c’est valable, tant qu’à prendre ça comme un job, c’est un putain de bon job. Je les apprécie tous, c’est super. Je peux prendre mon ordinateur portable en tournée, je travaille sur des chansons, sur des films, j’écris... C’est bien. En plus, ça amène des fans des Dirtbombs à découvrir les Witches et les Stepsisters, ce qui est cool.

    D.I : Est-ce que tu vas participer à l’album Bubblegum dont nous a parlé Mick ?
    T. : Je vais probablement être sur celui-là, oui. Il veut faire une version Bubblegum de “Strange Fruit” de Billie Holiday. La version de Billie Holiday est la plus connue, c’est une chanson qui parle du lynchage des noirs dans le Sud. En fait c’est un juif qui a écrit la chanson même si Billie Holiday la chante bien sûr du point de vue d’une femme noire... Nina Simone en a fait une bonne version aussi. Tu roules vers le sud, et tu vois ces fruits étranges qui pendent aux arbres, ces corps noirs dans la brise d’été... C’est une chanson puissante et sombre, et Mick veut en faire une version bubblegum ! On a eu une sérieuse controverse un matin au petit déjeuner, Ben, Patrick, Mick et moi, au sujet de l’éthique d’une version bubblegum de “Strange Fruit” ! C’était assez intéressant !

    D.I : J’ai lu dans une chronique quelque chose comme “Troy apporte aux Dirtbombs son amour pour Alice Cooper et Black Sabbath”.
    T. : Ouais, c’est très bizarre. J’ai vu ça aussi, je crois que ça vient de la fille qui tient le site du fanclub des Dirtbombs, elle vit en Floride. Elle m’a envoyé un e-mail pour que je jette un coup d’oeil et je lui ai répondu que je n’étais pas si fan de Black Sabbath et d’Alice Cooper... Je veux dire, je l’étais quand j’étais môme, mais je n’écoute plus vraiment ça, mais elle l’a gardé quand même. C’est marrant parce que de temps en temps sur scène on joue un bout de “War Pigs” de Black Sabbath, et tout le monde pense que c’est à cause de moi, et ce n’est pas vrai. C’est Ko qui veut tout le temps la jouer ! Mais elle ne connaît pas les paroles, et Mick dit que lui non plus. Par défaut, je dois la chanter, parce que je les connais, mais je ne veux jamais le faire. Quand on a fini le set et que les gens en veulent plus et nous rappellent, on se dit : OK, qu’est-ce que tu veux faire, qu’est-ce que tu veux faire ? Parce qu’on change tous les soirs d’habitude... Et c’est toujours : OK, “War Pigs” bla bla bla... Noooon ! Pas “War Pigs” ce soir ! Pareil pour “Lust For Life”, on la fait de temps en temps et je dois la chanter vu que je connais les textes, et je n’en ai pas envie. J’aime la chanson, mais il n’y a aucune raison de la faire. Parfois on fait “Baby’s On Fire” d’Eno, et je dois la chanter, en fait celle-là, ça ne me dérange pas tant que ça.

    D.I : Vous avez joué un petit bout de “War Pigs” à Toulouse !
    T. : C’est vrai, c’est vrai. Ça tombe accidentellement de temps en temps et tout le monde pense que c’est moi !

D.I : Je ne sais pas s’il y a grand monde qui l’a reconnu dans le public !
    T. : Ouais, c’est toujours marrant !

    D.I : Quels sont tes projets ?
    T. : Je vais m’occuper de l’album des Stepsisters. Qui est plus que prêt, on a assez de matériel pour deux albums en fait. On va probablement enregistrer dans mon sous-sol, on va faire ce disque et j’espère quelques singles si c’est possible. Je dois trouver quelqu’un pour sortir ces trucs n’importe où et partout. J’ai aussi un album instrumental qui est fini, qui devrait s’appeler The Teddy Bear Science. J’ai aussi un disque de dance électro, dont tous les samples proviennent des Witches ou de mes propres disques ! Le titre complet est Agent Vampire Versus The Jellybean Machine The Earth Will Be Destroyed By Force Cheap Evil (!?!). Il y en a aussi un, dont certaines chansons ont déjà été enregistrées, qui rassemble des morceaux tristes, plus mélancoliques, des chansons chiantes ! Que je ne joue pas souvent parce que les gens n’ont pas envie d’écouter ce genre de choses, ils veulent s’amuser, mais je voudrais toutes les mettre sur un album appelé I Am Nowhere You Are Dreaming, un titre tiré du bouquin de Boulgakov Le Maître Et Marguerite. Ça ressemble plus à Leonard Cohen qu’à Alice Cooper ! Il y en a un dans le genre Erasure, un à la Léonard Cohen et l’autre plus à la Stockhausen ! Je veux faire les trois, et j’aimerais produire un autre album avec les Witches si c’est possible, je vais probablement atterrir sur quelques enregistrements des Dirtbombs. Et Mick a mentionné que je pourrais participer aux disques de Man Ray Man Ray. Mais je veux aussi commencer à travailler sur mes films, c’est le truc que j’ai de plus en plus envie de faire. A force de mettre du fric de côté, je devrais avoir de quoi filmer et éditer moi-même. Je n’envisage pas de film sur une major à Hollywood. J’aimerais juste faire le genre de film que j’aime voir, comme pour la musique, je fais le genre de disques que j’aimerais entendre. Ça peut paraître égocentrique et arty, mais je fais mes disques favoris ! J’aime les groupes dans lesquels je suis, leur façon de jouer. J’en suis assez content, je ferai mes films de la façon dont je fais ma musique. Juste ce que je sens bien. Si c’est mauvais, il y aura toujours d’autres bons disques et bons films.

    D.I : Pour terminer, une autre question rituelle, quels sont tes artistes favoris de Detroit ?
    T. : Diana Ross, pour sa voix, son phrasé, tout quoi, et les disques des Supremes. Si tu joues “Nothing But Heartaches” du 33t en 45t elle sonne comme Curtis Mayfield ! Je suis sérieux, c’est un coup à essayer, c’est incroyable ! David Ruffin des Temptations, j’aime sa voix... Iggy & The Stooges... Ici à Detroit, il faut toujours avoir une préférence entre Raw Power et Funhouse, mais j’aime les deux, j’aime le premier aussi, je les ai beaucoup écoutés ! J’aime Carey Loren de Destroy All Monsters, on a pas mal bossé ensemble avec ces autres artistes fantastiques, Mike Kelley, Jim Shaw, Niagara... (Destroy All Monsters est un collectif d’art contemporain actif depuis le début des seventies - nda) J’aime la façon dont il s’empare de chaque aspect de la culture du Michigan pour les articuler dans son travail des façons les plus macabres qui soient. Je l’aime beaucoup (Troy a aussi joué avec lui au sein de Troy Gregory & The Skeleton Friends, super groupe éphémère rassemblant aussi Mick Collins et Matthew Smith entre autres - nda). Je pense que Matt Smith est un songwriter fabuleux, c’est incroyable, j’aime pratiquement tout ce qu’il écrit, il a quelque chose que j’aime vraiment . Il se vend comme des petits pains, il y a des gens qui trouvent que c’est fantastique ! De Detroit, mmmmh... en fait surtout les gens qu’on connaît, comme mon pote McDonald qui a sorti des disques sous le nom de Medusa Cyclone (John Nash, Mike Alonso ou Matt Smith sont encore dans le coup - nda), ça sonne comme Neue, Can, ce genre de trucs, tu vois... John Nash aussi... Tout le monde semble apporter sa propre personnalité plutôt que d’être le fantôme d’un autre musicien... J’aime aussi Gino Washington, Andre Wil-liams... Tous les trucs évidents... Le trio serait probablement Diana Ross, Carey Loren, Iggy Pop.

    D.I : Quelque chose à ajouter ?
    T. : Non, c’est bon pour moi. Il faut qu’on trouve un deal en France pour le disque des Stepsisters, pour qu’on puisse venir jouer. J’adorerais ça ! Je veux franchement qu’on voyage et qu’on joue le plus possible. Maintenant, on doit juste trouver quelqu’un avec de bons goûts musicaux et un porte-feuille !

    On est reparti s’abreuver, et déguster des petits délices confectionnés par nos hôtes. Qui a dit qu’on bouffait mal dans ce pays ? En fin de soirée, on commence à être largués, on pige plus toutes leurs vannes. Ce doit être ce foutu accent du Michigan... ou toutes ces bouteilles de rouge exotiques et délectables qu’on a testé toute la soirée. Le pif gaulois est mal barré à l’export, j’vous le dis... En tout cas on s’est bien marré. Une joyeuse bande !
    Mais récemment, une nouvelle est venue casser l’ambiance : Troy a viré Noëlle des Stepsisters pour la remplacer par une boîte à rythme. Pas sûr que ce soit une bonne idée... Ça fait un bail qu’on ne dégaine plus la batte de base ball quand on entend ces engins, mais quand même. Et sale coup pour Noëlle à qui les Stepsisters doivent beaucoup. Ici comme partout, les groupes se font et se défont. Mais à Detroit, les opportunités ne manquent pas, comme on le verra. Depuis, les sites internet des Witches et des Stepsisters semblent être en hibernation (quatre titres à télécharger sur ce dernier, avec donation possible !). On sait juste que Troy a repris la route, cette fois avec sa vieille idole Gino Washington. Groove un jour...

S. C.

www.witchesonparade.com
www.stepsistersassemble.com
digitfanzinearchives@gmail.com

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