A HISTORY OF BOSTON ROCK&ROLL
Brett Milano est un journaliste de Boston qui a
notamment écrit Vinyl Junkies. Je ne résiste pas au
plaisir provocateur de vous livrer une citation tirée du bouquin
: "Ecouter un CD, c'est comme faire l'amour avec une capote". Le livre
va même jusqu'à évoquer l'odeur particulière
que dégageaient certains labels ! Il rappelle aussi que la
musique est affaire de fans, de partage, et non un truc de
collectionneurs compulsifs : On se fait mousser auprès de qui
avec son disque rarissime de machin-truc ? Des deux ou trois types qui
le convoitent et basta. Et tous les autres vous regardent en pensant
"ouais, et alors ?". Ce bouquin est un must pour tout amateur de
galettes en vinyle, une référence même, un peu
comme Le Principe de Peter l'est à la sociologie.
Le nouveau livre de Brett Milano s'appelle The Sound
Of Our Town - A History Of Boston Rock'n'Roll. Pourquoi conseiller ici
un livre consacré à Boston ? D'abord parce que Chuck
Berry nous avait bien prévenus ("They're really rockin' in
Boston") et qu'ensuite, faut-il le rappeler, Dig It ! est une sorte
d'excroissance de Nineteen Mag, qui était lui-même un
genre de fan club des Real Kids. Entre autres. Alors...
Boston ! Son hymne "Dirty Water", "Boston, you're my
home", chanson qui a en fait été écrite par un
Standell (Ed Cobb), seulement Bostonien d'adoption, pour sa petite amie
qui était bien de la ville, elle.
Le bouquin avec ses personnages récurrents,
Willie Alexander qui a fourni un tas de flyers et photos, Jonathan
Richman ou encore JJ Rassler, est une mine de détails, une
succession de virées dans des lieux mythiques et un
florilège d'anecdotes : "Gangwar" et sa dernière strophe
que Gene Maltais a "oublié" de chanter lors de l'enregistrement,
les Rockin' Ramrods qui composaient leurs morceaux en bagnole sur la
base de ce qu'ils entendaient à la radio, comme ce "Don't Fool
With Fu Manchu" directement pompé sur "Louie Louie" (ils ont
quand même écrit "She Lied", un classique qui ne ressemble
à aucun autre). On apprend aussi que c'est la mère de
Freddy Cannon qui lui a écrit "Tallahassee Lassie". Et puis il y
a ce DJ, Arnie "Woo Woo" Ginsburg, à qui la chaîne
Adventure Car Hop avait dédié un hamburger : le
Ginsburger, un double burger servi sur un 45 tours, avec une serviette
au milieu quand même, le disque était censé
être écouté !
On retrouve les groupes connus bien sûr :
Boston (il semble que Nirvana ait repompé une de leurs
mélodies pour "Smells Like Teen Spirit", peut-être pour
ça que je n'ai jamais aimé Nirvana ?), Aerosmith, dont on
connaît enfin la vraie origine du nom (page 68, hé
hé), le J. Geils Band qui faisait déjà la
fête dans la bagnole sur le chemin des concerts, l'esprit
même de l'attitude R'n'R, les Modern Lovers, qui ont perverti Ric
Ocasek quittant le folk pour former un R'n'R band : les Cars (Jojo
avait suggéré qu'ils s'appellent Richard & The
Rabbits - en hommage à Richard & the Young Lions
peut-être ?), les Pixies qui pour leur premier concert avaient
attiré du monde chez Jacks en placardant des flyers "Death To
The Pixies" un peu partout alentour. Et les Lyres de Jeff "Monoman"
Conolly avec cette histoire d'œil replacé dans son orbite
après une altercation avec le batteur en début de show
qu'il fallait assurer coûte que coûte, c'était leur
premier à Seattle.
On s'attarde aussi sur les (relativement) moins
connus : les Sidewinders, d'Andy Paley, les Orchestra Luna, dont
s'inspirent largement les Dresden Dolls aujourd'hui.
Il y a aussi bien sûr les Kids,
déjà "décalés" à l'époque,
devenus les Real Kids car Kids était pris, après que
David Johansen leur ait soufflé "c'est vous les vrais Kids".
Comme Jonathan Richman, John Felice a le don de vous rendre familiers
des lieux ou des ambiances inconnus ("Sun shines on the Common At Noon,
all the girls look like you"). À propos, les Real Kids existent
toujours, avec juste Felice comme membre originel, et un son plus
garage que power pop, d'après ce que j'ai pu en entendre. Autour
des Real Kids : les Nervous Eaters, dont le nom vient de la mère
du bassiste, qui avait noté leur ferveur à se jeter sur
les plats qu'elle leur cuisinait. Rien sur les Varmints en revanche.
Le passage sur Jesus Christ Allin (son vrai nom de
baptême ! Sa mère le fit plus tard inscrire à
l'école sous le prénom moins voyant de Kevin), plus connu
comme GG Allin, est très instructif, s'attachant davantage
à la psychologie de l'olibrius qu'à ses frasques - il
avalait notamment tout ce que lui donnait le public, jusqu'à du
laxatif pour chevaux ! Il rêvait de mourir sur scène mais
n'a pas eu cette chance (!). Il s'en fallut de quelques heures...
Il y a aussi les rencontres a priori improbables
(Modern Lovers - Velvet Underground) et les lieux légendaires :
le Rathskeller, celui du fameux Live At The Rat, le Rat donc, avec ses
inscriptions dans les toilettes pour dames, précisant quelle
rock star est un bon coup et qui ne l'est pas, un endroit magique
où tous les groupes pouvaient jouer sans a priori de la part du
public, qu'ils soient débutants ou s'appellent Police. Le Boston
Tea Party, qui était au départ une synagogue, Harvard et
ses rencontres ayant provoqué de nombreux groupes ou pas : Peter
Wolf et Van Morrison, parti en solo avec le succès de Astral
Weeks, ou Gary Tashian (Remains) qui traînait avec Gram Parsons,
parti rejoindre les Byrds. C'est aussi lors d'un show au Harvard Square
Theater que Jon Laudau a vu en Bruuuuce le futur du R'n'R. Tous ces
endroits magiques disparaîtront à la fin des tristes
annnées 90 qui ont connu la fermeture du Rat, en 1997, pour
faire place à un hôtel, et plein d'autres clubs dans la
foulée, devenus des bureaux (The Channel) quand ce n'est pas une
pizzeria (Storyville)...
Le livre est également une visite
guidée (digne du Rock'n'Roll Traveler USA) des salles de
concerts et clubs (un de perdu, deux de retrouvés, ça
marchait comme ça à Boston) ou magasins de disques,
largement représentés par les Newbury Comics. En
revanche, pas vu mention du meilleur magasin, In Your Ear, pourtant
déjà ancien.
Les labels ne sont pas oubliés : Bosstown
Records, aucun succès, pour ses groupes non plus d'ailleurs. Tel
The Crow, rebaptisé ainsi par les autres en hommage à sa
chanteuse noire, dont la mère pensait que le manque de
succès venait du nom du groupe (Bad Luck), la gloire fut au
rendez-vous plus tard, sous son propre nom cette fois : Donna Summer,
et puis le label est devenu MGM...
Boston, terre d'accueil privilégiée du
hardcore, via la compilation This Is Boston, Not LA. Mais aussi Boston
et son public parfois pas très ouvert... Difficile pour les
girls bands de se faire une place avant l'arrivée du 'zine
Boston Groupie News. Un public pas toujours enclin à accepter
les trucs "décalés" : les Women Of Sodom ou les plus
récents mais tout aussi provocateurs Dresden Dolls ont dû
aller chercher (et trouver) un minimum de support ailleurs (New York,
pas très loin), mais un public fidèle supporter des
combos "bien rock" locaux, même si leur notoriété
le reste (locale) : Bags, Bullet La Volta, Shods, The Upper Crust, un
groupe apprécié par les Cramps, qui soignait beaucoup son
look - du costume de business men à l'habit du 18ème
siècle. Ils auraient pu avoir du succès si leur leader
n'était pas parti écrire des discours pour Bill Clinton.
Le bouquin dénonce également un
certain nombre d'absurdités, comme ce fric dépensé
stupidement par les maisons de disques qui recommençaient
à signer à tour de bras au début des années
90 : la limousine qui vient chercher le groupe dans le trou à
rats où il vit pour l'amener au concert, ce genre de trucs...
On peut quand même faire quelques reproches au
bouquin : peut-être un peu trop de place consacrée
à certains (Mission Of Burma) et pas assez à d'autres
(Modern Lovers, Real Kids). Et puis, comme dans tous les livres sur la
musique en général ou sur un groupe en particulier, on
peut déplorer la partie congrue relative au passé proche
et au présent, limitée à un name dropping
même pas complet : Thee Monkeys Butlers par exemple (sorte de
Mummies en plus sympas), devront attendre de faire partie de
"l'Histoire" et un Volume 2 sur Boston pour qu'on parle d'eux.
Passées ces petites faiblesses, le bouquin,
qui présente une analyse avisée du milieu du rock ("le
R'n'R a sûrement été inventé par des
teenagers, mais au milieu des 80's, les groupes étaient
sous-représentés dans cette catégorie d'âge,
à Boston comme dans le reste du pays"), mérite
globalement une appréciation de 18/20, 3 kudos ou 4
étoiles selon votre mode de cotation favori.
Patrick Bainée